L'humanité proclamée au coeur de

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Lecture de Jonas 1, 1 – 6

Nous connaissons tous l'histoire du prophète Jonas, Jonas qui répond à l'appel de Dieu en fuyant. C'est l'homme du refus, résistant face à son dieu qui l'envoie porter sa parole à Ninive. Dieu l'envoie à Ninive ! Il part à l'extrême opposé vers Tarsis. Là, il embarque dans un navire. Quand se lève une tempête, il se réfugie dans la cale du bateau et s'endort. L'endormi, c'est ainsi que l'interpellera le capitaine du navire.
Jonas continue ainsi à se soustraire à sa mission, car le sommeil est aussi une manière de fuir. Il s'est échappé dans le monde du sommeil, le voilà ballotté dans la cale du bateau.
L'écrivain Claude Vigée (Dans le creuset du vent, p. 56) attire notre attention sur le sens que recèle la mention de cette cale. Je le cite: «Le terme hébreu désignant la cale (...) est riche d'associations corporelles: hanches, cuisses, fondement, arrière-train, toutes notions liées à l'intimité biologique, à l'animalité. Jonas est plongé dans le silence, tout resserré sur lui-même. Au lieu de rechercher le secours d'en haut, il se contracte dans l'oubli et le sommeil, inerte, replié comme un embryon dans le ventre de sa mère. Il choisit le chemin de l'involution. Au sort de l'homme adulte, qui lutte pour sa survie avec les autres, il préfère un état passif, (...) le balancement solitaire d'un foetus dans la matrice obscure. Il ne se tient pas debout comme un adulte le devrait, mais au contraire, il demeure recroquevillé sur lui-même.»
Jonas se replie donc sur lui même. Et cette descente dans les profondeurs ne fait que commencer... Car une fois réveillé par le capitaine du bateau, après beaucoup de négociations, les marins le jettent dans la mer. Et le voilà qui descend encore plus bas, dans le ventre d'un poisson.

Cette expérience qui se déroule dans l'eau, dans la mer, à bord d'un bateau, puis dans le ventre d'un poisson est symboliquement très parlante. Et ce n'est qu'au bout de trois jours qu'il sera vomi par le poisson et qu'il pourra se tenir debout sur la terre ferme. Ce n'est qu'après cette étape dans le monde de l'eau, que Jonas pourra reprendre sa route et adhérer pleinement au projet initial de son Dieu.
Cette expérience dans les profondeurs peut être lue comme l'histoire d'une descente au fond de soi, d'une prise de distance nécessaire pour accepter l'appel de Dieu, pour consentir à se laisser interpeller par sa Parole.
Une telle attitude pourrait être jugée négativement, comme un exemple de rébellion face à Dieu, comme une perte de temps. Mais telle n'a pas été notre lecture !
Car, se laisser interpeller par la Parole de Dieu, se laisser toucher par cette Parole qui nous invite au changement, à toujours plus de vérité et d'intégrité dans notre relation avec les autres... C'est quitter la terre de nos certitudes et de nos habitudes, pour embarquer à destination d'une terre inconnue. L'envie de fuir face à cette parole exigeante est une attitude presque réflexe. Jonas, figure du fuyard, n'est souvent que le reflet de notre propre résistance.

De plus, une attitude de repli est parfois bénéfique. Il est parfois vital de se permettre de régresser, de se recroqueviller sur soi pour prendre le temps de s'approprier un événement qui nous déstabilise (en bien comme en mal). Face à un événement qui dérange, une parole qui nous bouscule, revenir au plus profond de soi peut être très fécond.

Prendre le temps d'une maturation intérieure. S'extraire de la course quotidienne. Respecter son besoin de sommeil, de solitude. Tout cela nous permet d'intégrer ce qui nous arrive. Avant de se tenir debout devant son Dieu et devant les hommes de Ninive, Jonas avait besoin de faire un détour pour aller à la rencontre de lui-même.

Faire un détour pour aller à la rencontre de nous-mêmes, c'est un peu ce que nous avons vécu en prenant le temps de faire silence et de méditer les textes bibliques. Nous nous sommes offert un temps de pause bénéfique. Une mise entre parenthèses de tous les «il faut» et «je dois» pour simplement cultiver l'attention à soi, à sa respiration, puis au texte biblique.
N'est-ce pas une étape indispensable avant de pouvoir entendre la Parole de Dieu et se laisser mettre en mouvement par elle ? En effet, si nous ne sommes pas présents à nous-mêmes, comment pouvons-nous être présents devant Dieu?
Mais dès lors que nous consentons à entrer dans une quête intérieure, nous plongeons au coeur du mystère de l'humain et du divin et au coeur de notre propre vérité. Plus de dérobade possible. Nous affrontons alors en nous le meilleur comme le pire !
C'est ce que peut illustrer le texte que nous allons entendre maintenant.

