" Père, je remets mon Esprit entre tes mains. "

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Il y a trois semaines, je vous ai raconté une petite histoire, une belle histoire, que vous avez aimée. Me pardonnerez-vous de vous en raconter une autre, courte également, mais qui n'est pas une jolie histoire ?
C'est un père qui se promène avec son fils de 5 ou 6 ans. Comme beaucoup de petits garçons et de petites filles de cet âge, celui-ci grimpe sur un mur, y marche quelques mètres, puis souhaitant descendre, s'apprête à sauter. Son père lui tend les bras pour le recevoir, l'enfant saute, au dernier moment le père retire ses bras et l'enfant tombe lourdement sur le sol. Commentaire du père : " J'ai fait ça pour que tu apprennes que dans la vie tu dois te méfier de tout le monde, même de tes parents ".
Je pense que la leçon a été entendue. Je pense aussi que, ce jour-là, quelque chose a été cassé dans la vie de ce garçon. Je trouve cette histoire horrible et je vous la raconte sans aucun plaisir. Mais vous allez comprendre pourquoi je vous la raconte. Laissez passer le temps de l'indignation, légitime et nécessaire. Prenez un peu de distance et réfléchissez à ce père. Il nous dit indirectement quelque chose d'important.

Ce père nous dit qu'il y a des gens, des adultes, suffisamment désenchantés, amers, blessés, pour mettre au premier rang de leurs principes de vie - et donc au premier rang de ce qu'ils jugent capital de transmettre à leurs enfants - le message : " Méfie-toi de tout le monde ! La vie est une jungle. Tout le monde peut te trahir. " Il est clair que ces gens, ainsi blessés par la vie, vont propager le mal qu'ils dénoncent et dont ils ont été victimes. Ils vont transmettre la souffrance qu'ils ont connue en croyant la prévenir. Ainsi fonctionnent les grands cycles absurdes de la violence, de la souffrance, de la méfiance, se nourrissant d'eux-mêmes, attachant les mêmes conséquences aux mêmes causes, en un cercle vicieux pitoyable et affreux.

Nous avons à lutter de toutes nos forces contre cette tendance. Nous avons à être les messagers et les témoins d'une confiance inébranlable en Dieu, en la vie, en la création, en l'homme, en l'avenir. Pour offrir à des millions d'enfants une histoire où ils puissent sauter dans les bras de leur père ou de leur mère en toute confiance, pour faire la même chose, après, avec leurs propres enfants, et construire peu à peu un monde qui tienne debout.
Pourtant nous sommes nous aussi placés, plongés dans ce monde qui a des allures de jungle. Peut-être, sûrement même que nous avons nous aussi fait de cruelles expériences, qui nous ont marqués ! Nous aussi, il nous est arrivé d'être trahis, déçus, amers. Nous avons été tentés nous aussi de baisser les bras et de dire : " Oui, c'est infiniment regrettable, mais il faut être réaliste : apprenons à nos enfants à se battre, à se méfier en permanence, à être durs avec eux-mêmes et avec les autres ". Et nous ne sommes, bien sûr, pas meilleurs que les autres, jamais.
Où alors prendre la force, trouver le courage de miser envers et contre tout sur la confiance ? Pourquoi, au risque de passer pour naïfs ou faiblards, inviter nos enfants et beaucoup d'autres gens à vivre la vie en confiance alors que la négativité imprègne le monde ?

Parce que Jésus de Nazareth, notre Maître, sur la Croix, a dit : " Père, je remets mon esprit entre tes mains " et que ce fut là selon l'évangéliste Luc ses derniers mots : " Après avoir dit ces mots, il mourut ".
Ecoutez bien. Comme il y a trois semaines, Jésus a prononcé ces paroles d'une voix forte ! Mais il y a trois semaines, cette voix forte était celle de l'abandonné, aux frontières du désespoir. Aujourd'hui, cette voix forte est celle de la confiance. " Je remets mon esprit entre tes mains " : ne vous y trompez pas, il ne s'agit pas, banalement, de rendre le dernier soupir. Dans le verbe remettre il y a la confiance, d'abord, et une confiance en acte. Jésus agit une dernière fois, et comment ! Remettre, c'est offrir, présenter, servir, recommander et surtout confier. Et puis remettre son " Esprit " ce n'est pas remettre le petit filet d'air que Jésus peut encore émettre dans la position si douloureuse du Crucifié ; L'Esprit dont il s'agit est une réalité forte, la puissance vitale que Dieu confère à ses créatures pour vivre et faire quelque chose de leur vie, puissance qui est comme concentrée dans le souffle !
C'est ce que Dieu a soufflé dans les narines d'Adam pour en faire un vivant. Comme si la respiration profonde de Dieu et celle de l'homme étaient apparentées. C'est donc un souffle qui témoigne par son existence même de l'Alliance entre Dieu et les hommes, d'un lien unique. C'est aussi le vent dans sa puissance et son mystère. C'est un souffle qui évoque en même temps le pouvoir, la vocation, le travail de l'homme.
En ce qui concerne Jésus, c'est donc toute sa vie, son ministère de guérison, de réconciliation, tout ce que Jésus a opéré par ce souffle, dans ce souffle; c'est sa vocation, c'est tout cela que Jésus offre, au moment de mourir, à son Père : " Je te remets toute mon œuvre, toute ma vie, mon esprit, ce que tu m'as donné d'accomplir. " On est en fait très près du " Tout est accompli " de dimanche passé !
Jésus confie cela à son Père au moment du plus profond dénuement, au cœur de cette déchéance du crucifiement, quand tout est devenu dérisoire, quand tout le monde se moque de lui. Quand il n'y a plus aucune raison d'avoir confiance ou de faire confiance. Aucune raison sauf une : Dieu. Son Père. Notre Père.
Contre tout désespoir, contre tout cynisme, contre toute méfiance, Jésus, avec force, d'une grande voix, dit la confiance, jusqu'au bout. C'est cette confiance, dite d'une grande voix, qui met en mouvement l'officier romain, figure annonciatrice de millions d'hommes et de femmes qui croiront à cause de cette confiance.
Vous savez que la réponse de Dieu ne sera pas immédiate. Il faudra l'attendre jusqu'au matin de Pâques. Et certains matins de Pâques se font longuement, insupportablement attendre, c'est vrai. C'est là cependant que jaillit la réponse : cette vie offerte de Jésus, offerte jusqu'au dépouillement de la croix, cette vie brisée, est une vie victorieuse, c'est une vie debout, une vie qui troue la mort. Jésus
ne s'est pas trompé et ne nous trompe pas en ayant fait confiance !
La confiance dont nous sommes témoins et messagers n'a rien à voir avec la méthode Coué. Rien à voir avec la manie à la mode américaine de tout " positiver ". Rien à voir avec l'optimisme qui est une bêtise, ni avec " après la pluie le beau temps ", qui est un fatalisme et une passivité. Rien à voir non plus avec le pouvoir, l'efficacité, l'organisation, les performances, le " fighting spirit ".
Elle a tout à voir avec Jésus de Nazareth, avec Vendredi Saint et avec Pâques : Dieu, le Père, accueille tout, ne laisse rien perdre, transfigure tout, ressuscite tout. Les pères et les mères peuvent tendre leurs bras à leurs enfants, et ceux-ci peuvent s'élancer, en toute confiance, même si on a toujours un peu peur de sauter ; ça fait d'ailleurs partie du plaisir ! Dieu ne retire pas ses bras.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jean-Christophe Geiser
Musique
Choeur Euterpe, dir. Christophe Gesseney