L'Esprit dans l'Ancien Testament

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La lecture que nous venons d'entendre nous parle d'une Vision; d'une vision d'un prophète appelé Ezéchiel. En ce moment, Ezéchiel se trouve dans sa maison à Tel-Aviv, une ville babylonienne. Et cette ville est située très loin de sa ville natale. Ezéchiel était prêtre au temple de Jérusalem - mais il ne l'est plus. Les Babyloniens ont envahi la Judée, il y a quelques années, ont pris Jérusalem, ont déporté une bonne partie de la classe dirigeante du pays et l'ont répartie à différents endroits de leur empire.

Dans sa maison d'exil, Ezéchiel reçoit les "anciens de Judée". Ces dignitaires du peuple juif sont venus de loin pour le voir. Surtout, ils sont venus chercher conseil auprès de cet homme qui avait vécu si longtemps près de Dieu et qui s'était si souvent tenu devant le trône de Dieu. Ils sont venus chercher une parole de Dieu, un conseil, une indication. Et c'est par l'intermédiaire d'Ezéchiel qu'ils comptaient obtenir cette parole. Maintenant, ils sont assis dans sa maison et lui rapportent les dernières nouvelles du pays, et Ezéchiel les voit, là devant lui et les entend parler des problèmes qu'ils rencontrent tous les jours là-bas. Tout à coup, pendant qu'ils se trouvent tous là, assis autour de lui, Ezéchiel nous raconte que "la main du Seigneur s'est abattue sur lui". Tout à coup il est pris comme "par les cheveux" et "soulevé par l'Esprit entre ciel et terre". Et Ezéchiel, qui n'avait plus mis les pieds à Jérusalem, n'avait plus revu son lieu de travail, depuis des années déjà, se trouve à revoir tout cela en vision. Il n'est plus vraiment avec ses visiteurs, il est ailleurs, hors de lui, transporté comme par un Concorde dans la capitale juive.

Et il lui est donné de regarder dans tous les recoins de la ville. Il voit ces compatriotes et les entend parler entre eux. Et il se rend compte qu'à l'heure qu'il est ils ont perdu tout sens d'orientation. De peur de déplaire aux Babyloniens, les habitants de la ville font tout ce que ceux-ci leur demandent de faire, et davantage encore, comme le gouvernement de Vichy qui a livré aux camps de concentration bien plus de Juifs que les Allemands leur avaient demandés. Comme les autorités françaises sous l'occupation, les habits tant de Jérusalem en rajoutent: ils adoptent à un tel degré le style des ennemis, qu'ils en viennent à leur ressembler, à faire comme ceux-ci, à parler comme eux, à porter les mêmes habits, bref, à servir les mêmes dieux que leurs envahisseurs.

Ainsi Ezéchiel assiste en vision, en télévision, à la démolition de tout ce qu'il avait aidé à entretenir : le culte offert à Jahwe, le Dieu d'Israël. Tout a été changé depuis. Les sacrifices et les prières offerts à Dieu ont été supprimés ou transformés à un tel point qu'on ne s'y reconnaîtrait plus. On a fait installer des statues d'autres dieux, remodeler le culte à la manière des dirigeants actuels. Horrifié par ce qui lui est donné de voir, il entend la voix de Dieu s'adresser à sa personne :"As-tu vu, fils d'homme ?"

Quand les choses deviennent trop dures pour nous; quand nous nous trouvons devant une impasse, le premier réflexe est d'abord de fermer les yeux et de ne rien voir. Peut-être que le danger se dissipera tout seul, que je me suis trompé, que ce n'est pas si grave que cela. Alors on se calme un peu et on essaie de faire avec. Au bout d'un moment, le problème que nous essayons de pousser devant nous se rappelle à nos bons souvenirs, petit à petit, gentiment, en cati-mini. Pendant la nuit, par exemple, quand nous perdons le contrôle de ce qui se passe en nous, le problème refait son apparition, sous forme de rêve. Alors, tout à coup, vous vous sentez poursuivis et vous ne savez pas pourquoi, vous vous sentez menacés, et ce qui vous pesait pendant la journée se met à se transformer en images la nuit, des images dont vous ne saisissez pas le sens, et pour finir, vous commencez à avoir peur de vous endormir le soir. Un jeune homme m'a raconté une fois qu'en rêve il se voyait d'en haut, comme son corps était en train de se décomposer lentement.

C'est un peu ce qui a dû arriver aux "anciens de Judée". La société dans laquelle ils vivaient était en pleine décomposition, qui sait, si eux-mêmes tiendraient encore le coup longtemps. Et ce qu'Ezéchiel était en train de voir était comme un concentré de leur situation. Une vision, un rêve, un moment, où nous nous retrouvons ailleurs, dans nos pensées, ne vient jamais seul. Une vision est accompagnée de plusieurs messages. Souvent, il s'agit d'abord d'un signal d'alarme: prends garde, il y a quelque chose à voir de plus près; il faut que tu t'en occupes.

Une vision c'est comme un avocat, un avocat des causes inavouées, des causes perdues... en apparence. Attention, toi qui te vois d'en haut, te décomposer: si tu vois cette image, c'est que tu es en train de t'habituer à l'idée que d'autres se sont déjà faite de toi, tu es en train d'adopter le jugement que ta mère ou ton père ou d'autres encore ont pu porter sur toi: que tu gênes, que tu es de trop chez nous, que tu n'as pas le droit d'exister.