Lecture de Genèse 32, 23 – 32

Le passage de l'oued du Yabboq, symbolise le passage existentiel que vit Jacob. L'eau représente ici la frontière entre deux temps, un avant et un après. Car nul doute que cette nuit passée près de la rivière du Yabboq est une nuit initiatique. La nuit est symbole de l'intériorisation, de l'épreuve, de la confusion. Et dans cette obscurité, Jacob est seul. Il vient de laisser femmes, servantes, enfants. Au cours de cette nuit, il va même changer de nom, Jacob s'appellera désormais Israël. Son apparence physique aussi sera modifiée: au petit matin, il est marqué, il boite.
Nuit, solitude, changement de nom, corps marqué ! À tous ces indices qui font de cette nuit, une nuit d'initiation, il faut souligner ce qui en fait le coeur: le combat qui s'y joue.
Un homme tombe sur Jacob. Lutte étrange contre un adversaire anonyme. Tout semble confus dans ce texte. Qui fait quoi ? Qui frappe qui ? Qui bénit qui ? Il faut se concentrer pour pouvoir bien se représenter ce qui se passe. C'est un corps à corps. C'est un combat qui se passe à raz de terre, qui semble brutal.
Mais qui est l'adversaire de Jacob ? Les interprétations qui existent sont multiples. La plus répandue est celle qui fait du mystérieux adversaire de Jacob, un ange. Par exemple, une certaine tradition postule que c'est l'ange d'Esau qui viendrait ainsi affaiblir Jacob avant son face à face avec son frère. Pour d'autres, c'est l'ange de Jacob. Elie Wiesel, dans son commentaire où il puise dans les trésors de la tradition juive, avoue sa préférence pour cette interprétation. Jacob serait assailli « par son propre gardien. Le mystérieux agresseur ? Le moi dédoublé de Jacob. Le moi en lui qui doutait de sa mission, de son avenir, de sa raison d'être... ».

Ainsi, si nous suivons cette piste interprétative, Jacob luttant contre son ange remporterait une victoire sur lui-même. Au coeur de cette nuit, durant laquelle il s'est battu à bras le corps, il fait l'expérience en lui d'une force qu'il ne soupçonnait certainement pas ! Il prend le pas sur ce qui l'empêche intérieurement d'avancer.
Jacob a bataillé avec lui-même, mais ce combat dans la poussière a aussi une dimension spirituelle ! En cette nuit, Jacob s'ouvre à une autre dimension de sa vie. En effet, le texte biblique porte en lui-même une interprétation mystérieuse puisqu'il est écrit que Jacob s'est battu « avec Dieu ». Qu'il a vu Dieu face à face.

Ce récit nous rappelle alors que la spiritualité a aussi affaire avec les nuits de nos vies, où les choses ne sont pas claires, où la lutte semble inégale et perdue d'avance. À l'instar de Jacques Prévert dans son poème intitulé Le combat avec l'ange, on a envie d'entendre: « N'y va pas / tout est combiné d'avance / le match est truqué. » Car dès lors que l'on commence à se battre avec nos questions pour essayer de percer le mystère de l'humain et du divin, on sait bien que « le match est truqué ». Qui en effet, peut le remporter?
Nous ne pouvons éviter de plonger dans la confusion, de nous colleter à la question de la transcendance, de tout ce qui n'est pas tangible, saisissable d'emblée. On peut en sortir boiteux, comme Jacob. Mais il est aussi gagnant. En effet, de manière paradoxale, cette lutte semble avoir été le moyen d'une pacification intérieure inespérée.
Avant cette nuit d'affrontement, Jacob vivait avec une bénédiction boiteuse, celle qu'il avait extirpée par ruse à son frère jumeau. Il vivait aussi dans l'ombre de la haine qu'il avait fait naître dans le coeur d'Esau. Cette nuit lui a permis se réinscrire de manière pacifiée, à la fois dans la relation avec son frère, mais aussi dans un héritage spirituel dont est porteuse sa famille: la bénédiction de Dieu, transmise de père en fils. De cette nuit, il sort changé, réconcilié avec les autres, avec lui-même, avec Dieu. Avec Jacob, la plongée dans la nuit devient promesse d'aube.

