La confrontation dans la bienveillance, un événement sur un chemin de guérison

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Peut-être, en ce dimanche des malades, aurait-il fallu choisir un autre texte que celui dit de l’ «homme riche »… même si nos déclarations d’impôts nous travaillent au point parfois d’envier cette formule au sage soufi : « ne rien posséder pour n’être possédé par rien … ».
Peut-être aurait-il fallu choisir un texte sur l’accompagnement, comme celui dit des disciples d’Emmaüs (Luc 24, 13 – 35), tant il est avéré que les personnes malades ont besoin que l’on fasse du « épaule à épaule » sur le chemin, qu’on les écoute longuement, qu’on réaffirme souvent l’importance qu’elles ont, le lien qui nous unit, avant d’oser la moindre parole, avant de poser le moindre geste.
Peut-être aurait-il fallu valoriser tout le travail de proximité que chacun peut faire auprès des personnes malades et en montrer vigoureusement la légitimité évangélique, le fait que Jésus est aussi un modèle de proximité et un accompagnant patient et qu’il est également respectueux de l’autonomie des personnes rencontrées …
Peut-être aurait-il fallu également un texte racontant une guérison, tant il est clair qu’une des manières puissantes de lutter contre le désespoir pour les personnes malades est d’avoir ou de retrouver un espoir de rétablissement, le retour à une vie normale ou du moins habituelle, sans douleur. sans limitation.
Peut-être aurait-il fallu expliquer à nouveau comment ces récits de guérison sont aussi riches d’une vision de l’humain plus grande qu’un retour au « silence des organes » et qu’ils révèlent à toute personne que la parole du Christ rétablit, voire guérit tout l’humain.

Alors pourquoi prendre ce texte ? Pourquoi travailler en ce dimanche des malades ce récit qui paraît ne rien avoir à faire avec ces premières préoccupations ? Parce que ce récit me permet de travailler deux questions, deux questions qui, dans notre contexte hospitalier, restent des zones de silence, des tabous.
Est-ce que cette emphase, ce focus mis sur le fait de savoir écouter, de savoir accompagner, de savoir marcher à côté des personnes souffrantes, ne cache pas en fait un immense doute et un sentiment de désespoir sur l’efficacité de la Parole ?
Est-ce parce que nous ne croyons plus à l’efficacité de la parole que nous sommes devenus, nous aumôniers travaillant dans l’hôpital, des sortes de gestionnaires de processus relationnels ? Nous n’annonçons plus rien, je n’annonce plus rien !
En sommes-nous réduits à demander dans nos prières auprès des lits que Dieu guide la main des chirurgiens, inspire les chercheurs des grandes entreprises pharmaceutiques et donne de la sagesse à tous les soignants ? Ceci d’autant plus que nous sommes dans un contexte difficile, où s’est opéré ces dernières années une sorte de croisement entre une médecine du salut et une religion du mieux-être.
Par ailleurs, dans nos communautés réformées, avons-nous perdu cette idée d’une guérison au travers de l’évangélisation ? Avons-nous perdu cette idée que Dieu peut intervenir directement dans le corps des personnes ? Finalement, passons-nous à côté de la vraie manière d’accompagner les malades et avons-nous trouvé dans les manières des psychologues des ersatz pour nous consoler ?

