Entre Nostalgie et Utopie, comment vivre le présent ?

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La Nostalgie : Yves Bourquin
Ah ! ce tango… Je ne sais pas pour vous, mais moi il me transporte dans mes rêves… Dans un temps qui n’existe plus que dans mon imagination. Dans ma nostalgie, entre tristesse et joie. Joie de m’imaginer ce temps mais, en même temps, tristesse de ne l’avoir plus que dans mon imagination.

La nostalgie de mes origines, voilà ce que m’inspire ce tango, un paradis perdu à jamais. Un Eden où fleurissent les plus belles fleurs et où coulent les plus pures rivières ; ce pays d’Hawila où l’on trouve tant d’or. Ce pays où nous étions heureux dans la proche présence du Créateur. Ce paradis perdu, je rêve de le retrouver…

La nostalgie des origines, c’est ce que ressent l’homme, cet être qui pense, lorsqu’il fait ressurgir de sa mémoire les vestiges précieux du passé, oubliés dans les ruines du temps, et les ressuscite au grand jour. Il verse alors une larme à cet instant, car il retrouve un peu de l’âge d’or qu’il regrette tant et qu’il croyait avoir perdu pour toujours.

La nostalgie, quel beau mot. Peut-être un des plus beaux. La nostalgie, le plus doux des maux. Une douleur agréable. Une douleur qui fait du bien. Vous savez, le mot nostalgie en grec, ça signifie « la douleur du retour » ou, pour le dire autrement, la douleur due à l’endroit d’où l’on est parti. Et en allemand, le mot est encore plus fort, quoique moins large : « Heimweh », la douleur que nous fait ressentir la patrie.

Il y a la nostalgie des temps et la nostalgie des lieux. Soit la nostalgie d’un temps à jamais révolu, soit celle d’un lieu, d’une patrie, quittée, avec ceux et celles qu’elle abrite, autant d’amours perdus qu’on ne peut oublier.

Et le travail de la mémoire est si subtil qu’il nous fait oublier tout ce qu’il put y avoir de mauvais en ce temps-là, dans ce lieu-là. Douce amnésie qui sépare dans nos souvenirs le bon grain de l’ivraie, ne gardant, comme il se doit, plus que le bon grain pour notre pain quotidien.

Il y a des nostalgies individuelles : les neiges d’antan. La nostalgie de l’enfance lorsque j’étais sans souci, lorsqu’une simple punition suffisait à effacer ma faute. J’étais restauré par le pardon de mon père, son amour était sans limite. C’était le temps de l’innocence.

Mais les plus grandes nostalgies, celles qui ont porté le plus de fruits (parfois même d’immondes fruits), ont été celles d’un peuple entier, persécuté, regrettant ce grand passé où nous étions maîtres établis et justifiés. La nostalgie des tsars et des rois. Le peuple hongrois, regrettant la Grande Hongrie. L’Autriche regrettant l’empire. L’Allemagne regrettant de n’avoir jamais été Rome. Des nostalgies parfois pétries avec du sang. Ne pourrait-on pas le retrouver, ce temps glorieux ? Et notre Terre était si belle, en ce temps-là.

La nostalgie est indissociable de la faute, c’est-à-dire de la rupture du lien. Un lien rompu par une faute, séparant un passé d’or d’un présent d’argile. La nostalgie est donc un triste mélange de culpabilité, de regret et de justification, douleur aigre-douce d’injustice où il est bon d’être une victime. Est-ce de notre faute, finalement, si le péché abonde ? C’est injuste pour l’homme de devoir supporter la rupture des temps !

Comprenez-moi bien, mes amis, coupables d’une faute, n’importe laquelle, nous regrettons le temps béni où nous étions innocents, sans tache, en communion parfaite les uns les autres et avec Dieu, et le regret de notre innocence, voilà notre tango d’un paradis perdu. Une danse au rythme de notre culpabilité innocente. Le temps d’une danse, nous avons autrefois été en harmonie avec le Créateur sur la musique de la création.

