Il est avantageux que je m'en aille !

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Il nous arrive tous de réfléchir à l'avenir de notre société et d'émettre des appréciations sur son évolution. Oh! nos jugements sont inévitablement différents les uns des autres. Mais il y a un point sur lequel, en général, nous sommes tous d'accord : notre société change et ses changements nous conduisent vers des temps plus difficiles.

Les sociologues, les économistes partagent volontiers l'opinion que nous ne retrouverons plus le plein emploi qui a caractérisé les années 60 à 90. Et nous connaissons tous les difficultés des finances publiques. Nos institutions sociales ne pourront plus, avec la même générosité qu'auparavant, prendre en charge tous les frais sociaux engendrés par les disparités économiques. Oui. Notre société vit une mutation. Nous avons rêvé à une société idéale, à un Etat providence qui prendrait en charge nos besoins. Et maintenant nous devons faire le deuil de ce rêve.

Mutations - changements - faire un deuil.

Quel écho provoquent ces mots en chacun de nous ? Là nos réactions sont très diverses. Pour les uns, ce sera... : de l'indifférence. Ils ne se sentent pas concernés. Ils ont un travail auquel ils consacrent toute leur énergie. Peu importe l'évolution de la société.

Pour d'autres ce sera... : un repli nostalgique dans le passé. Ah! le bon vieux temps d'autrefois, supposé toujours meilleur que le présent.

Pour d'autres encore: une révolte, de la colère qui exprime une attente déçue, une colère dans laquelle ils vont dire tout le mal qu'ils pensent de la société et la charger de tous les défauts de l'humanité.

Pour d'autres enfin... : une déprime. Ils voient dans les changements et les mutations en cours un signe de la fin du monde et l'annonce d'un cataclysme apocalyptique universel.

Vous aurez remarqué que ces diverses réactions expriment quelques-unes des différentes étapes qui marquent tout processus de deuil. Lorsque nous vivons un deuil, nous passons par ces étapes-là. C'est qu'il y a réellement un deuil à vivre.

Mutations - changements - faire un deuil.

Quel écho provoquent ces mots en chacun de nous ?

Les textes que nous avons lus dans l'Evangile de Jean font partie de ce que l'on appelle "le discours d'adieu". Un discours que Jésus adresse à ses disciples après avoir achevé son ministère public auprès des foules d'Israël et avant sa mort et sa résurrection.

Au début de ce discours, Jésus annonce son départ. Jésus avertit ses disciples qu'il va les quitter. Ils ont pourtant vécu 3 ans ensemble. Ils ont sillonné la Palestine. Ils ont construit un projet de vie, peut-être même un projet de société. Les disciples ont engagé leur vie entière dans ce projet. Ils ont même quitté leur activité lucrative pour se mettre à la suite du Christ. Et maintenant, celui qui a profondément marqué leur existence leur annonce son départ.

Vous imaginez le choc des disciples. Tout s'écroule pour eux. La terre s'ouvre sous leurs pieds. Leurs réactions témoignent de leur désarroi:

- la fuite en avant de Judas (Judas qui va trahir son maître pour le forcer à user de sa puissance, d'où sa terrible déception en voyant que Jésus ne se défend pas).
- le conformisme de Pierre qui se désolidarise du Christ (Pierre, lui, renie son identité pour mieux se mélanger à la foule).
- la déprime des disciples sur le chemin d'Emmaüs. Ces deux disciples qui tournent le dos à Jérusalem, profondément déçus dans leur espérance.

Un sale coup...(si vous permettez l'expression)... et il y a pire que cela... Jésus a l'audace de leur dire que son départ est avantageux pour eux. Jésus qui, tout à coup, fait de la provocation.

"Il est avantageux, c'est dans votre intérêt que je m'en aille", leur dit Jésus. Et Jésus leur explique la raison. C'est parce que je vous enverrai le Saint-Esprit. Vous allez recevoir une présence, la présence mystérieuse du Saint-Esprit... Alors, que votre coeur ne se trouble pas. Croyez en moi, croyez en Dieu. Faites confiance à Dieu.

L'absence de Jésus va être comme dépassée par la venue du Saint-Esprit. Dépassée, parce que le Saint-Esprit ne sera pas seulement le substitut du Christ auprès des disciples... Pas seulement celui qui va le remplacer sur la terre. Non...

La venue du Saint-Esprit est l'attestation qu'une "économie" nouvelle a commencé. La venue du Saint-Esprit atteste qu'une nouvelle relation est inaugurée entre Dieu et les hommes. Elle atteste que désormais le salut est accompli, que les choses anciennes sont passées, que toutes choses sont devenues nouvelles. C'est le Saint-Esprit qui signe ce temps de salut, de restauration, d'accomplissement de toutes choses. Temps de la victoire de Dieu sur le mal et les ténèbres. C'est le Saint-Esprit qui vient inscrire ce temps au coeur de ceux qui l'accueillent.

L'Esprit, présence de Dieu parmi les hommes. L'Esprit, actualité du Christ. L'Esprit que Jésus nomme le "Paraclet". Ce mot signifie littéralement "appelé à côté". Et on pourrait le traduire par : avocat, consolateur, médiateur, celui qui est appelé auprès de quelqu'un pour l'assister.