Lecture de Matthieu 14, 22 – 33

Matthieu a amplifié le récit qui se trouvait dans l'évangile de Marc en ajoutant l'épisode de la marche de Pierre sur les eaux. Ces quelques versets nous parlent de la foi, de la croyance, et du doute, de la manière dont nous pouvons mettre nos pas dans le sillage de ceux du Christ!
En l'occurrence, dans ce récit, Il pose ses pieds sur l'eau d'une mer ! Une «mer», c'est ainsi que le lac sur lequel naviguent les disciples est nommé ! Faire d'un lac une mer est un indice suffisant pour nous rappeler que le peuple hébreu n'était pas un peuple de marins ! Mais s'ils ne se risquaient pas à affronter ses vagues, elle avait pour eux une signification particulière. C'est ce que développe Chantal Reynier dans son livre intitulé «La Bible et la mer». Elle résume ainsi la force symbolique de la mer: «Rien dans la réalité cosmique que connaît le peuple de la Bible ne symbolise mieux la force et la folie de la mort que la masse des eaux qui abat ses murailles liquides sur l'être humain, le brisant et l'engloutissant irrémédiablement. »
Ainsi, marcher sur les eaux de ce Lac, c'est symboliquement affronter la puissance de la mort. Et Pierre s'y risque.

La question qui a animé nos discussions fut la suivante: fait-il alors preuve de courage ou d'inconscience en se jetant à l'eau ? Certaines personnes de notre groupe ont comparé son attitude à celle d'un adolescent impulsif et contestataire qui défie Jésus. Il se lance un défi, mais il n'est pas prêt. Il n'a aucune conscience du risque qu'il court. Pierre semble agir en répondant à une impulsivité corporelle et émotionnelle. Il est loin du modèle de la personne qui réfléchit avant d'agir.
Si certaines se sont méfiées de ce personnage qui avance bille en tête, d'autres ont plutôt salué l'action de Pierre. «Il y a été». Il croit en lui et en Jésus. Il fait preuve d'une volonté sans faille pour rejoindre son maître, quitte à défier les lois de la nature !
Son enthousiasme contraste avec l'attitude des autres disciples qui restent dans la barque et ne le retiennent pas. Son élan premier n'est pas marqué par la peur. Il n'a rien à perdre et s'avance!

Il faut reconnaître que le personnage de Pierre n'est certainement pas un exemple de sagesse, mais il nous questionne sur notre manière d'exprimer notre engagement. Pierre est celui qui est actif, qui permet que les choses avancent !
Pierre ne suit pas la logique de la sécurité et de l'immobilisme raisonné, mais en ce sens n'est-il pas proche de l'Esprit de l'Évangile ? l'Évangile n'est-il pas une invitation incessante à se mettre en marche, à entrer dans un mouvement qui nous dépasse et nous déloge de notre confort ?
La foi n'est pas seulement une adhésion intellectuelle, elle convoque l'entier de notre être. Et en ce sens, croire, c'est aussi agir. Croire c'est marcher, se mettre en route, marcher même sur nos peurs les plus profondes.
Mais dès que l'on se met en mouvement, on peut rencontrer des vents contraires. Ainsi, Pierre passe de l'adhésion totale, qui le met littéralement en mouvement, à une perte de confiance soudaine qui lui fait perdre pied. Le doute le submerge. Il coule à pic. Et voici que le modèle de foi devient figure du doute.
Une fois de plus, l'Évangile se dit, se proclame au coeur de notre humanité dans sa force (celle de l'enthousiasme) et sa fragilité (celle du doute de la peur). Là est le défi de tout croyant, de toute croyante: porter une espérance en assumant sa part de doute, d'incertitude, d'incrédulité ! Pour relever ce défi cette parole de Jésus marchant sur les eaux est transmise depuis des siècles et des siècles: «Courage, n'ayez pas peur ! »

