Des signes de qualité

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S'apprêtant à quitter sa paroisse, un pasteur rencontre une de ses fidèles, qui lui dit toute sa tristesse.
- Oh, on va vous regretter, oh ça oui !
Le ministre en est flatté, même s'il essaie chrétiennement de ne pas trop le montrer.
- Merci bien, chère Madame, mais mon successeur est très bien ; je me suis longuement entretenu avec lui et vous verrez : il sera un vrai berger !
- Peut-être, mais quand même !
- Allons, il a plein de qualités.
- Vous avez beau dire : avec l'âge que j'ai, j'en ai vu, des pasteurs. Hé bien…, ils étaient chaque fois moins bons !
Il y a des signes qui ne trompent pas et les paroissiens aiment bien avoir l'assurance qu'ils ont un " bon " pasteur, dont le ministère présente un certain nombre de "critères de qualités ". Je ne vais pas les énumérer : entre tout ce dont nous, les ministres, sommes capables de faire et tout ce que les paroissiens attendent, la liste est immense ! Des uns comme des autres, on attend des signes, et des signes de qualité !

Parfois, dans les relations que nous avons entre communautés chrétiennes, dans ces relations que nous espérons œcuméniques, se glisse aussi cette attente de critères de qualités. Pour que les choses avancent, il faudrait qu' " ils ", ces autres chrétiens, haussent un peu le niveau, sous-entendu rejoignent le nôtre : qu'ils aient un peu moins de traditions, forcément poussiéreuses ou un peu moins d'innovations, vraiment trop légères, un peu moins de rigidité (ils font un peu " coincés ") ou un peu moins de libertés (ils font un peu " puérils "). Allons, présentez-nous des signes de qualité !
On lance à Jésus cette même demande. Une demande ? Si seulement ! En fait, c'est une exigence qui ne cherche pas une réponse, mais une vérification, une confirmation de leurs idées préconçues.
Peut-être vous-même avez-vous été une fois dans pareille situation, engagé dans une conversation que vous pensiez amicale et au cours de laquelle, vous vous êtes rendu compte qu'on était en train de vous emberlificoter. Vous pensiez être à la même hauteur que votre interlocuteur, vous découvrez qu'il vous juge. Ce que vous lui apportiez, ce que vous sortiez de votre cœur, se noue lentement autour de votre cou !

Dans telle dispute de ménage, querelle entre voisins, conflit professionnel ou autre, il peut s'y trouver des demandes visant honnêtement à apporter un élément encore inconnu, une petite lumière nouvelle qui fera voir les choses autrement aux deux parties ; il peut y avoir aussi des demandes pour enfoncer l'autre, le mettre dans un piège, comme dit crûment l'évangéliste; avoir barre sur lui, une barre assez lourde.
Il y a des demandes qui sont des stratégies, sombres. L'enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. Il peut arriver qu'un croyant en interpelle un autre - en général moins " vertueux " que lui - avec vigueur et bonne intention. Ayant décelé une lacune chez l'autre, il la lui dit. Quel bien ça fait, surtout chez celui qui s'exprime !
On demanda donc à Jésus de montrer un signe qui vienne du ciel.
- Vous avez besoin d'un signe des cieux ? D'accord, parlons des signes du ciel ! Hé bien : soir comme ci, lendemain comme ça ! J'admire la répartie.
Moi, me sentant attaqué, j'aurais contre-attaqué. J'aurais expliqué, je me serais justifié, je me serais enfoncé !
- Messieurs, informez-vous, voyons ! Un démon chassé, puis des boiteux, des aveugles, des estropiés, des muets et … " et bien d'autres encore", comme dit l'évangile : guéris ! Et 4000 hommes : nourris ! (Mt.15. 30) Jésus n'entre pas dans le piège, il préfère passer sous silence ses actes. Ton interlocuteur ne veut pas voir avec le cœur ? Il ne verra sans doute rien de l'essentiel. Lui dire " Viens et vois !" ? A quoi peut bien servir cette invitation à qui ne cherche ni ne bouge ?

