Méditation pour le jour du Jeûne

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Trois jours de congé, extraordinaire! Trois jours de congé, en tout cas pour les Vaudois. Le week-end, avec le lundi en plus. Voilà dans tous les cas un bon temps qui nous est offert chaque année à l'automne. Trois jours pour se reposer, trois jours de détente, sans oublier les tartes aux pruneaux. Il faut bien le reconnaître, le week-end du Jeûne Fédéral est un vrai cadeau dans l'année.
Et puis, bon, il n'y a pas d'événement biblique à méditer; il ne s'est rien passé de particulier non plus dans la vie de Jésus. On pourrait dire que c'est un week-end à connotation spirituelle, c'est ainsi qu'il a été voulu. En somme, le Jeûne, c'est comme un chèque en blanc. Il n'y a rien à vivre d’autre que ce que nous y mettrons. Un chèque en blanc, un temps pour s'arrêter, pour méditer ou pour se retrouver.
En somme, c'est à chacun de nous de transformer ces journées en un moment important, voire même en un temps sacré. Chaque année, la même question se pose : Qu'allons-nous faire de ces jours particuliers ? Comment en faire un événement qui amène à plus de profondeur et d'essentiel ?

Anne, elle, c'était il y a fort longtemps, elle a su quoi faire de son pèlerinage annuel. Pour elle, pas de doute, pas d'hésitations. Car chaque année, elle se donne ainsi un moment particulier, spécial, important et nécessaire : elle se rend à Silo pour faire son pèlerinage au sanctuaire. Un temps pour faire le point, pour faire le bilan. Et tout spécialement, cette année-là, un temps de prière, un temps face à Dieu.
Pour nous aussi. Dans le trajet de nos existences, il y a des moments où il devient nécessaire de se donner le temps d'un retrait. Arrêter le moulin qui tourne de plus en plus vite, stopper la course pour se demander simplement: où est-ce que j'en suis ? Je fonctionne, j'assure, comme on dit. Mais est-ce que la vie pétille encore à l'intérieur ?
Anne, quant à elle, se sentait désertée, vide à l'intérieur, comme nous par moment. En elle, elle sentait que quelque chose était comme bloqué. Ça ne circulait plus. C'est la vie qui ne sortait pas d'elle. Coincée, enfermée en dedans. Pas d'avenir, à l'époque, pour une femme qui n'a pas d'enfant. Quelque chose est comme éteint en elle, quelque chose dont elle se sent pourtant capable, à quoi elle se sent appelée, mais qui n'a pas encore pu s'exprimer. La stérilité douloureuse, qui tenaille et désespère.
Alors, le temps de son pèlerinage, de son week-end spirituel annuel à Silo, elle l'emploie à la prière; elle a besoin d'éclaircissements. C'est pour elle une quête, elle aspire à la complétude. Quelque chose doit s'accomplir et prendre forme en elle.
Et elle prend pour cela le temps de se retirer, seule, dans l'espace sacré du sanctuaire. Et en plus, elle fait une chose qui paraît bizarre : elle arrête de manger. Un jeûne court et nécessaire. En ce moment, son appétit ne va plus vers la nourriture; mais il est plus profond: c'est un appétit de vie. Anne entame un jeûne pour retrouver le goût de vivre.
Pour nous aussi, il est parfois nécessaire de se retirer et, le comble dans une société de consommation, de jeûner. Arrêter de consommer tout ce qui passe à portée, tout ce qu'on veut vous faire avaler à longueur de journée – et notre société est championne en la matière : " Je consomme, donc je suis ".
Trois jours de jeûne, des jours pour se reconnecter avec le désir de vivre. Il est parfois salutaire de se retirer pour un temps. Cela peut même devenir vital, avant de, comme on dit, péter un plomb, avant le burn-out, l'épuisement qui vient de ce qu'on ne sait plus pourquoi on fait toutes ces choses. On les fait, mais elles ont perdu leur sens.
Quand on ne fait plus que fonctionner, faire un stop devient simplement nécessaire. Reconnaître ce besoin de s'arrêter pour se retrouver et pour retrouver le goût de vivre. Je crois que nos ancêtres ont eu fin nez de nous offrir ce week-end du Jeûne. Peut-être est-il même encore plus pertinent et utile aujourd'hui qu'il ne l'était hier !