Et aujourd’hui, la danse est finie, la rupture est consommée. Le lien entre Dieu et nous a bel et bien été rompu par notre faute. Ce temps de l’harmonie est terminé. Qu’on en soit nostalgique, c’est inévitable !

Mais Dieu pourtant ne s’est pas retiré du bal, lui aussi est-il sans doute nostalgique de ce temps où lui et nous dansions étroitement. Il vient pour un nouveau tango. Avec la promesse d’être à nouveau dans ses bras forts.

Jamais n’existera plus l’Eden des origines, mais peut-être un nouvel Eden, avec un nouvel Adam… Quelle incroyable utopie !

Lecture de Genèse 2, 4-14 : Antonio Garcia
Le jour où le Seigneur Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore sur la terre aucun arbuste des champs, et aucune herbe des champs n’avait encore germé, car le Seigneur Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol ; mais un flux montait de la terre et irriguait toute la surface du sol. Le Seigneur Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Le Seigneur Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais.
Un fleuve sortait d’Eden pour irriguer le jardin ; de là il se partageait pour former quatre bras. L’un d’eux s’appelait Pishôn : c’est lui qui entoure tout le pays de Hawila où se trouve l’or– et l’or de ce pays est bon – ainsi que le bdellium et la pierre d’onyx. Le deuxième fleuve s’appelait Guihôn ; c’est lui qui entoure tout le pays de Koush. Le troisième fleuve s’appelait Tigre ; il coule à l’orient d’Assour. Le quatrième fleuve, c’était l’Euphrate.

L’Utopie : Isabelle Ott-Baechler
Êtes-vous attirés par le passé ? Entraînés dans une danse nostalgique aux pas lourds de regrets ? Ou êtes-vous plutôt comme moi, portés vers l’avenir ?

Rêvez-vous de l'utopie du royaume de Dieu ? Un jour justice sera faite, un jour les humiliés seront debout et les violents à genoux ; un jour les affamés seront rassasiés et les gavés allégés ; un jour, nous serons pleinement réconciliés avec nous-mêmes et avec les autres. Un jour, la fraternité et l’harmonie universelle seront réalité… un jour le lait et le miel couleront pour tous, un jour l’agneau broutera paisiblement au côté du lion, un jour Dieu sera une évidence…un jour tout sera légèreté, danse, bonté, communion.
Cette aspiration profonde a porté et porte encore les artistes, les chercheurs, les politiciens d’envergure, les bâtisseurs, les grands voyageurs et peut-être l’un ou l’autre d’entre nous…

L’utopie ? Un moteur pour découvrir, avancer, transformer ; l’utopie ? Un carburant pour créer des projets : « les utopistes d’aujourd’hui sont les réalistes de demain » nous disait déjà le philosophe et écrivain neuchâtelois Denis de Rougemont.

Dans la tradition judéo-chrétienne, le temps est droit. Il n’est pas cyclique comme le veulent les traditions orientales, la réincarnation, par exemple, ce cycle infernal, dont les hindous rêvent de sortir pour atteindre le Nirvana. Le temps est droit, notre monde, comme notre vie, a pour horizon l’accomplissement du Royaume.

L’attente, cette attitude particulière tendue vers le futur, vers un bien à venir, est l’une des racines hébraïque du mot ‘espérance’.
Espérer le Royaume de Dieu, espérer qu’un jour le monde nouveau sera pleinement réalisé, entrer dans cette attente déplace notre attention : notre vie s’accorde à une musique qui vient d’ailleurs… alors, c’est comme une porte qui s’ouvre et découvre un horizon. C’est une bouffée d’air frais qui s’empare de nos nostalgies et les réoriente ! L’utopie de la résurrection nous libère d’une vision trop étriquée de notre vie. L’horizon de l’espérance est là pour empêcher la société de se replier sur elle-même. La promesse d’une Terre Nouvelle introduit une insatisfaction, un ferment critique qui s’oppose au fatalisme, à la résignation à l’égard des injustices de ce monde.
L’espérance invite à l’engagement, à l’action. L’espérance travaille déjà la vie humaine. Elle est pour nos vies comme le levain pour la pâte, elle fait lever en nous des possibilités et des forces insoupçonnées.

