La tentation du pouvoir

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Écouter le culte :

GM : Nous voici donc arrivés à la troisième tentation de Jésus : « Le diable emmena encore Jésus sur une montagne très haute, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire, et lui dit : « Je te donnerai tout cela si tu tombes à mes pieds pour te prosterner devant moi. » Jésus lui dit : « Va-t'en, Satan ! Car il est écrit : « C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras et c'est à lui seul que tu rendras un culte. » Alors le diable le laissa, et des anges vinrent le servir. »

JDK : Cette troisième tentation me rappelle d'abord Dostoïevski, les frères Karamazov et la légende du Grand Inquisiteur. Peu importe l'histoire. Ce qui nous intéresse, vois-tu, c'est l'interprétation que donne l'auteur russe de cette troisième tentation. Le Grand Inquisiteur fait remarquer à Jésus que son Eglise a complètement cédé à cette tentation. Elle ne cesse de se prosterner devant le diable pour avoir du pouvoir sur les royaumes de ce monde. Elle veut partager et même posséder leur gloire. Jésus a donc perdu son pari : il n'est pas possible, même à l'Eglise, même aux disciples de Jésus de résister à cette tentation du pouvoir.

GM : Mais comment Dostoïevski peut-il prétendre que l'Eglise a cédé à cette tentation ?

JDK : Eh bien, l'Eglise est devenue une puissance de ce monde. Elle cherche à y jouer le jeu du pouvoir. Le Vatican, par exemple, est un Etat. Il entretient des relations diplomatiques avec d'autres états. Il se fait ces temps-ci remettre à l'ordre par l'ONU. Ou bien les fondamentalistes protestants américains qui se regroupent dans le Tea Party, ils cherchent à prendre le pouvoir aux Etats-Unis. Ou encore, dès que le communisme s'est écroulé, l'Eglise orthodoxe s'est profilée comme une force politique dont les divers présidents russes devaient et doivent absolument tenir compte...

GM : Ce que dit Dostoïevski était peut-être valable au XIXe siècle. Admets que les choses ont évolué depuis. Le pouvoir de l'Eglise a bien diminué. Regarde comment le Vatican est obéi lorsqu'il interdit la contraception ou qu'il refuse de reconnaitre le droit des divorcés au remariage !

JDK : C'est vrai que tout change, mais en un autre sens beaucoup de choses restent fondamentalement les mêmes. On nous envoie dans le monde pour le transformer en changeant les coeurs. Or que faisons-nous ? On cherche à influencer la culture, à marquer les institutions d'une coloration chrétienne. Plutôt que de changer ce qui est au coeur de l'homme, on cherche à changer ce qui lui est extérieur.

GM : Tu sais, j'aime bien cette expression : « Joindre les mains, ce n'est pas se croiser les bras ! ». Il n'y a pas que l'intérieur de l'homme qui compte. Il faut que l'Evangile porte du fruit. L'Eglise doit aussi faire correspondre ses actes et ses paroles.

JDK : Je ne saurais te donner tort sur ce dernier point. Mais ne trouves-tu pas que les Eglises sont habitées par une obsession : être visibles ? C'est symptomatique : le Vatican a calculé que le pape François avait une audience trois fois supérieure à celle de son prédécesseur. Qu'est-ce qu'on veut dire par là ? Qu'il est un meilleur pape que son prédécesseur. Qu'il est plus efficace. Qu'il permet à l'Eglise de retrouver un peu de sa puissance perdue.

GM : D'accord, peut-être pour nos frères catholiques. Mais chez nous protestants, c'est aller trop loin que de dire qu'on veut le pouvoir, la visibilité pour être puissants.

JDK : Mais regarde donc notre propre Eglise. Elle s'est fendue d'une campagne de publicité pour engager davantage de monde à la rejoindre. Son slogan est : « L'Eglise ça engage ! ». C'est, à mon sens, symptomatique que le slogan recentre l'attention des passants sur l'Eglise. Si elle avait dit : « L'Evangile, ça engage », passe encore, mais l'Eglise ! Elle n'a qu'une obsession : elle-même. Et pourquoi est-elle ainsi centrée sur elle-même ? C'est parce que ce qui lui importe, c'est de retrouver du pouvoir. Ce n'est pas l'Eglise, c'est Dieu qui doit avoir le pouvoir dans nos vies !

