Parlez!

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Écouter le culte :

1. Premier mur
Je vais vous raconter une histoire précieuse car c’est la première fois que je la raconte. Elle est liée à moi, à ma vie mais aussi profondément à la résurrection, à quelque chose qui me dépasse complètement. J’ai fait une rencontre à Göttingen, en Allemagne, tout près du mur. Je n’en ai jamais parlé en public, même pas aux amis avec qui j’étais.

Pour faire court, nous étions donc quelques amis quittant le Danemark en voiture, nous avions 24-25 ans et vers la ville allemande de Göttingen, tout au nord de l’Allemagne, il était possible de sortir de l’autoroute et d’aller assez rapidement regarder le mur ! Regarder un mur diront les jeunes?
Regarder Le mur qui traversait l’Europe, ce ruban de béton, ce rideau de fer que l’on pensait ne jamais voir tomber et qui séparait toute l’Europe en deux. Comme une porte fermée, verrouillée sur la plus grande prison du monde entre l’est et l’ouest.

Alors on s’arrête avec les amis, on doit marcher un peu sur un chemin pour atteindre –disons - ce que je nommerais un point de vue. Et voici, planté devant nos yeux, sur un piquet, avec des couleurs vives un panneau disant de ne pas aller plus loin, que la République fédérale allemande s’arrête ici. S’en suit une prairie très très verte qui met à distance ce mur bétonné, surmonté de barbelés, avec au loin quelques miradors. On devine l’organisation de ce mur sans fin, les chemins de ronde, les zones fraîchement labourées pour vérifier qu’il n’y a pas de passage, on n’entend pas les chiens, c’est calme, derrière le mur des forêts, un village. Nous prenons quelques photos. C’est une saignée dans ce coin de nature si paisible.

Soudain sans que je ne les aie vu venir, deux hommes sont à nos côtés. Je suis frappé, ému, par les yeux lumineux et bons de ces deux personnes. Tout de suite je me dis que je les connais, ils me sont familiers, comme si je les avais rencontrés mais, c’est impossible ! L’un est grand, barbu et nous parle en allemand nous demande d’où nous venons. Le plus petit est noiraud et ne dit rien. Soudain, le grand me demande ce que je fais dans la vie ? Je lui réponds que je suis étudiant en théologie, c’est là que tout devient irréel, que l’on quitte le raisonnable. Il me dit directement, « choisissez-bien votre première paroisse, tout en dépend ! ».

C’était impossible qu’il sache ce que je vivais, j’étais effectivement en tractation secrète pour ma première paroisse et je n’étais pas sûr, je ne sentais pas bien les choses mais que faire, une seule place de travail s’offrait... sinon pas de travail… Quand je me suis retourné pour lui poser une question ils s’en étaient allés, comme ils étaient venus, je ne les ai pas vu arriver, je ne les ai pas vu partir... mais qui c’étaient que ces gens-là qui savaient des choses de moi tellement importantes, secrètes, il y avait ces yeux lumineux, cette gentillesse, cette impression de les connaître !

Mes amis, je ne sais pas par qui j’ai été visité ce jour là, au bord du mur, alors dans ma mémoire, dans mon cœur, j’ai créé un tiroir nommé le Christ de Göttingen, cela sonne bien, parce que je ne sais toujours pas qui j’ai rencontré ce jour-là. Mais c’était un bonheur au-delà des mots, il n’y avait pas de crainte, mais c’était impossible que cela soit vrai. Et c’est une histoire vraie, je ne sais pas ce qu’en ont perçu mes amis…

Ce que j’ai fait de son conseil ? « Tout en dépend ! ». Vous aimeriez savoir ? Je vous le dirai à la fin de cette prédication, il faut revenir à ce qui est vraiment essentiel, c’est Pâques, la résurrection qui nous a été annoncée!