Nous ne sommes plus prisonniers de la nostalgie du temps où l’être aimé était vivant. L’utopie de la foi dépasse la mort, de sorte que, en Dieu, elle n’est pas l’horizon définitif. L’espérance nous donne la force de renoncer à faire de notre existence un mausolée pour le proche qui nous a quitté.

L’espérance transforme notre besoin de saisir le présent avec avidité, boulimie, en un espace de liberté intérieure. A un « Carpe diem » frénétique et épuisant qui exige de ne rien manquer, de ne rien perdre, de ne renoncer à rien, d’explorer tous les possibles, succède le goût de l’éternité.

En entrant dans le tango de la résurrection, nous sommes libérés des danses malsaines où tout est immédiat, fusionnel, hors des limites du temps et de l’espace. Nos soucis, nos frustrations, nos désespoirs, la peur devant le temps qui s’écoule ne nous amènent plus à renoncer à nous-mêmes, à abandonner notre espérance pour nous réfugier dans une impuissance confortable et triste. Au contraire…

Dans un ouvrage qui raconte « Le pays du lieutenant Schreiber », l’écrivain russe Andreï Makine recueille le témoignage de Jean-Claude Servan-Schreiber, envoyé en 1944, à l’âge de 24 ans, avec son régiment arracher la France au pouvoir nazi. « C’était en Alsace, nous avions passé trois jours sans pouvoir quitter nos chars, (…) nous étions entassés à cinq dans ce tombeau blindé sur lequel, tout le temps, ricochaient des éclats et des balles. Nous nous fixions les uns les autres, avec nos yeux enflammés, hagards, nous étions conscients que chaque minute pouvait faire de nos corps une bouillie de chairs et de sang, oui, un seul obus aurait suffi. (…) J’ai agi d’instinct. J’ai poussé l’ouverture de la tourelle, je me suis extirpé du char, j’ai sauté dans la neige et je me suis mis à faire les cents pas sous la visée des canons allemands… J’avais l’impression de mordre dans la fraîcheur de l’air, tant chaque gorgée me rendait ivre. Mon corps vivait comme jamais, ou plutôt il redécouvrait ce que la vie aurait pu être si les hommes avaient osé exister autrement.»
Oser exister autrement, quand « une longue suite d’enfermements (…) est rompue par l’espérance de repousser une chape de plomb (…) » et de respirer à l’air libre… Vivre autrement, quand la peur et l’angoisse cessent de dicter nos actes.

Vivre autrement… Ce matin, à l’écoute de la musique originale de l’Evangile, nous sommes invités à ajuster nos vies au tempo du Christ ; nos pas, accordons-les à la mélodie de l’espérance ; entrons dans la danse de la vie plus forte que la mort, ouvrons large nos cœurs, non pour recevoir une autre vie, mais pour vivre autrement, vivre déjà maintenant en Ressuscités.

Lecture de Jean 5,19-24 : Antonio Garcia
«Jésus reprit la parole et leur dit : en vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit faire au Père ; car ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement. C'est que le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il fait ; il lui montrera des œuvres plus grandes encore, de sorte que vous serez dans l'étonnement. Comme le Père, en effet, relève les morts et les fait vivre, le Fils lui aussi fait vivre qui il veut. Le Père ne juge personne, il a remis tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas non plus le Père qui l'a envoyé. En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement mais il est passé de la mort à la vie. »


Le Présent : Isabelle Ott-Baechler et Yves Bourquin
YB : Alors, chers amis, comment va-t-on s’y prendre, nous qui sommes tiraillés entre nos nostalgies d’un paradis perdu et nos rêves d’utopies à venir ? Comment allons-nous nous en sortir… car finalement si l’on est nostalgique du passé, c’est bien que l’on croit qu’aujourd’hui est pire qu’hier ? Comment donc demain pourrait-il être meilleur ? Que nous sert d’espérer encore, finalement nos utopies sont justement des utopies, c’est-à-dire des fantasmes irréalistes ?

