Temps passé, temps présent, temps futur… Que faisons-nous du temps donné ?

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Écouter le culte :

(Sur un ton joyeux) « Ca y est, on y arrive, à la fin de cette année ! » Mouais, j’ai dit ça d’une manière joyeuse… Mais peut-être que pour certains d’entre vous, j’aurais dû employer un autre ton : (Sur un ton triste) « Ca y est, on y arrive, à la fin de cette année ! » Ou bien : (sur un ton fatigué) « Ouf ! Ca y est, on y arrive, à la fin de cette année ! » Ou bien encore : (sur un ton impatient) « Alors ca y est ? On y arrive, à la fin de cette année ?! »

Bon, quoi qu’il en soit, que je dise ça sur un ton joyeux ou triste, fatigué ou impatient, on va y arriver, à la fin de cette année. Et le ton qu’on emploie pour en parler dépend simplement du contenu de l’année écoulée, de ce qu’on y a vécu de découragement ou d’espoirs. En bref, notre perception de cette année, et aussi de celle qui va commencer, dépend de notre relation au temps…

Ces derniers jours, j’ai entendu plusieurs personnes s’exclamer : « C’est fou ce qu’elle a passé vite, cette année. » D’autres, qui ont des projets pour l’automne prochain, disent : « On y sera vite. » Oui… ça, c’est le privilège de ceux dont les journées sont bien remplies. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Par exemple, moi j’ai connu durant mon adolescence une période durant laquelle je suis resté deux mois sur un fauteuil roulant. Cela m’a donné l’occasion d’expérimenter la sensation que je n’avais pas la même pendule que les autres. Au fond, la seule chose qui soit certaine quant au temps, c’est qu’il est tout à fait relatif ! Mais ça, vous le savez comme moi, même si nous ne nous appelons pas Einstein…

Ah le temps !… Vous avez remarqué ? A notre époque, qu’on appelle « post-moderne », la profusion des activités humaines a changé notre relation au temps. Notre époque, où les relations entre les gens sont scandées par l’horloge à timbrer, le chronomètre au poignet et le Smartphone dans le veston, est devenue un temps où l’on n’a plus le temps de perdre son temps, sauf par gain de temps. Ce qui est quand même un comble ! Et si l’on s’arrête de temps en temps, c’est seulement parce qu’on attend… avec l’angoisse de ne pas arriver à temps. On aimerait tellement vivre des temps forts ! Alors on en arrive à parler « d’espace-temps », ce qui signifie généralement qu’on n’en a pas beaucoup. On se plaint quand le temps s’étire, mais tout le monde dit que les temps sont durs. Faudrait savoir !

Les seuls qui trouvent le temps long s’inventent des passe-temps pour tuer le temps. Tuer le temps !… Pourtant on peut en faire des choses, dans un temps mort. Alors on s’agite à plein temps… Comme s’il y avait du temps vide ! Et comme on ne veut plus faire les choses à temps perdu, on dit : « J’ai pas trouvé le temps ! » Et on ajoute : « Je ferai ça en temps utile »… Comme s’il y avait du temps inutile ! Rappelez-vous, en d’autres temps, on savait se donner du temps. Maintenant, on arrive tout juste à prendre du temps... quand on trouve le temps. On aimerait bien rattraper le temps, mais on ne le voit même plus passer, par les temps qui courent. C’est quand même curieux que ce soit dans la nuit des temps qu’on avait le plus clair de son temps ! C’est bien dommage, parce qu’à force de contrer le temps, on vit à contretemps…