GM : Admettons que tu aies raison sur ce point. Pourtant, l'Eglise protestante vaudoise ne représente pas tout le protestantisme ! Les protestants n'ont-ils pas toujours tenté de bien séparer le pouvoir séculier et les activités de l'Eglise ? C'est bien la Réforme qui nous a appris que Dieu régnait de deux manières différentes : par l'Etat qui est chargé d'appliquer la loi de Dieu, et par l'Eglise qui est appelée à prêcher Son évangile !

JDK : Si seulement les protestants mettaient en pratique la doctrine des deux règnes de Dieu! Mais regarde ce que fait la Fédération des Eglises Protestantes de Suisse : elle aimerait elle aussi devenir plus visible face aux autorités politiques. Pour ce faire, elle voudrait représenter tous les protestants de Suisse. Elle aimerait parler en leur nom, ce qui n'est pas le cas actuellement. Et elle milite pour que le protestantisme donne envie, se serre les coudes, etc. A la limite, elle ne veut pas que les Suisses deviennent chrétiens, mais deviennent protestants. Ainsi, les valeurs protestantes risqueraient d'être prises au sérieux dans le monde. Si ce n'est pas céder à la troisième tentation de Jésus, eh bien, je n'y comprends plus rien !

GM : C'est vrai que c'est tentant. Mais ne cédons quand même pas au misérabilisme ! Il n'y a pas besoin d'être misérable pour être dans le vrai !

JDK : Entièrement d'accord, mais considère les effets pervers qu'il y a à vouloir dominer la terre.

GM : Oh oui ! Il n'y a qu'à écouter le deuxième texte que nous avons entendu tout à l'heure. C'était dans l'évangile de Marc. Tu auras pu remarquer que la demande des fils de Zébédée, Jacques et Jean, de partager la gloire de Jésus crée l'indignation parmi les autres disciples. La volonté de puissance crée des divisions.

JDK : Ça va de soi. Quand quelqu'un veut être glorieux, puissant, visible, il crée des envies. Les autres se disent naturellement : pourquoi pas moi ?

GM : C'est bien pourquoi Jésus recommande à ses disciples de faire comme lui, alors qu'eux ont déjà cédé à la troisième tentation : celle du pouvoir sur leur prochain. Il leur faut apprendre à servir plutôt qu'à chercher à être servis.

JDK : Si je te comprends bien, s'il n'a pas été entendu par les Eglises, Jésus a été entendu par tous les politiciens que je connais ! En connais-tu un seul qui ne dise pas dans son programme électoral de chercher le plus grand bien de tous ?...

GM : Là aussi il y a un gouffre de la parole aux actes. En connais-tu beaucoup qui servent réellement ? Quelques-uns peut-être. La plupart se servent eux-mêmes, peut-être servent-ils leurs amis. Il suffit de voir combien compte pour eux leur réélection !

JDK : Dis-moi pourtant, il y a toujours quelque chose qui m'a paru bizarre dans la réponse que fait Jésus à ses disciples après cette demande des fils de Zébédée. Il leur dit: « Si vous voulez devenir grands, devenez des serviteurs et quiconque veut être le premier parmi vous, qu'il se fasse l'esclave de tous. » Jésus ne dit pas : « Ce n'est pas bien de vouloir être grand ou de vouloir être le premier dans une communauté. » Il dit : « Si vous voulez être grand, si vous voulez être le premier... » C'est donc que ce n'est pas interdit d'être grand ou d'être le premier!

GM : C'est que Jésus sait de quel bois nous sommes faits. Il sait que nous sommes pécheurs. Nous n'avons qu'une envie : être puissants, au détriment même de Dieu. Il nous prend au mot : « Vous voulez être plein de pouvoir ? Eh bien, il n'y a qu'un moyen : faire comme moi : soyez au service des autres ».

JDK : Oui, mais je n'y comprends quand même plus rien : quand on est au service de Dieu ou au service des autres, alors on n'est plus puissant !