2. Deuxième mur : la parole bafouée des femmes
Nous le savons aujourd’hui grâce aux chercheurs qui se sont intéressés à ce que valait la parole des femmes autrefois, au temps d’Hérode, la réponse est pas grand-chose. Les hommes avaient la primauté et ce qu’ils disaient était vrai, le témoignage des femmes venait ensuite, les enfants et les fous étant placés au même niveau.

Vous me direz heureusement que cela a changé ! Oui, bien sûr ! En fait, nous le savons, mais le monde a-t-il tellement changé dans sa globalité, quand on entend les femmes de l’Inde hurler au viol et s’entendre répondre qu’elles étaient au mauvais endroit. Comment lutter contre ce fléau du mal rajouté au mal ? La parole bafouée des femmes !

Les disciples dans l’Evangile n’ont pas affaire à des inconnues, ce ne sont pas des femmes ramassées sur un bord d’autoroute, ce sont leurs amies, leurs mamans, leurs compagnes peut-être. Mais les indécrottables préjugés qui nient la parole des femmes, à Pâques, comme ailleurs sont insensés, coupables. C’est dur la tradition non écrite, les murs immuables entre les êtres. Ici la parole bafouée des femmes.

3. Jeanne
Tiens, à propos de ce groupe de femme, je vous fais un personnage isolé, en forçant un peu le trait, un tout petit peu : Jeanne. Dans les femmes qui sont citées dans la Bible, vous connaissez les Maries et parfois si les Evangiles ou nous-mêmes nous les mélangeons, toutes ces femmes présentes autour de ce maître nazaréen qui les a emportées dans sa destinée improbable sont remarquables.

Mais Jeanne, qui connaît cette Jeanne, femme de l’ombre et de lumière qui s’est arrachée avec douleur à sa conditions sociale pour suivre ce cortège bariolés de petits pêcheurs et de femmes de peu de vie lâchant son palais et sa richesse ? Mais avec quel bonheur elle ouvrira son cœur et sa fortune. Jeanne, femme de Chouza, oh ! combien son mari au service d’Hérode pouvait être en difficulté avec cette épouse disparue sur les chemins au service de ce nazaréen que craignait tant le roi, et elle, femme d’intendant, vivant sa vie de femme libre, elle assurait avec des Suzanne, des Marie et tant d’autres la nourriture et la boisson de ce Jésus de Nazareth et des ses compagnons dont on parlait en mal dans les couloirs mortifères du palais d’Hérode qui n’était déjà plus le roi mais ne le savait pas encore.
Et à l’aube profonde, quand dorment sur leurs biens et sur leurs certitudes tous les hommes et les femmes, les intendants et les rois, quelques femmes brisent la nuit comme un vase de parfum, comme s’il fallait à la mort y rajouter la peine et à nouveau vérifier son chagrin. Jeanne, parmi d’autres femmes, témoin des événements de la résurrection. Souvenez-vous de Jeanne, sa mémoire et sa parole sont vraies.

Donc je vous avais prévenu, je vous ai fait un personnage, Jeanne, et j’espère que vous avez vu Jeanne, car elle est effectivement femme de l’intendant d’Hérode et témoin de la résurrection, rien de moins.


4. Aube profonde
Tout autre chose qui nous échappe pas ce jour-ci, la météo :
Troisième mur : l’aube profonde
A première vue, ce mot « l’aube profonde » c’est comme un rêve poétique.
C’est beau comme tournure de mot : « l’aube profonde ». Elles se lèvent et s’en vont à « l’aube profonde ».
Peut-être que nous avons là un vieux reste du parlé hébreu, comme pour dire, entre chien et loups, à la levée du jour, ou au bout de la nuit.
Moi je ne sais pas comment vous dites quand vous vous levez hyper tôt, l’heure des horlogers dit mon fils ! par exemple.

