Nouveau sens à l'Epiphanie

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Presque arrivés ! Plus qu’un petit bout de montée et ils arriveront à Jérusalem. Venue des confluents lointains du Tigre et de l’Euphrate, la caravane des mages d’Orient s’avance au rythme des chameaux depuis bientôt cinquante jours. Ils se sont mis en route car la science des astres leur avait appris l’avènement d’un nouveau roi des Juifs.
Selon la légende, ils seraient trois du nom de Gaspard, Melchior et Balthazar, des savants astrologues, très respectés dans leur pays. Ils sont riches et ils portent avec eux des cadeaux de grande valeur : de l'or en reconnaissance de la royauté, de l’encens en reconnaissance de la divinité, et de la myrrhe, un parfum précieux tiré d’une plante, en reconnaissance de l'amour du nouveau roi pour son peuple.

À l’approche de la ville sainte, les gens remarquent ce somptueux cortège. Certains le suivent. Les mages d’Orient vont aux nouvelles : où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Les gens les dirigent alors vers le palais d’Hérode.
Normal … puisqu’il s’agit d’un nouveau roi. Et les rois habitent dans des palais, c’est bien connu. Hérode en était même friand, lui qui s’était fait une solide réputation de bâtisseur de forteresses, palais, châteaux et même un bout du temple !
Mais voilà, il n’y a pas de nouveau roi au palais d’Hérode.
Ce roi de Judée par la grâce des Romains - qui n'a rien à voir avec la vie religieuse d'Israël - est un homme politique habile doublé d’un tyran cruel qui n’hésite pas à liquider ceux qui dans sa famille ou son entourage pourraient le gêner.

Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Cette question, Hérode l’entend avec inquiétude. C’est quoi cette histoire de nouveau roi ? Le roi c’est moi ! Un point c’est tout ! Et je n’ai pas l’intention d’abdiquer et encore moins de me faire chasser de mon trône !
Cette question l’intrigue néanmoins. Il réunit tout ce que Jérusalem compte en responsables religieux et savants spécialistes de la loi, pour leur faire part de la question des sages d’Orient.
Mais curieusement, et presque malgré lui, Hérode va donner une tout autre dimension à ce débat. Car il ne leur demande pas "Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?" Mais "Où est-ce que le Messie doit naître ?" Hérode n’a rien à craindre de sa famille, ni des intrigues de la cour : il les tient dans une main de fer. Ce n’est pas de là que viendra un nouveau roi.
Non, celui qu’il redoute est le roi de la lignée de David, un roi accompagné par Dieu lui-même, le Messie.
Hérode interroge donc les spécialistes du culte et de la théologie. Où est-ce que le Messie doit naître ? Et la réponse vient, immédiate, incontestable, biblique : c’est un mélange d’une prophétie de Michée et d’une parole du deuxième livre de Samuel. Le premier texte prophétise pour Bethlehem une gloire incomparable. Dans le 2e, Dieu promet à David un descendant qui sera le vrai berger d’Israël.
Donc, ils indiquent au roi la ville de Bethlehem. Et Hérode y envoie les mages, avec des arrières pensées sinistres. Il a son petit plan déjà tout préparé ! Dieu va déjouer ce projet meurtrier par un rêve : en effet, après avoir accompli ce pour quoi ils avaient fait tout ce voyage, les mages, avertis par un songe, rentrent au pays par un autre chemin.

Cette rencontre entre l’autorité politique, le pouvoir religieux et la sagesse des savants d’Orient a de quoi surprendre :

La quête des savants d’Orient m’interpelle d’abord par ses rebondissements : à leur question "Où est le roi des Juifs ?" fait écho une question posée par Ponce Pilate à l’autre bout de l’évangile : "Es-tu le roi des Juifs ? À la question d’Hérode "Où est le Messie ?" fait écho une deuxième question de Ponce Pilate : "Que ferai-je du Messie ?"
Hérode et Ponce Pilate, voilà les seuls, après les savants d’Orient, à utiliser encore ce terme de roi des Juifs, qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans l’évangile de Matthieu.
Le gouverneur et le roi, aux deux extrémités de l'évangile, tous deux pris au piège de leur propre logique du pouvoir, troublés par l'existence de ce nouveau roi, ce Jésus de Nazareth que la foule admirera et détestera. Au-dessus de la tête du crucifié, on pourra lire sur une pancarte "Celui-ci est Jésus, roi des Juifs".
Vu sous cet angle, la question un peu naïve des savants de l’Orient "Où est le roi des juifs qui vient de naître ?" prend des allures prémonitoires et sombres.

