La figure du bon berger

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La métaphore du berger utilisée par Jésus, telle qu'elle nous est rapportée par l'évangile de Jean est sans doute bien connue. Pourtant elle soulève au moins deux difficultés non négligeables :
La première, c'est qu'il est certainement de plus en plus difficile pour nos contemporains de saisir toute la portée de cette figure du berger dans une société où les bergers ne sont plus vraiment présents dans le paysage. Certes, l'actualité récente avec la réapparition du loup en Valais a replacé momentanément toute cette problématique des troupeaux de moutons qui se font attaquer et leurs bergers qui doivent trouver le moyen de les protéger sur le devant de la scène. Mais il n'en demeure pas moins que ces images ne font plus vraiment partie du vécu quotidien de la plupart des habitants de nos cités. Et c'est à se demander dans le fond si le terme de " pasteur " qui désigne les ministres du culte dans nos Eglises est toujours approprié et compréhensible parce que, faisant référence à une situation qui si elle était très parlante dans le contexte d'une civilisation rurale, n'est plus aussi pertinente dans notre monde urbanisé...
La deuxième difficulté, c'est cette image du troupeau qui, de nos jours, a pris un sens plutôt négatif, mettant l'accent sur une conception " moutonnière " de l'Eglise qui tend à minoriser les fidèles. Ce sont là des images non dénuées de danger, puisqu’elles peuvent être utilisées pour renforcer un cléricalisme jamais complètement évacué. C'est un danger déjà perçu par Martin Luther qui, s'il reprenait cette conception de l'Eglise-troupeau, relevait que les chrétiens n'avaient pas à se comporter comme des brebis passives, mais qu'ils étaient appelés à faire œuvre de discernement à l'égard de leurs pasteurs et à juger ce qui leur était enseigné.

Tout ceci doit nous rappeler l'importance qu'il y a de toujours bien situer à nouveau le contexte des écrits bibliques afin de ne pas se méprendre sur leur signification et d'aller au-delà des difficultés que ces textes peuvent soulever. Ainsi il est sans doute possible de mieux comprendre ce que cette métaphore du berger peut signifier. Jésus l'utilise alors que ses auditeurs peuvent saisir immédiatement de quoi il parle. Ce n'est pas par hasard qu'il s'identifie à un berger. Dans la Bible comme d'ailleurs dans le monde antique, le berger est l'image du chef, du leader, celui qui guide et qui est responsable du troupeau, mais il est aussi celui qui vit en marge : rappelons-nous en ce temps de l'Avent que c'est justement à des bergers que l'ange annonce en premier la naissance du Christ. Si Jésus applique cette image à lui-même, c'est qu'elle lui permet d'exprimer comment Dieu se tient présent auprès de nous dans sa personne, comme celui qui nous aime et qui prend soin de nous.
Jésus dit : " Je suis le bon berger ", le terme grec signifie aussi " beau ", non pas pour exprimer la beauté ou la bonté spécifique de Jésus, mais pour qualifier la compétence dans l'exercice du métier. Et Jésus va expliciter ceci en contraste avec deux autres images, révélatrices de comportements très différents : celle du mercenaire et celle du loup.
Deux figures qui représentent des manières d'agir qui sont à l'opposé de celle que Jésus adoptera. Le mercenaire, c'est le berger à gage celui qui n'est qu'un salarié, pas foncièrement attaché aux brebis dont il a la charge. Lorsqu’une difficulté survient, à l'heure du danger, il abandonne le troupeau pour sauver sa peau.
Sous cette figure, on peut clairement voir une allusion à certaines personnes à qui sont confiées des responsabilités politiques, économiques ou religieuses, des personnes qui sont légitimement en place, mais qui dans des temps de crise, aux jours mauvais, deviennent par lâcheté complices des puissances de destruction qu'elles laissent agir sans avoir le courage de les combattre. Ce sont tous ceux qui baissent les bras, refusant d'assumer leurs responsabilités et qui ont pour seul souci, celui de préserver leurs propres intérêts. Les exemples, hélas, ne manquent pas et chacun parmi vous pourrait aisément en citer un certain nombre.
Quant au loup, il figure bien évidemment les violents, quels qu'ils soient, qui attaquent, dispersent et détruisent la communauté (du plus petit au plus grand groupe, communauté locale, cité, groupe ethnique, nation, etc.) Ces deux figures font écho à l'oracle du prophète Ezéchiel, ces paroles très dures qui dénoncent l'attitude des responsables du peuple d'Israël qui n'ont pas été de bons bergers, qui n'ont pas pris soin de ceux qui leur avaient été confiés.