Voilà, ce petit exercice de style n’avait pour but que de vous montrer combien nous sommes contradictoires, quand il s’agit du temps. C’est qu’on voudrait bien tout maîtriser, mais on se rend bien compte que le réel, le monde, et même notre propre vie, nous échappent. Alors on se donne l’illusion de dompter le chronomètre. Vous voulez que je vous dise ? Je crois que c’est une des explications de l’agitation hystérique qui vient de se produire autour du 21 décembre, vous savez, la fin du monde, l’éruption solaire, l’inversion des pôles, et tout ça… Je ne voudrais pas jouer les psychologues de comptoir, mais je crois qu’il y a derrière cette prétention à connaître la date de l’apocalypse un besoin inconscient de maîtriser le temps. Comme on a l’impression, en lisant les journaux, de ne plus rien maîtriser, ni la chose politique, ni la situation économique, ni même les valeurs morales, on aimerait bien connaître la date de la fin du monde. Ca ferait au moins une chose qu’on connaît, faute de l’empêcher. Eh bien c’est raté : aucun calendrier ne maîtrise le temps ! Ni le calendrier Maya, ni le calendrier de mon chauffagiste, que j’ai suspendu à la cuisine.

Personne ne maîtrise le temps ? Eh bien tant pis ! C’est le premier des deux messages que je voudrais vous transmettre ce matin. Nous avons l’impression que le temps nous échappe ? Eh bien, d’une part, c’est parfaitement exact, et d’autre part, tant pis ! Pourquoi ? Parce que notre temps est dans la main de Dieu. C’est ce que disent en substance les textes bibliques que nous avons entendus : quels que soient nos temps, ils sont dans la main de Dieu. Et Dieu, il a tout son temps pour nous, parce que sa bienveillance et son amour, eux, ne durent pas qu’un temps.

Oui, j’aimerais que vous vous souveniez du Psaume 90, chers amis. Il nous rappelle que notre temps est un temps donné, et qu’effectivement ce temps est limité. D’après les statistiques, notre temps de vie est de plus en plus long. Il nous paraît court, ce temps à vivre : vivre 80 ans, c’est vivre 29’200 jours. Ce n’est pas un nombre si considérable, en fin de compte. Ca passe vite, entre le berceau et le cercueil ! En plus, aucun de nous ne sait quand il passe son apogée, le meilleur de sa vie. Alors le vieillissement nous fait peur. C’est ce que le Psaume 90 décrit. Nous avons à la fois envie de vivre vieux et peur de vieillir. 29’200 jours, ça fait 700'800 heures. Alors nous avons peur d’un temps qui paraît toujours trop long, quand on ne peut plus rien faire d’autre que d’écouter « la pendule au salon, qui dit oui, qui dit non »...

Le paradoxe, c’est que nous ne nous intéressons pas vraiment au contenu du temps. Chaque jour nous refaisons les mêmes choses. Réveil, salle de bain, petit déj’, transport, bouchons, boulot, supermarché, transport, bouchons, souper, TV, coucher... On a ses habitudes, sa routine. Et les événements du monde aussi ont leur routine. Il faut bien reconnaître qu’on n’a pas eu de grandes surprises en 2012 : comme auparavant, il y a eu des élections présidentielles et des jeux olympiques, des guerres, des catastrophes et des scandales. Qohéleth le constatait déjà à son époque, trois siècles avant Jésus-Christ : ce sont toujours les mêmes ressorts qui font agir les hommes ; la soif de pouvoir, d’argent et de plaisir. Alors, qu’est-ce qui peut changer ? En tout cas pas les humains : cette année comme d’habitude, les rigoleurs ont rigolé, les galériens ont galéré, les magouilleurs ont magouillé et les rouspéteurs ont rouspété. Et en 2013, ce sera encore plus la même chose, si je puis dire. C’est bien ce qu’écrit l’Ecclésiaste : « Ce qui a existé existera encore [...] Il n’y a rien de nouveau sous le soleil ».

En fait, on ne devrait jamais se lamenter de ne pas maîtriser le temps et ce qui s’y passe. Cela ne veut pas dire qu’on ne devrait rien faire pour améliorer le monde ; au contraire ! Mais on ne devrait jamais se lamenter de ne pas arriver à tout faire, et simplement tenter de faire ce qui peut être fait dans le temps qui nous est donné. Le Psaume 90 exprime bien qu’il y a un travail de lucidité à accomplir. « Tu as placé […] nos secrets à la clarté de ta face. » Cela c’est pour Dieu, mais l’humain manque de clairvoyance sur lui-même. Et surtout, le bilan ne sera pas complet sans être accompagné d’un travail d’humilité, d’où cette demande à Dieu : « Fais-nous comprendre que nos jours sont comptés. Alors nous acquerrons un cœur sage. » Oui, il faudrait que nous parvenions à acquérir cette sagesse du temps, c’est-à-dire renaître chaque jour à la gratuité du don de Dieu. Si nous parvenions à percevoir réellement notre temps comme une grâce divine, alors notre rapport au temps serait facilité.