Avant de reprendre notre texte biblique, quelques remarques : D’autres traditions chrétiennes, d’autres communautés, ont des manières d’envisager la guérison bien autrement, ces autres communautés sélectionnent d’autres textes bibliques, elles s’attachent aux promesses bibliques d’une manière différente et elles interprètent les textes différemment de nous. De l’Eglise guérissante des orthodoxes à l’action directe de l’Esprit sur le corps, sans parler de tous les « mixtes » possibles, cela ressemble à ce que les premiers Chrétiens devaient trouver dans le monde romain, ce monde déjà tellement cosmopolite tant sur les plans culturel que religieux.
Alors aujourd’hui je pense qu’il faut plutôt envisager les choses différemment et nous dire qu’en fait nous travaillons fort à une sorte d’œcuménisme des visions de la guérison et que nous avons raison de le faire.
Il y a quelques semaines, nous avons vécu une belle journée à Saint-Loup sur ce thème et nombre de rencontres de par le monde tentent de nous sortir d’une logique de l’affrontement pour nous amener à considérer la richesse et la complémentarité des différentes visions de la guérison. Illustrant par là une belle maxime : « Il y a plusieurs manières de guérir, plusieurs chemins pour guérir, mais il n’y a qu’un Dieu qui guérit ! ».
Et puis cette phrase d’un théologien du nord : « D’une part, affirme-t-il, nous devons accepter le miraculeux. Sinon, on retombe dans une conception dualiste, où Dieu et le monde sont complètement séparés. » Cela en établissant une conception holistique qui transcende les divisions radicales inhérentes à la pensée moderne occidentale et qui inclut la dimension spirituelle du monde.
Mais le plus intéressant à la suite de cette phrase compliquée, il ajoute « Toute théologie et toute pratique religieuse relative à la guérison doivent donc inclure une dimension qui englobe d’une manière positive les malades qui ne sont pas guéris. »

Et voilà pourquoi ce texte est tellement intéressant pour nous aujourd’hui, parce qu’il illustre bien ce qui précède. On ne peut pas récupérer ce récit en disant que les biens de ce monde sont un signe évident de la bénédiction divine « individuelle », et l’on ne peut pas non plus récupérer ce récit en disant que cet homme va bénéficier de la communauté alentour pour se transformer.
Ce texte est-il le récit de l’échec d’un appel de Jésus et peut-il nous aider à dépasser les deux questions dont je parlais tout à l’heure ? Ce passage peut-il nous aider également à trouver notre place dans cette vision œcuménique de la guérison ?
Il faut commencer par cette affirmation du texte de l’Evangile de Marc, affirmation unique dans les Evangiles synoptiques, l’affirmation que Jésus aime cet homme, que Jésus estime cet homme et que tout ce qui va suivre, va s’opérer dans la bienveillance. Jésus va également mettre devant cet homme les choses paradoxales, les choses contradictoires qu’il dit ou émet en même temps. Il va le confronter dans cette bienveillance.

Ces confrontations sont-elles des étapes dans l’accompagnement des personnes malades sur le chemin de la guérison ? Et c’est de cela dont je veux vous parler maintenant. Certainement cet homme a vu Jésus bénir et embrasser les enfants (versets précédents) et c’est pourquoi il se dit : « ce rabbi … » puisque chaque rabbi peut être un chemin vers Dieu. « Peut-être que ce rabbi peut me dire ce qu’il me faut pour acquérir la vie éternelle et trouver le but ultime de ma quête. »
Alors il se jette à genoux, lui qui est riche, riche comme nous, riche de beaucoup de biens, riche des biens dont la vie l’a « gâté ». « Oh bon maître … » dit-il et la première confrontation de Jésus s’opère sur une question d’identité ; en effet, se mettre à genoux et poser cette question est un paradoxe compte tenu de ce que nous savons de cet homme. Etre riche, être bien dans la vie et la société, être reconnu comme tel et se mettre à genoux, c’est manifester deux choses contradictoires en même temps.
En disant que seul Dieu est bon, Jésus signifie à cet homme que ce n’est pas cette facette de l’identité de Jésus qui va animer la rencontre. La rencontre va avoir pour thème tout autre chose que la bonté. Il est nécessaire pour cet homme de se préparer à vivre autre chose avec un Jésus comme il ne l’avait pas imaginé.
Dans leur lit d’hôpital, souvent avec beaucoup d’authenticité et beaucoup d’émotion, des personnes malades demandent pourquoi est-ce que cela m’arrive à moi? Je n’ai pas volé, je n’ai pas tué, j’ai respecté la morale que l’on m’a enseignée depuis longtemps !
« Tu connais les commandements » dit Jésus. En les citant, Jésus fait, comme à dessein, une sélection particulière, comme s’il voulait nommer les plus « faciles » à respecter ; ceux qui sont nécessaires au bon fonctionnement de la société, ceux qui sont utiles pour que nous puissions vivre en bonne harmonie les uns avec les autres. Et l’homme peut répondre à Jésus avec beaucoup d’authenticité : «Je respecte ces commandements depuis ma jeunesse. »
Deuxième confrontation de Jésus. Cet homme manifeste encore deux choses paradoxales. A la fois il dit qu’il est plein de la Loi de Dieu, plein de « ce qu’il faut pour ne rien avoir à demander et en même temps il dit à quel point il est en manque, à quel point il est vide. « Finalement » dit Jésus « Tu es là, à genoux, non pas parce que tu as reconnu la bonté de Dieu, mais parce que tu es bloqué, parce que tu es comme stoppé parce que tu vis à l’intérieur de toi ».
Troisième confrontation de Jésus. Il manque une chose à cet homme. Cette dernière confrontation, toujours opérée dans cette estime et cette bienveillance, toujours dans le regard d’amour du Christ, est une révélation. Les Pères de l’Eglise ont traduit parfois ce que Jésus dit par : « va, vends tout ce que tu es, reviens et suis-moi ». Va, détache toi de ce qui est le plus précieux pour toi, distribue-le, fais en quelque chose pour les autres, viens et suis-moi. Il n’y aura de véritable plein qu’une fois le vide accompli.

