Personnes lointaines ...

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Pour les besoins de la radio diffusion de ce culte, les portes de l'église ont été fermées : tant pis pour les retardataires. Même si cela a été annoncé, il reste très rude d'être dans la peau de celui qui se cogne à la porte close. Il s'agit justement de cela dans notre texte de Luc : même si nous ne posions plus la question du peu de sauvés, nous avons encore le souci de ceux qui vont rester sur le carreau, enfermés dehors. Il est donc intéressant d'écouter ce que Jésus a répondu.
Et comme souvent, Jésus ne répond pas directement. Il traite cependant bien du sujet. J'ai relevé, dans cet ensemble de paroles de Jésus, ce qui m'est apparu comme des illogismes ou contradictions. Dès la première phrase, Jésus parle de s'efforcer d’entrer par la porte étroite et il fait en même temps état de personnes qui chercheront à entrer et qui ne le pourront pas : quelle différence y a-t-il entre ces deux efforts ? S'efforcer et chercher implique un travail semblable. En y regardant de plus près cependant, le verbe efforcer est à l'impératif, recouvrant une invitation pressante pour maintenant et non pour plus tard, et l'effort se porte sur l'endroit par lequel il faut passer : la porte étroite. L'autre segment de phrase est au futur et ne précise pas le lieu où on entre.
Plus loin, et c'est ce qui peut-être de plus choquant, Jésus parle de porte fermée et de gens qui sont coincés dehors parce qu'ils sont venus trop tard. Mais la raison invoquée pour que la porte ne leur soit plus ouverte est en contradiction évidente : "Je ne sais d'où vous êtes… " dit Jésus. Et pourtant ce sont au contraire des gens que Jésus connaît. Il devient alors encore plus difficile à entendre ce qu'il rajoute : "… éloignez-vous de moi vous qui commettez le mal. "
Dernière tension dans ce texte, c'est le final. Alors qu'on pouvait s'attendre en toute logique à ne voir qu'un petit nombre au festin du royaume de Dieu après ces portes étroites et même fermées, eh bien, on y voit entrer des gens venant du midi et du nord, de l'est et de l'ouest.

Aujourd'hui, nous avons du mal à imaginer que Dieu, dans sa bonté et sa grâce, puisse rejeter des personnes. Avec les intégrismes de tout bord, certains n'osent plus se positionner par crainte de ressembler à ceux qui pensent détenir la vérité. Il nous est dit là que ce genre de souci, de crainte et de questions ne doit pas voiler le fait que nous devons entrer et justement par la porte étroite, c'est-à-dire dans un renoncement à savoir le fin mot de l'histoire. De ne pas avoir la connaissance complète de ce qui va arriver à ces gens-là, le fait même de ne pas en savoir plus sur ce lieu où on entre, n'empêche pas que l'on rentre maintenant.
Et il n'y a pas de passe-droit pour entrer : pas question de pouvoir dire que nous appartenons au même peuple, au même groupe social et au bon groupe religieux. Il s'agit de savoir d'où nous sommes. Or justement, il semble normal de définir ce lieu par notre appartenance.
Pour approcher cette question du lieu d'où on est, je m'appuie sur le texte d'Éphésiens qui en parle : pour que les proches et les éloignés se retrouvent ensemble, il n'y a qu'une possibilité, être en Christ. Être en Christ dépasse donc toutes les autres références et lieux usuels qui font que nous nous reconnaissons entre nous. Être en Christ, comment cela peut-il être un lieu d'où l'on est ? En écoutant ce jugement de Jésus, "Éloignez-vous de moi vous qui commettez le mal… ", je me permettrais d'avancer une hypothèse. En effet, ce segment de phrase est pris intégralement du psaume 6 au verset 9, et se poursuit par : "… car le Seigneur a entendu mes sanglots."
Voici ma lecture : être en Christ, c'est justement entendre les sanglots du Christ, être sensible à son ministère de compassion, lui qui a vécu jusqu'au bout nos misères humaines. À vouloir se reconnaître par une appartenance sociale ou religieuse, nous occultons cette partie douloureuse du vécu du Christ qui voulait que les éloignés aussi puissent être de ce lieu-là. Plus important qu'une pratique religieuse, plus important qu'une appartenance à un groupe donné, nous sommes sommés de nous situer au cœur de Jésus, le seul lieu où la compassion est reine et englobe les lointains et les proches. Et ne nous y trompons pas : aujourd'hui, les proches pourraient bien être les religieux et les lointains, les autres. En Christ, lointains et proches forment un être nouveau.

Et tout ça, pour que les lointains soient accueillis. Le renoncement à connaître certains mystères et l'impératif de se situer en Jésus font qu'on s'éloigne de l'esprit élitaire et du fanatisme. Car l'essentiel est d'être dans le cœur de compassion de Jésus, compassion pour la pâte humaine dont nous sommes, tous, formés, lointains et proches. Il y a là une exhortation à ne pas être obsédé par l'orthodoxie, par une pratique ou des habitudes religieuses ce qui laisse les éloignés loin. Je ne peux cacher par contre qu'il faille apparemment des gens jetés dehors pour que les lointains entrent.
Si ce texte traite bien de la question des exclus qui se retrouvent devant la porte, je ne vois pas de réponse satisfaisante sur le comment et le pourquoi. Cette non- réponse est sensible, car notre société est prise entre 2 extrêmes : d'un côté des intégrismes, fanatismes et des replis sur soi-même et de l'autre des personnes qui sont de partout et de nulle part, qui ne choisissent pas pour rester ouvert et tolérant. J'entends cependant dans ce texte cela : quelle que soit ton option de fond, cesse de te poser la question de ce que les exclus vont devenir et comment il est possible qu'il y en ait. Toi, entre et pas n'importe comment, mais en Christ. Cela te semble sectaire ? Dépouille-toi de cette compréhension. Seul le Christ peut réconcilier en lui ce qui te semble impossible. Le Christ est le seul lieu d'où l'on puisse être et non des endroits tels l'église ou un groupe religieux. Porte étroite, passage obligé, respect du maintenant, ce sont beaucoup de contraintes qui ne visent pas un élitisme, mais bien au contraire une ouverture à tous, tous devenant ensemble une nouvelle humanité. Et le Royaume de Dieu débordera de personnes qui sont aujourd'hui de plus en plus nombreuses à être lointaines.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Vincent Thévenaz
Musique
Manuela Bachofen, violoncelle; Wendy Ghysels, violon; Jean-Baptiste Navarro, violon;