Arrivée à un carrefour de sa vie, Anne s'arrête, prie et jeûne. Et dans le silence, dans la simplicité d'un moment de prière, voici, nous dit le récit, qu'elle prie longuement à l'intérieur. Dans la prière, elle retrouve la parole essentielle, celle qui monte du cœur.
Le temps pour nous aussi de retrouver la parole qui vient du plus profond, qui a sa source dans la vie qui coule en nous. Le simple fait de s'arrêter, de prier, de se reconnaître tels que nous sommes. Et la parole nous est alors rendue. La parole qui dit vrai, et nous le sentons bien, car elle vient du cœur.
Ne plus être fascinés et hypnotisés par le clinquant, le blabla, la vitesse et le futile, toutes ces choses que l'on croit consommer alors que ce sont elles qui nous consomment ! On nous fait croire que nous sommes des consommateurs, mais c'est bien nous qui sommes consommés et digérés, et le temps d’arrêt commence souvent par la découverte de l’étendue des dégâts.

Anne reprend la parole, si l'on peut dire, elle reprend sa parole. Elle existe, elle redevient quelqu'un, un sujet unique : elle parle. Dans le silence du sanctuaire, elle retrouve une parole vraie, intérieure. Combien d'entre nous perdent pied dans la vie parce qu'ils ont perdu la capacité d'une parole vraie qui vient du plus profond de soi ? Parce qu'ils n'osent pas, parce qu'ils ont peur, parce qu'ils ont honte.
Pour Anne comme pour nous, la parole vraie, c'est la parole qui accepte de dire sa fragilité, sa vulnérabilité. Se voir non plus affublé de tous ces oripeaux qui dissimulent la personne sous le personnage que je montre. Me regarder comme je suis, non pas pour me juger, mais pour accueillir avec bienveillance ce qui vit en moi. Qu'il est parfois difficile d'accueillir avec bienveillance ce qui vit en moi ! La tristesse d'Anne, elle se l'avoue, elle la regarde, elle se tient avec toute cette peine, et puis elle va la dépasser en Dieu.

Dans un premier temps, la parole d'Anne n'est pas comprise. Pour le prêtre qui la voit du dehors et qui ne perçoit pas ce mouvement de vie en elle, la cause est entendue : elle est ivre. La parole vraiment vivante étonne toujours, elle n'est pas conforme, pas « comme il faut ». Elle dérange. La lourdeur de l'institution, le poids de l'habitude, tout cela fait perdre de vue la puissance de la vie en nous. Alors, il faut oser, pour dire la vie, ou mieux : dire une parole qui vient de la vie qui coule en nous.
La parole ainsi retrouvée demeure donc toujours éminemment personnelle. À travers son retrait, son jeûne et sa prière, quelque chose prend forme en cette femme, qui peut maintenant s'accomplir et se matérialiser. Anne en fait l’expérience directe dans son corps. Les récits bibliques ne sont jamais de belles théories : ils disent une expérience qui est offerte aux auditeurs que nous sommes. Le récit de l'histoire d'Anne est un appel à oser expérimenter davantage de la vie.
Et c'est ainsi qu'Anne retrouve sa fécondité, et que ce qui est le plus vivant en elle peut maintenant s'accomplir et apparaître au grand jour. Et c'est la naissance de Samuel. C’était là pour Anne son désir le plus authentique et le plus profond. Et pour nous, quel est aujourd'hui le désir le plus profond, le plus chargé de vie, celui qui nous met en mouvement ?

Et si le week-end du Jeûne était l’occasion d'un pas en retrait, d'un cœur qui jeûne, d'une vraie prière, avec cette unique question : Qu'est-ce qui veut se dire en moi ? Quel est en moi ce désir qui me fera vraiment vivant ?
Lorsque nous avons un intense besoin d'éclaircissement sur notre chemin de vie, il est nécessaire, vital même parfois, de se donner du temps, de se donner un espace sacré, pour que s'élabore et se construise en nous une réponse à notre désir qui fasse de nous des êtres féconds et vraiment vivants.
Alors, trois jours de congé, un temps pour retrouver l’appétit et la joie de vivre. Des journées à inventer, à expérimenter, dans la grâce de Dieu qui nous rend la parole et la vie.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Peter Braganza
Musique
Christian Secretan, violoncelle et Rahel Bestgen Secretan, soprano