Notre chance
Alors, avec l’accompagnement, avec le « épaule à épaule », c’est comme si ce texte nous permettait à notre vision de s’élargir, de se densifier avec cet acte de confrontation dans la bienveillance. Cela n’est pas rien, car confronter dans la bienveillance, et provoquer le changement est sans doute la chose la plus difficile que nous puissions faire et que nous avons à faire.
Et c’est pourquoi il est tellement important que ce texte se termine de cette manière, non pas tellement pour que nous puissions juger cet homme et nous appliquer ensuite ce jugement à nous-mêmes, mais parce qu’en partant, même assombri, même mal, même ne sachant pas comment il va faire maintenant, eh bien c’est comme s’il affirmait que son histoire est toujours présente, qu’il lui faut du temps à lui personnellement. Du coup, c’est comme s’il nous donnait du temps à nous aussi, et mettait en évidence une permission due à notre rapprochement avec tout ce que les sciences humaines ont découvert ces dernières années. Le fait de prendre du temps et d’avoir chacun le droit à sa propre histoire.
Le Christ nous accompagne, le Christ marche à nos côtés, le Christ nous regarde et nous donne de l’importance à chacune et à chacun, le Christ nous offre aussi des confrontations, qui doivent nous mener à des changements et en même temps, nous sommes dans notre propre histoire, et nous avons à vivre notre temps, et nos propres changements, dans la vente de qui nous sommes et dans l’accumulation d’un trésor dans le ciel.

Notre place
Est-ce vraiment un aspect important du chemin vers la guérison ? Les changements de vie, la découverte de nouveaux équilibres de vie obtenus par des confrontations/révélations ? Je pense que toutes et tous, nous avons rencontré des personnes qui ont été guéries, par la médecine moderne ou des médecines alternatives, dans des conventions chrétiennes sur la guérison, par une communauté qui a prié avec ferveur. Pourtant, il arrive souvent que ces personnes apparaissent comme déboussolées, parce que ayant dépassé le « pourquoi » des choses, elles ne savaient ni ne voyaient encore rien du « en vue de quoi ».

Voilà pourquoi il est nécessaire de vivre cela lorsque nous avons à être guéris. Voilà pourquoi, en tant qu’accompagnants « confrontateurs », nous sommes indispensables à ce cheminement de guérison, avec et parfois malgré les autres. En effet, tout ce travail d’accompagnement, avec ce « épaule à épaule », avec ce respect de l’histoire et du temps de chacun, avec ces confrontations, est fait avec le but de mettre en lumière le «en vue de quoi … ».
Je souhaite aux personnes malades et à nous d’être guéris. Que les maladies soient éliminées, que les corps soient soulagés et rétablis. J’espère aussi que toutes et tous, nous croisions sur ce chemin des personnes capables d’accompagner et d’évangéliser au travers de la confrontation dans la bienveillance. Je prie surtout que, quittant notre tristesse et nos visages assombris, nous nous comprenions dans cette alliance d’amour que Dieu nous offre (Esaïe 55).

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Anne Chollet
Musique