Quand je choisis de me lever à l’aube profonde c’est pour une raison, et vous aussi.
Ou quand on se réveille malheureusement à l’Aube profonde, la maladie, le sommeil qui s’enfuit, c’est une autre raison.
Parfois c’est pour quelque chose de spécial et de joyeux : comme escalader un sommet très élevé, observer la nature, partir en voyage ou plus sérieux, aller travailler, réveiller un enfant.
Mais encore c’est pour se cacher et j’imagine bien ces soldats, ces messagers se glisser dans les pays en guerre à l’aube profonde pour parvenir à leur poste, avant le jour, éviter les snippers. Aujourd’hui, là-bas, en Syrie, pour tous, l’Aube profonde semble durer, comme le mur à Göttingen, on dirait que la nuit se plait à s’éterniser.

Mais, mais mais mais, le Christ est ressuscité, il l’est déjà au moment ou commence l’aube profonde des gens, notre aube profonde.


5. Dernier mur
Quatrième et dernier mur : la mémoire, citron, ballon, clé. Je vous explique !
Les deux types brillants, lumineux – enfin tout ce que vous voulez bien comprendre - qui se tiennent devant le tombeau demandent aux femmes de se souvenir de ce qui a été dit par le maître et de l’appliquer au présent ! Je répète parce que c’est très important : se souvenir de ce qui a été dit par le maître et de l’appliquer au présent !
L’appui sur la mémoire de ce que le Christ avait dit.
L’appui pour nous sur la mémoire de ce que nous avons vécu d’essentiel dans nos vies de foi !

Secouez-vous ! Les trésors enfermés dans nos vécus, dans nos mémoires, à tous ceux que je vois maintenant devant moi et ceux que je ne vois pas, vous les auditeurs. Secouez-vous, dans vos mémoires, il y a quelque chose. Qu’est-ce que nous en faisons ? Mourir avec nos moments forts spirituels, avec les réponses à nos prières, ces moments uniques, habités, est-ce que c’est ce qui nous est demandé ? De nous taire à jamais ou de parler, de témoigner maintenant ?
Elles sont magnifiques les femmes rompant l’aube profonde, elles ont parlé, au risque de s’entendre dire : vous êtes des sottes, des niaises. - ils devaient avoir encore d’autres qualificatifs - mais elles avaient raison et ont annoncé la résurrection. Et nous tous, hommes, femmes, enfants, vous qui écoutez au loin, ce que vous portez en vous-mêmes au travers de votre vie de l’expérience de la foi, de l’expérience de la résurrection, parlez-en. Ne mourrez pas avec vos trésors de foi.

Bien sûr, l’incrédulité sera au rendez-vous.
Folie de la croix.
Folie du tombeau vide.
Folie de la résurrection.
Mais, parfois, une pierre se met à bouger un peu dans le mur.
Parlez-en ! Il est temps. C’est l’heure.

6. Parler au nom du Vivant
Göttingen, vous voulez savoir la fin ? Vous aurez peut-être été marqués par ce mot de l’aube profonde, ou par Jeanne, ou par le récit de Luc 24 raconté par Béatrice, relisez-le.

Quant à moi j’ai partagé un de mes trésors, rencontré deux hommes aux yeux brillants, qui savaient tout de moi et qui m’ont dit « choisissez bien votre première paroisse, tout en dépend ! ». En rentrant en Suisse, j’ai refusé le seul poste qui m’était proposé. Je n’avais plus rien. C’est une folie, j’ai suivi le conseil reçu ! Heureusement, deux mois après, le téléphone sonnait, une porte s’ouvrait sur une paroisse qui transformera ma vie en bien, pour tout un tas de raison, un bien magnifique. Le Grand avait raison. Peut-être bien que le Christ s’est arrêté à Göttingen, peut-être que je l’ai rencontré ou pas ! Aujourd’hui c’est Pâques, c’est l’heure de secouer nos aubes profondes et de parler.

Au nom du Vivant.

Amen

Détails

Avec la participation de
Béatrice Dépraz
Orgue
Daniel Meylan
Musique
Chœur Camerata Baroque sous la direction de Daniel Meylan