Dans le fameux passage d’Ecclésiaste 3, on retrouve cette même notion de temps donné, mais avec une précision : le contenu du temps nous échappe totalement ! Il y a un temps pour ceci… Il y a un temps pour cela… Bon, mais comment savoir quel temps est prévu pour telle ou telle chose ? En définitive, seul Dieu connaît le sens du temps.

Naître à la gratuité du don de Dieu pour faciliter notre rapport au temps, c’est en d’autres mots le même thème que nous retrouvons dans l’Evangile de Matthieu, dans ce célèbre passage sur la confiance en Dieu. Voilà mon second message, ce matin : dans la confiance en Dieu, notre temps ne sera plus à subir, mais à habiter. Il nous faut redécouvrir la confiance. Non pas une confiance passive, dans un détachement soi-disant oriental. Non pas une confiance qui mépriserait nos besoins. Au contraire, il s’agit d’une confiance qui consiste à recevoir ce dont on a besoin. Rien à voir avec la résignation !

Calvin disait qu'il y a « un milieu à trouver entre la nonchalance lourde et les tourments excessifs ». C’est qu’il a bien vu que le Christ n'interdit pas de nous préoccuper de ce qui nous arrive ; par contre, il nous interdit de penser que nous seuls nous en soucions, comme si Dieu ne venait pas partager nos peines et nos soucis. Dieu aussi fait attention à nous ! Ca me rappelle l’excellente conclusion d’un sketch d’Anne Roumanoff : « Je passe ma vie à faire attention, au lieu de faire attention à la vie. » Heureusement que Dieu fait attention à notre vie !

Mais l’heure tourne, et il est temps que j’arrive au terme de ma prédication. L’ennui avec le temps, c’est qu’on ne peut pas le mettre en réserve. On peut tout accumuler : l’argent, les maisons, les bouteilles d’eau minérale et les sachets de haricots secs en cas de fin du monde. On peut tout amasser, sauf... le temps ! Je dis toujours que le temps est la seule de nos richesses qui soit strictement non renouvelable. Plus on en gaspille derrière soi, moins on en a devant soi.

Jacques Brel chantait : « Il y a deux sortes de temps : le temps qui attend et le temps qui espère. » Si nous voulons vivre le temps qui nous est donné, il faudrait en faire… un temps qui espère. Car au fond, c’est de cela qu’il s’agit. Certains se demandent s’il y a une vie après la mort. Mais la vraie question est de savoir s’il y a une vie avant la mort.

En résumé, le plus important dans cette vie, est de savoir saisir les bons moments, même si l’on a l’impression d’être les jouets du temps ˗ premier message. Mais chacun de ces moments est un cadeau de Dieu, dont la providence est sans limite et nous invite à la confiance ˗ second message. « Carpe Diem », cueille le jour, écrivait Horace dans un poème qu’on a trop souvent confondu avec un hédonisme de basse morale. Mais il s’agit de l’invitation universelle à vivre le moment présent. On la trouve par exemple aussi dans la sagesse japonaise : « Ichi go ichi e », ici et maintenant.

Evidemment, il n’est jamais facile de se détourner des regrets pour hier, ou des craintes pour demain. Mais, selon le Psaume 90, Dieu nous accorde son amitié. Alors, dans l’amitié de Dieu, vivons juste le temps donné à présent (comme disent les Vaudois), parce que ce temps présent est celui de la rencontre avec nous-mêmes, avec les autres et peut-être… de la rencontre avec Dieu.
Amen !

Détails

Avec la participation de
Loraine Krafft et Jean-Luc Crisinel
Orgue
Anne-Caroline Traube
Musique
Alain PERRET, trompettiste