« A nous qui avons été offensés »

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« Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? Et Jésus de répondre : « Jusqu’à soixante-dix fois sept fois ! »
Chers auditeurs, chers paroissiens, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais lorsque j’entends le mot «pardon » monte alors en moi un flot d’objections. « C’est trop facile ! Pardonner, c’est laisser libre cours au mal ! Pardonner, c’est du laxisme qui contribue à augmenter la violence; si la violence augmente, c’est le chaos qui s’installe ! »
Le pardon n’exclut pas la justice. Je le dis haut et fort dans un temps où l’on criminalise l’autorité, bafoue la justice et relativise la loi. Justice et pardon sont complémentaires. Le pardon, lui, se place sur le terrain des relations personnelles.
Il s’agit des questions suivantes :
- En tant que chrétien, quelle attitude adopter pour désamorcer la violence et la transformer en énergie constructive ?
- Que faire des sentiments d’injustice qui alourdissent mon cœur ?
- Comment agir avec ces amis avec lesquels nous sommes «en froid », ces relations qui se sont détériorées, ces blessures que les autres nous ont infligées, qui font mal à tel point que nous ne pouvons que garder nos distances ?
- Bref, que faire du mal subi ?

1. Accepter le mal et la souffrance qui nous arrivent

Dans la parabole qui nous occupe, parabole intitulée «le débiteur impitoyable », les deux sommes d’argent en jeu sont incomparables. Le serviteur doit au roi 10'000 talents, à savoir environ 60 millions de francs; le deuxième serviteur doit à son collègue cent pièces d’argent, ce qui équivaut à une centaine de francs.
Finalement le mal que nous subissons, le tort qui nous a été fait ne se calculent pas, la souffrance ne peut s’estimer comme une valeur marchande. La première étape sur le chemin du pardon, c’est d’accepter la souffrance infligée, sans la minimiser et sans rien majorer. « Le véritable pardon ne passe pas à côté de la colère ; il passe à travers elle »

2. Eliminer l’offenseur

Nous commençons par subir un malheur dont les circonstances varient et qui est indissociable de la condition humaine. Puis nous ajoutons un autre malheur à ce mal originel quand nous reproduisons sur un plus petit ce qui nous a blessés.
Il y a quelques semaines avait lieu le procès des assassins de Michaël, ce jeune Chaux-de-Fonnier assassiné dans la gare d’Yverdon, il y a de cela une année environ. L’attitude des assassins a frappé le tribunal et les journalistes qui couvraient l’événement. Ces jeunes ont été incapables d’exprimer un quelconque sentiment de culpabilité et des regrets. Blindés, prisonniers de la haine d’eux-mêmes, otage à la fois d’un mal qu’ils avaient eux-mêmes subi et qu’ils avaient infligé à Michaël et sa famille.
Il est de bon ton aujourd’hui de dénoncer le sentiment de culpabilité comme un sentiment hérité de la tradition judéo-chrétienne, dépassé, dont il faudrait se débarrasser au plus vite ! Une saine culpabilité peut aussi amener à changer !
Dans la parabole, il y a deux réactions aux torts subis, la réaction du roi et celle de son serviteur. L’un remet la dette et l’autre pas. La parabole s’achève par ces mots: « c’est ainsi que mon Père céleste vous traitera si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur ! » Ces paroles ne doivent pas être comprises comme une menace, mais bien comme une constatation. Le roi n’a pas à jeter son serviteur en prison, celui-ci s’y place lui-même. Celui qui ne sait ou ne peut pardonner se torture lui-même.

3. Pardonner et se pardonner

Le pardon, vous l’avez compris, demande tout un travail intérieur. Un pardon donné du bout des lèvres pour arranger les autres ou pour éviter de faire des vagues est un pardon de pacotille, totalement inefficace pour soi et pour autrui. Imposer le pardon ou s’imposer le pardon est illusoire.
Dans le judaïsme, l’idée du pardon entre frères existait, on discutait du pardon, on se demandait si on pouvait légitimement l’accorder ou non. Le chiffre quatre était le plus souvent avancé comme un maximum. Pierre lui propose d'aller jusqu'à sept. Il pense ainsi faire un grand pas vers son maître.
En répondant septante-sept fois sept fois, Jésus change de terrain. Il nous parle de notre vie relationnelle, il nous parle de nos contacts avec autrui, avec nos voisins, nos collègues, nos amis, avec nos proches. L’enjeu ici est de restaurer notre vie relationnelle quelle que soit l’offense subie; de renoncer à éliminer l’autre de notre existence et à couper les ponts avec ceux qui nous ont blessés. « On entre dans le pardon par la porte du désespoir, et, s’il y a pardon, ce ne peut être que sur fond d’impardonnable ! »

À cela s’ajoute un autre aspect, le plus difficile à mes yeux, le pardon que l’on s’accorde à soi-même. En fait, il s’agit de se pardonner de s’être laissé imposer le mal qu’on nous inflige. Pardonner, c’est accepter de «perdre des plumes » dans l’affaire. C’est se séparer d’une image idéale de soi pour admettre avoir été marqué par le mal.
L’écrivain français Albert Camuz, dans un ouvrage étrange intitulé La chute, nous transmet le monologue d’un homme dont le perfectionniste et l'idéalisme conduisent à la haine de soi. À la fin de sa vie, cet homme évoque ses regrets : « Oui, nous avons perdu la lumière, les matins, la sainte innocence de celui qui se pardonne à lui-même. » C’est du même mouvement qu’on se pardonne à soi-même et que l’on pardonne à autrui.
Souvenez-vous de la journaliste du journal français Libération, Florence Aubenas, prise en otage et détenue durant sept mois en Irak. Souvenez sa première conférence de presse au moment de sa libération sur le tarmac de l’aéroport d’Orly. Quel humour quand ses confrères l’interrogeaient, cette sorte de distance, comme si elle avait accepté son malheur et renoncé à s’en vouloir ! Florence Aubenas avait pourtant des raisons de s'en vouloir : elle avait insisté pour partir en Irak malgré les avertissements, elle avait, peut-être, négligé certaines précautions… C'est étonnant, combien le pardon nous délivre d’abord nous-mêmes.

« À nous qui avons été offensés ! » Dieu ne demande pas à l’Église d’être parfaite, ni d’ailleurs à nous, mais de pratiquer le pardon. Sans justice et sans pardon, le monde est livré à la violence et à la barbarie. La réconciliation n’est donc pas seulement une question personnelle, c’est un thème vital pour notre société : seuls la justice et le pardon peuvent apporter la paix sur cette terre !

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Pierre-Laurent Haesler (+ clavevin)
Musique
Pascal Dober, flûte à bec; Patrick Leyvraz, violon; Orlando Theuler, violoncelle; Nicolas Wildi, chantre;