Mais alors, pourquoi est-ce qu’on associe cette rencontre aux allures de conspiration à la fête de l’épiphanie, c'est-à-dire manifestation de Dieu dans l'humanité ? Regardez le décor : des étrangers, savants certes, mais païens quand même ; Hérode, pas très recommandable ; un cortège de théologiens et magistrats ; une foule excitée … Rien de divin tout ça ! Alors pourquoi épiphanie ?

Cette fête était, à l'origine, la grande et unique célébration chrétienne de la manifestation du Christ dans le monde : on y faisait mémoire de l’incarnation, de la nativité, de la venue des mages, du baptême de Jésus et du premier signe des noces de Cana.
Aujourd'hui, cette fête qui se place le premier dimanche de janvier, célèbre trois événements liés par la tradition chrétienne. Ces trois événements, placés au début des évangiles, caractérisent l'épiphanie de Jésus, c'est-à-dire sa manifestation au monde : son baptême dans le Jourdain, son premier signe aux noces de Cana, et - justement - la venue à son berceau des mages d’Orient qui, selon Matthieu, témoigne de l'ouverture de l'Evangile au monde des païens.
En effet, le premier écho que l’humanité fait à la venue au monde du Messie vient au peuple juif par l’intermédiaire de ces savants venus d’ailleurs. Ils ont vu une étoile « astrologique » et non l’étoile prophétisée par les livres saints des juifs. Ils se sont livrés à une divination très païenne. Ils ont déchiffré un signe très ambigu, suspect de paganisme. Les voilà partis en quête du nouveau roi des Juifs ! Ils ont suivi un chemin mystérieux, réprouvé par la religion juive. Ces savants païens marchent, fut-ce dans les ténèbres, vers une étoile inconnue qui les conduira vers un roi inattendu.
Grâce à eux, l’événement de la naissance de Jésus à Bethlehem prend d’emblée une dimension universelle.
L’apôtre Paul s’est fait le porte-voix de cette dimension universelle : les païens sont cohéritiers, forment un même corps et participent à la même promesse en Jésus-Christ par l'Evangile. La vision est large, immense, à la dimension du monde tout entier. Jésus n'est pas venu que pour être le Messie d'un peuple. Jésus n'est pas venu que pour sauver Israël. Il n'est pas venu que pour sauver Paul. Jésus-Christ est venu pour tous les hommes et pour toute la terre ! Païens en hébreu se dit goy et signifie littéralement les nations.
Voilà le mystère que Dieu vient de révéler maintenant par son Esprit, dit Paul. Pour lui, l'Epiphanie de Dieu en Jésus n'est pas une petite affaire. Ce n'est pas l'affaire d'un groupuscule, d'un peuple, ni même d'une petite Eglise composée de gens de diverses nationalités. Tous sont cohéritiers !
Le miracle de l'amour de Dieu n'est pas pour un tout petit nombre. Pas de privilèges de classe pour Dieu, fût-ce la classe des Chrétiens. Les païens sont cohéritiers avec nous.
Pour Paul, l'Evangile est à tous. Jésus appartient à tous. C'est une bonne nouvelle, toute simple, un Evangile. Nul n'est exclu de cette lumière. Nul n'est exclu de cet héritage.
Joyeuse épiphanie à tous et pour toute la FTerre !

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Anne Chollet
Musique
Choeur d'hommes de Chavannes, dir. Frédéric Monnier