Les questionneurs de Jésus lui demandaient une preuve, un signe d'authenticité : pouvait-il se dire venant de Dieu, appellation d'origine divine contrôlée ? Jésus donne ce signe en le refusant ; il s'atteste en ne répondant pas à leur test.
Seul un vrai Dieu refuse de jouer à la divinité.
- Je ne suis pas un Dieu de commerce, avec qui on échange bons de commande et accusés de réception, prières " s'il te plaît donne-moi " et " merci de m'avoir donné ". Je suis le Dieu qui vient ouvrir tes yeux sur les signes des temps, sur ce monde qui a toujours besoin des " gestes qui sauvent " et d'actes qui donnent la vie.
Ne comptez pas sur moi pour clamer sans cesse des " JE suis le Sauveur ! " Ce genre de mise en avant ne m'intéresse pas. Ce qui me passionne, c'est vous, votre être, c'est-à-dire votre devenir.
- Vous êtes des braves gens, affirme Jésus. Vous regardez la météo, vous lisez les journaux, vous échangez des réflexions : " C'est quand même terrible ce qui se passe… Et ils n'arrivent pas à s'entendre… Et tous ces gens pauvres…. Et puis ces terroristes, pourquoi ne veulent-ils pas la paix ?"
Si c'est les seuls raisonnements que vous échangez, c'est trop peu, c'est trop petit ! Allez plus loin, jusque-là où cela vous touche, vous implique. Un reporter demanda à Mère Teresa ce qui, d'après elle, n'allait pas dans le monde d'aujourd'hui. Elle répondit : Vous et moi !

Mais les interlocuteurs de Jésus veulent rester spectateurs, extérieurs. On veut un signe, de très haute qualité, de son Dieu, de son Église, et de … et encore de… et puis après on verra.
Critiques jusqu'au bout, demandes sans fin, attentes jamais comblées. Beaucoup de demandeurs sont si préoccupés d'eux-mêmes qu'ils stationnent en deçà d'un exaucement.
Alors bon, on leur donne quand même un signe ? Eh bien d'accord : Jonas ! Ah, voilà de l'exceptionnel ! Renversant : le passager d'un navire se fait jeter par-dessus bord ! Grandiose : avalé par une baleine ou quelque chose comme ça ! Explosif, comme une série américaine : " Dans 40 jours, Ninive sera détruite ! " En un mot : Jonas !
Non, non, il faut prononcer ce nom comme une longue histoire. Dire " Jonas ", c'est évoquer celui qui passa trois jours et trois nuits, comme dans une tombe, seul avec lui-même.
Le signe de Jonas, ce qui caractérise sa destinée, c'est le passage dans la mort. Un engloutissement, puis une résurgence.
Dans votre existence, il y eut peut-être un moment où vous avez eu l'impression d'échapper à quelque chose de très grave. Je me souviens d'un dépassement, stupide et dangereux, alors que je roulais en moto, qui m'a beaucoup fait trembler après. On prend alors conscience de sa finitude on parle ensuite moins haut, on juge moins sévèrement, on pèse moins sur les autres. Essaie de ne pas oublier de tels moments, leur souvenir te rendra plus humain, car " il faut misère pour avoir cœur ".

Dans un roman, le héros fait une expérience profonde : il rencontre sa propre mort, il la regarde et dialogue avec elle : " Elle ne m'autorisait plus à remettre à plus tard tout ce que je pouvais vivre maintenant. Elle ne me laisserait pas fuir les luttes de l'existence et m'aiderait à mener le bon combat (…) Elle était là, affirmant que, lorsqu'elle me prendrait par la main pour que nous voyagions vers d'autres mondes, je ne devais pas emporter avec moi le plus grand de toutes les erreurs : le regret ".
Le regret des miséricordes manquées ; ces miséricordes qu'on aurait pu s'offrir, puis celles qu'on aurait pu offrir.
Jonas croyait connaître Dieu ; il croyait, tout en maintenant le plus de distance possible, voire en en rajoutant. Mais dans sa nuit de trois jours, il découvre que Dieu ne l'a pas fui et même qu'il l'accompagne maintenant dans son face à face avec sa fin.
Il faut des passages obscurs pour prendre le goût des vraies lumières ou, comme le dit le poète Gustave Roud: " Il n'y a pas de printemps pour ceux qui n'ont pas osé mourir ". Il y eut comme un soir, la demande d'un signe extraordinaire…
Après le fracas des exigences lancées et des jugements assénés, il y eut comme un matin, le contresigne de Jonas : l'aube d'un homme qui renaît.