Ainsi contrepoint se dessine la figure du bon berger, qui trouve elle aussi une référence dans le message du prophète (Ez 34, 23) : Voici le berger authentique, celui qui est attentif à ceux qui lui sont confiés et comme le déclare Jésus, qui est prêt à donner librement sa vie pour eux. Le texte de l'Evangile précise que ce berger connaît chacun, non pas de façon purement intellectuelle (il ne s'agit pas d'une connaissance spéculative), mais qui aime celles et ceux vers qui il a été envoyé et cet amour suscite en retour la confiance. Ainsi ceux et celles qui écoutent sa voix peuvent alors le reconnaître comme guide et compagnon.
Au travers de cette image, Jésus se révèle donc comme celui en qui nous pouvons placer entièrement notre confiance (ce qu'exprime à sa manière si admirablement la cantate de Bach), en qui nous pouvons remettre nos vies. Et c'est par lui, dans cette rencontre que nous avons dès lors accès à Dieu, un Dieu qui nous rassemble dans son amour, qui nous conduit et qui fait route avec nous et nous guide sur le chemin de la vie, comme un berger totalement dévoué aux siens (figure évoquée par le Psaume 23).
Si cette métaphore du berger veut nous révéler l'amour de Dieu pour nous et comment il se manifeste dans la personne de Jésus comme celui qui prend soin de nous, elle a aussi une portée plus vaste qui rejoint ce qui concerne chacune de nos vies et la manière dont nous vivons nos relations aux autres : cela parce que nous sommes constamment menacés de sombrer dans l'un ou l'autre des travers mis en lumière par les figures du mercenaire et du loup.
Soit en voulant en rester à des relations de pure fonction et d'indifférence, sans témoigner aucune considération, aucun attachement aux autres, soit en voulant leur dicter des ordres tyranniques et s'imposer par la violence en détruisant alors toute relation, toute forme de confiance. Ce sont là deux attitudes qui rendent impossible la vie ensemble, qui empêchent toute vie communautaire.
Si Jésus choisit de s'identifier à la figure du bon berger, c'est pour nous appeler à vivre, sous sa conduite, dans une nouvelle relation qui s'enracine dans l'amour de Dieu. Il a donné librement sa vie pour que celle-ci puisse croître en nous et que nous puissions devenir à notre tour compagnons de route et guides les uns pour les autres, pour transformer notre manière d'être avec celles et ceux avec qui nous vivons.

A travers cette image concrète, prise du quotidien, Jésus vient nous dévoiler le chemin à prendre (il ne fait pas de grande théorie); il nous révèle aussi ce que nous pouvons faire les uns pour les autres sur cette terre.
Grâce à la confiance que nous pouvons offrir, grâce à l'amour reçu et présent en nous, nous pouvons éveiller, susciter, faire croître dans le cœur d'une autre personne tant de cette richesse de confiance et d'amour que Dieu nous a donnée, et qu'aucune puissance en ce monde ne peut anéantir totalement. Oui, partout où nous nous accompagnons les uns les autres, nous rendons tangible et manifeste une certitude qui, dans la foi, a la capacité de révéler à nous-mêmes et aux autres le sens de la vie.
Et lorsqu'un jour on nous demandera ce qu'il en fut de notre existence, ce que nous avons fait et ce pourquoi nous avons vécu, il nous faudra sans doute faire le décompte des moments où nous nous sommes dérobés, par faiblesse, par lâcheté, par ignorance ou encore par souci de confort, il nous faudra avouer les prétextes derrière lesquels nous nous sommes cachés.
Mais, espérons-le, nous pourrons également répondre que nous avons tenté d'être attentifs à ceux et celles qui vivent à nos côtés et pour qui nous avons essayé d'incarner un tant soit peu cette figure du bon berger, car tous nous sommes frères et sœurs sous la conduite de Celui qui nous précède et que nous suivons dans chaque geste d'amour fraternel que nous pouvons poser.

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Gérard Lutz
Musique
Cantate de J-S. Bach : "Du Hirte Israel, Höre", BWV n°104, par l'Ensemble Vocal et Instrumental Henri Dunant, dir. Gérard Lutz