IOB : Si nous essayions de trouver autre chose, de regarder ailleurs. Nous sommes peut-être trop axés sur le passé et sur le futur. Regretter et projeter, est-ce là tout ce que nous savons faire ? Il y a quelque chose entre les deux, un fil imperceptible, qui existe pourtant et qui est même le seul réel : c’est le présent ! Ne devrait-on pas vivre plus le présent dans sa fugacité ?

YB : Oui, le présent, c’est l’aboutissement du passé, le résultat, et c’est aussi les milliers d’ouvertures d’espérance, les perspectives infinies dont le moindre instant du présent est porteur. Tout cela participe à une extraordinaire dynamique : mes nostalgies m’indiquent le chemin, ce en quoi je crois vraiment, ce que j’espère vraiment… Mes regrets m’invitent à croire en l’utopie, à me lancer en avant… mon utopie m’invite à l’action dans le présent. Je veux retrouver ce monde perdu… et le retrouver en mieux !

IOB : En fait, toute cette dynamique, c’est l’espérance ! Espérance de retrouver quelque chose du paradis perdu, du Royaume de Dieu. C’est une espérance qui s’incarne dans notre présent et nous invite - nous oblige presque - à œuvrer, à œuvrer en espérant ardemment. Pour que notre œuvre ne se transforme pas en folie - je vous rappelle que ce fut le cas pour presque tous ceux qui ont tenté d’imposer leur utopie au monde, de Platon à Karl Marx, en passant par tous les utopistes révolutionnaires que l’histoire a connus - pour que notre œuvre ne se transforme pas en folie, le décentrement est nécessaire.

YB : Et ce décentrement, c’est remettre l’avenir du monde et notre œuvre à Dieu ! Cela nous ôte le poids de la réussite, sans nous rendre pour autant oisifs et attentistes. Ce décentrement est le seul qui garantisse la liberté de chacune et chacun. Remettre l’avenir à Dieu, cela signifie : « C’est toi qui tiens le monde dans tes mains, quant à nous, nous sommes tes serviteurs imparfaits, qui tenteront avec ton aide de faire ta volonté sur la terre comme au ciel. » Jésus nous invite à voir le présent comme le temps opportun pour l’ouvrage, et c’est ce qui importe, car nul ne prolonge sa vie en la projetant continuellement dans l’avenir.

IOB : Alors, chers amis, nous rêvons nostalgiquement de revoir les neiges d’antan, ou la mer d’Aral regorger de poissons. Soyons utopistes, œuvrons dès maintenant pour notre Terre Nouvelle, car le bon temps, c’est aujourd’hui !

YB : Nous rêvions d’un âge d’or où régnaient la paix et la fraternité, soyons utopistes, et œuvrons pour qu’advienne le Royaume de Dieu dès à présent. Œuvrons pour la paix, pour l’entraide, pour la justice, pour le respect de la terre et du climat, pour la liberté…

IOB : Entre nostalgie et utopie, entrons maintenant dans la danse et vivons, avec Dieu, ce présent aux mille espérances.

Amen.

La nostalgie est un sentiment humain particulièrement complexe qui s’enracine dans des idéaux les plus profonds.
Elle est idéalisation dans l’aujourd’hui, d’un passé doré dont on croit se souvenir, mais qui, en réalité, n’a jamais proprement existé. Cependant, ce même idéal qui fait se transformer le passé et le revisiter, conduit également à rêver de l’avenir.
Qui ne rêve pas à des lendemains restaurés, pour retrouver le paradis perdu d'une nostalgie?En lien avec les oeuvres de Terre Nouvelle et leur travail qui nourri l'espoir de retrouver sur la planète un monde meilleur, Yves Bourquin et Isabelle Ott-Baechler essayerons de voir comment le présent surgit, avec toute son authenticité, comme le seul temps propice à l’acte et donc à la concrétisation des utopies.
Avec toute sa subtilité et sa profondeur nostalgique et utopique, le tango soulignera les mots, mis en relief par l’émotion de cette danse.

Détails

Avec la participation de
Yves Bourquin et Isabelle Ott-Baechler pour une prédication à deux voix ainsi qu' Antonio Garcia
Orgue
Antonio Garcia
Musique
Julien Paillard, accordéon