Lecture de Jean 4, 3 – 14

L'eau a ici une connotation très positive. Elle est symbole du jaillissement de la vie. Elle symbolise le don de l'Esprit de Dieu, cette présence de Dieu vivifiante en l'homme. Elle est l'eau qui non seulement peut satisfaire la soif spirituelle de tout être humain, mais aussi l'eau qui transforme la vie de ceux qui en vivent, car à leur tour ils deviennent source. Jésus nous parle bien d'une vitalité qui vient de Dieu et qui peut habiter nos vies.
Pourtant, très souvent, nous rencontrons des personnes qui vont à l'Église, mais pour qui être chrétienne ou chrétien se limite à la personnalité de surface. Elles vont à l'Église, parfois même participent à la vie d'une paroisse. Cependant cela ne change rien à leur quotidien, à leur manière de vivre. Comme si l'Évangile ne pouvait s'incarner. Ces personnes, parfois c'est nous-mêmes. Pris dans l'habitude de nos pratiques, de nos croyances, parfois même de nos prières !
Un champ qui n'est pas irrigué s'assèche. S'endurcit, craquelle. Ainsi, en est-il de nos vies personnelles et communautaires. Dès lors que l'on oublie de s'abreuver à la source, il ne reste plus qu'un jeu d'apparences, de paraître. Coquille vide où ne résonne plus le désir d'une vie spirituelle.
Il nous appartient de vivre au-delà des apparences, de creuser en nous-mêmes, de ne pas laisser notre être intérieur se flétrir. Mais comment faire pour conserver cette soif ? La rencontre avec la Samaritaine pourrait bien nous donner un élément de réponse ! En effet, Jésus dans son attitude, par ses paroles, invite à quitter le monde des apparences. À cesser de vivre en surface, prisonnier de carcans moraux et religieux qui étouffent l'être profond.

Ainsi, Jésus en s'adressant à la femme Samaritaine brise deux tabous:
Premièrement, il s'adresse en tant qu'homme à une femme. Il va au-delà des conventions sociales et brise une loi de bienséance, car un homme ne devait pas avoir d'entretien seul à seul avec une femme, en public.
Deuxièmement, il est juif et il s'adresse à une Samaritaine. Alors que nous le savons, Juifs et samaritains vivaient en conflit. Les Samaritains étaient considérés par les juifs comme des hérétiques.

Jésus résiste à ce qui pourrait l'empêcher d'entrer en relation avec cette femme. C'est qu'il désire s'entretenir avec elle de l'essentiel, de ce qui l'habite et le fait vivre, de sa relation à Dieu. Une personne de notre groupe disait: «Jésus a soif de désaltérer. »
Les paroles de Jésus sont étonnantes: il lui parle d'une eau vive qui vient de Dieu! La femme ne comprend pas tout de suite ce symbole. Ce malentendu souligne la difficulté à comprendre la réalité spirituelle, car il s'agit de quitter le monde de ce que l'on voit, pour essayer de saisir derrière les apparences la présence de Dieu.
Jésus est alors plus explicite. Il oppose clairement l'eau du quotidien et l'eau symbole de la vie spirituelle. Il oppose l'eau de nos soifs quotidiennes, l'eau qui étanche notre soif pour quelques heures et cette source de vie, qui elle, abreuve en permanence les coeurs. Il l'invite à quitter le monde des apparences pour s'ouvrir à une autre dimension de sa vie.
Dans la suite du dialogue, on se souvient que la femme reconnaît alors en lui un un prophète, elle lui parle de la polémique entre Juifs et samaritains ou faut-il adorer Dieu ? Sur le Mont Garizim ou à Jérusalem ?
Jésus l'invite à sortir de cette polémique. Pour lui, il n'est plus question de limiter Dieu à un lieu sacré, mais c'est à chaque être humain de devenir le lieu de la rencontre avec Dieu ! Car ce qui importe c'est d'adorer Dieu «en esprit et en vérité !»
Il l'invite à aller au-delà d'une religion des apparences ! Jésus critique toute prétention humaine à limiter ou à circonscrire Dieu dans un endroit précis ! Tout au long de cette rencontre avec la Samaritaine. Jésus va au-delà des apparences. Il ne s'arrête pas à l'identité sociale de la femme. Il ne s'arrête pas aux obstacles dressés par les religieux. Il va à l'essentiel.
Aller au-delà des apparences. C'est ce à quoi nous sommes invités. Cesser de nous en tenir à la surface des choses pour faire de la vie un chemin d'intériorité ! Dès lors qu'on s'y engage, une soif de profondeur semble nous tenailler et la source se fait proche.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Irina Alieva
Musique
Chorale paroissiale de Chêne