Mais, dites-moi, quelqu'un qui est à côté de nous, n'est-ce pas de cela dont nous avons le plus besoin ? Nous qui sommes si souvent enfermés dans notre individualisme. Nous qui avons tant de peine à être "à côté" de ceux que nous côtoyons dans nos familles, dans notre vie sociale et qui souffrons des fractures qui surviennent avec eux.

Dieu se propose d'être à nos côtés pour que nous puissions être à côté des autres. Et c'est précisément cela la vocation du Saint-Esprit. Non pas produire, je ne sais quelle illumination. Mais ouvrir des chemins de proximité avec Dieu, avec les autres, en nous-mêmes.

L'Esprit était là lors de la création. Il planait sur les eaux. Souffle de Dieu. Tout a été créé par lui. Certes, cette création a été altérée par la révolte, la violence, fracturée par le péché. Maintenant l'Esprit est à l'oeuvre dans le monde pour recréer le monde. Esprit créateur, Esprit recréateur. Esprit qui, inlassablement régénère cette création fracturée pour lui restituer sa beauté au coeur de ses souffrances.

Esprit

- puissance de Dieu qui ne violente pas.
- lumière de Dieu qui n'éblouit pas.
- feu de Dieu qui ne consume pas.
- bonté de Dieu qui n'est pas faiblesse.
- Justice de Dieu qui ne condamne pas.
- liberté de Dieu qui n'aliène pas.

Et cet Esprit, le Christ nous fait la promesse qu'il vient habiter en nous. Il n'est plus seulement, comme dans l'Ancien Testament, une force qui vient épisodiquement saisir telle ou telle personne. Ou, comme nous le disions dimanche dernier, le signe de Dieu qui s'approche de nous.

L'Esprit est désormais Dieu avec nous, Dieu lui-même qui vient habiter ceux et celles qui mettent leur espérance en lui. Et cela change tout.

Avant la Pentecôte, les disciples étaient craintifs, hésitants. Après la venue de l'Esprit, ces mêmes disciples ont affirmé avec audace et conviction le message dont ils sont porteurs. Ils ont imaginé, ils ont créé la société nouvelle qui marquera d'une empreinte profonde l'histoire entière. Un projet de solidarité et de partage entre les hommes. Oh! il faut bien le reconnaître, la faiblesse humaine s'est chargée de réduire en cendres ce projet... mais l'espérance renaît sans cesse de ces cendres-là.

L'Esprit en nous c'est la certitude d'une espérance actualisée. L'Esprit en nous, c'est la certitude d'un Dieu qui nous rejoint pour transformer notre existence, pour assumer nos deuils et nos fractures. L'Esprit en nous c'est la certitude d'une espérance réalisée.

Mutations - changements - notre modèle de société touche-t-il à sa fin, tout au moins dans certains de ses aspects ? Qu'est-ce que cela provoque en nous ? Un deuil à faire ? Oui certainement. "Il est avantageux que je m'en aille".

L'Eglise est un peuple d'hommes et de femmes libres et adultes. L'Esprit a été donné à ces hommes et à ces femmes pour les faire vivre et grandir. Comme des hommes debout, nous pouvons affronter la réalité de la vie avec, pour bagages, la Présence et la Parole de celui qui nous a mis en route. L'Eglise n'est pas un refuge à l'abri des bourrasques de l'histoire des hommes. "Je m'en vais", dit Jésus. Jésus n'est pas une mère poule. La foi n'est pas la satisfaction illusoire d'un besoin qui nous maintiendrait en enfance.

L'Esprit est notre défenseur, notre consolateur. Tout peut paraître chaotique, voire absurde, banal, insignifiant ou inutile. L'Esprit atteste que dans les entrailles du monde humain, le Christ a commencé sa révolution. La déception et le désarroi peuvent bien nous menacer, voire nous emporter... L'Esprit restera au coeur du temps la grande respiration de Dieu qui porte jusqu'à nous la saveur de la terre nouvelle et du royaume à venir.

Dans toute difficulté, dans les interrogations douloureuses, dans les temps où l'on n'a plus la force de tenir en bride les agitations de son coeur, le Seigneur est présent par son Esprit. Dès lors, le disciple est capable, dans ces situations, de ne pas se troubler et de garder l'espérance.

Nous communions, certes, aux divisions du monde. Mais déjà l'Esprit est la force qui unifie le grand corps de l'humanité.

"Il est avantageux que je m'en aille", dit Jésus. Celui qui garde ma parole, qui pratique mes commandements, celui-là, celle-là est un homme, une femme d'espérance qui inscrit au coeur du monde la promesse d'un monde nouveau. Un monde de justice, de vérité et d'amour. Un monde qui exprime le vrai sens de la vie auquel chacun aspire.

"Il est avantageux que je m'en aille", nous dit Jésus. Et il le dit parce qu'il a inventé notre avenir. Il a trouvé le chemin de la liberté et de la vraie naissance. Il nous permet, dans les difficultés présentes, d'être créatifs, confiants afin de construire de nouvelles solidarités.

Amen.

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Avec la participation de
Orgue
Silvain Dupertuis, piano
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