GM: Justement, Jésus fait ainsi sauter de l'intérieur la volonté de puissance qui nous habite tous. Si Jésus m'avait dit : « Ce n'est pas beau d'être puissante », il m'aurait découragée. C'est humainement impossible de renoncer à être au pouvoir, ne serait-ce que sur ma propre vie. Il ne m'interdit pas d'être puissante. Il m'encourage au contraire à partager la puissance de Dieu. Alors je suis vraiment puissante. Jésus ne faisait donc pas une fausse promesse en disant qu'en servant les autres je pouvais être puissante. Simplement, il me faut comprendre tout autrement cette puissance.

JDK : Si je te comprends bien, tu partages alors ce qu’on appelle la puissance de l'amour.

GM : Exact ! Et allons plus loin ! Tu participes alors vraiment au règne de Dieu. C'est que Dieu veut régner seulement par son amour, en nous venant en aide.

JDK : Si je comprends toujours bien : se prosterner devant le diable, c'est vouloir être puissant comme ceux qui « paraissent gouverner les nations » tandis que se prosterner devant Dieu, c'est se mettre au service de l'amour de Dieu.

GM : Entièrement d'accord ! Cependant, c'est plus facile à dire qu'à vivre !

JDK : Tu peux le dire ! Tu sais, toi, comment faire pour ne plus vouloir dominer les autres? Tu sais ce qu'il faut faire pour se mettre vraiment au service des autres ? Mais ici le troisième texte que nous avons entendu tout à l'heure peut peut-être nous aider.

GM : Celui de la tentation de Jésus à Gethsémani ?

JDK : Oui ! Il se déroule dans un jardin, comme ce fut le cas pour la première tentation d'un homme, pour la tentation d'Adam. La différence, c'est qu'Adam y succomba, tandis que Jésus y résista.

GM : C'est vrai. Au jardin d'Eden, au jardin de Gethsémani, sur la très haute montagne, c'est toujours la même tentation : celle d'être puissant. On veut avoir du pouvoir sur sa vie et sur celle des autres. Mais quelle est alors la solution que propose Jésus ?

JDK : Elle est très simple : savoir dire constamment à Dieu : « Non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux ». On devrait terminer toutes nos prières de demandes avec cette affirmation. On devrait se la redire dès qu'on sent qu'on veut être puissant, qu'on désire être admiré, visible.

GM : Toujours l'humilité ! C'est facile de la recommander, c'est facile de répéter à l'infini « Non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux », mais comment le vivre ?

JDK: La seule solution, c'est de prier Dieu, comme le fait Jésus, de nous aider.

GM : Tu as raison : c'est finalement le seul moyen d'être humble. Il faut humblement reconnaître que nous ne pouvons pas être humbles par nos propres forces. On ne peut l'être que grâce à Dieu.

JDK : C'est aussi vrai de toutes les tentations auxquelles nous sommes soumis. Nous ne pouvons leur résister par nous-mêmes. Nous n'avons pas la force de vivre de pain et de la parole de Dieu. Nous ne savons pas comment renoncer à être immortels ou à demander des miracles. Nous ne pouvons pas décider de ne pas être puissants, mais de servir. Il faut que Dieu nous donne chaque jour la force de dire en vérité : « Non ce que je veux, mais ce que Tu veux » ou encore : « Que Ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».

Amen.

Comme à Jésus, les royaumes du monde sont présentés aux humains comme une tentation. Il y a un rêve qui habite tout homme, d'une manière ou d'une autre: maîtriser sa vie (cf. culte du 23 février), maîtriser Dieu (cf. culte du 2 mars), mais également maîtriser autrui et les circonstances du monde.

Le pasteur Jean-Denis Kraege souligne les méfaits de la toute-puissance. Il propose d'envisager les bénéfices à tirer d'être dans l'attitude de « rendre un culte à Dieu seul ».

Détails

Avec la participation de
Gilda Morand et Jean-Denis Kreage pour une prédication à deux voix et Suzy Spring pour la liturgie.
Orgue
Romain Mayor
Musique
Chorale "Post Sriptum", formée de membre de divers choeurs de Lausanne et Genève, sous la direction de Romain Mayor

En collaboration avec