Ezéchiel voit plus loin que les anciens ne lui disent. A travers leur récit il voit les choses d'une manière beaucoup plus claire qu'elles ne leur apparaissent à eux-mêmes, il voit tout en images, en images qui se suivent selon une logique implacable: "Alors les chérubins déployèrent leurs ailes: les roues étaient avec eux. La gloire du Dieu d'Israël était au-dessus d'eux, tout au-dessus."

Dans une vision, les choses se mettent à bouger, quand justement nous, ne voulons surtout pas qu'elles évoluent: "les chérubins déploient leurs ailes..." La vérité sur nous-mêmes, sur l'état de nos relations, sur nos chances sur le marché du travail, sur l'état de notre société en général, cette vérité s'impose d'elle-même à un moment ou à un autre, et elle est indépendante de notre volonté, complètement indépendante de nos convictions, de notre foi. Dieu reste Dieu et la vérité reste la vérité et Dieu va où il veut et la vérité se déplace comme elle l'entend. C'est pourquoi nous voyons ici les chérubins accompagnés de roues, des roues qui tournent. Dieu n'est jamais fixe, il est "mobile". Personne ne pourra forcer la main à Dieu. Même les politiciens n'y parviendront pas. Si notre mode de vie, notre vie de famille, le monde du travail sont en train de changer, complètement, ce ne sera ni un coup de frein sur le travail de nuit ni un investissement aveugle dans le secteur de l'immobilier qui vont y changer grand-chose : le problème est beaucoup plus profond, le bouleversement beaucoup plus radical que nous sommes prêts à l'admettre, nous, et les anciens de Jérusalem qui pensent pouvoir sauver encore ceci ou cela de l'ancien ordre des choses. "Vois-tu cela, fils d'homme?" "Et la gloire du dieu d'Israël était au-dessus d'eux, tout au-dessus".

Dieu déménage. Sa gloire s'élève au-dessus du temple et s'en va. Avec le temple, c'est comme avec une entreprise : quand elle n'est plus rentable, elle meurt, et rien ne peut empêcher la vie d'en sortir. Chaque entreprise meurt un jour, chaque petit commerce et chaque holding. Ezéchiel tient son regard fixé sur cette apparition : le temple a servi...

C'est comme avec la villa : beaucoup d'années de travail, de planifications, de week-ends consacrés, et, pour une raison ou pour une autre, peut-être parce que la maison est enfin prête, le couple se sépare, n'a plus de raison d'être, le souffle n'y est plus, la villa restera vide. La vie ne se retient pas.

Puis on voit la gloire de Dieu se déplacer vers la montagne qui se trouve à l'orient, à l'est de Jérusalem. Nos rêves, nos visions ne sont pas faits pour nous faire peur. Ils sont accompagnés d'un message positif, de l'indication d'une direction à prendre: si Dieu n'est pas dans son temple, c'est qu'il est ailleurs, si la vie n'est pas là où nous pensions, c'est qu'elle a pris une autre route. Et comme le message d'une vision s'adresse toujours d'abord à la personne qui le reçoit, la direction que prend la gloire après avoir quitté le temple, n'est pas un détail innocent : c'est vers Ezéchiel que Dieu se dirige maintenant, vers Ezéchiel et les autres expatriés, ceux qui vivent à l'est du temple.

Et toi, jeune homme, horrifié du regard que tu portes sur ta propre personne, accueille ce message, et tu en as la force, au fond de toi-même : regarde-toi en face! Tu pensais que ce n'était pas la peine, et qu'en fait tu n'étais qu'un obstacle à tout le monde, tu as fait longtemps comme s'il n'y avait rien à voir, à regarder. Et si tu es horrifié maintenant c'est parce que tu t'es laissé dépérir pendant toutes ces années. Tiens bon et tu te rendras compte qu'il y a quelque chose à voir, que tu es bel et bien là, et c'est pour te rappeler cela que tu n'en finis pas de rêver ces derniers temps : prends pitié de toi, maintenant, permets à tes sentiments de s'exprimer, grâce à eux tu pourras nouer une nouvelle relation avec la vie.

L'Esprit soulève de nouveau Ezéchiel et l'emmène dans la direction que la gloire avait déjà prise, mais plus loin encore: dans sa maison à Tel-Aviv, entouré des Anciens. Eux, sans doute, avaient parlé tout le long de sa vision, sans se rendre compte qu'Ezéchiel, lui, ne les avait plus écoutés. Il essaiera de décrire plus tard ce qui lui est arrivé: "cela se passait en vision, sous l'effet de l'Es-pris de Dieu". Mais il ne s'est pas arrêté là. Il a pris la balle au vol et a communiqué sa vision autour de lui :"je parlai aux déportés de toutes les choses que le Seigneur m'avait fait voir".

Une vision contient toujours un message positif, une direction à prendre, plus encore un message personnalisé, un message pour moi et pour ceux qui m'entourent : si la gloire de Dieu a quitté Jérusalem c'est qu'il l'a fait pour moi, Ezéchiel, et mes contemporains, il est allé là où nous sommes. Nous qui pensions que nous vivions à l'écart de tous, à l'écart de la vie, à l'écart du bon sens, Dieu s'est approché de nous.

Il y a donc encore de la vie en nous, un Dieu chez nous et puis, un jour, qui sait, retournerons-nous dans notre pays ou nous resterons ici, ou irons ailleurs, mais l'image restera : la gloire de Dieu s'approche de moi, donc moi, à mon tour je suis en mesure de retrouver mon équilibre, de me refaire une place dans une société qui bouge. Et je peux laisser derrière moi ce qui m'avait fait mal, mes relations rompues, je peux déposer le passé dans ce qui est du domaine du passé, les morts parmi les morts, le culte vide de sens dans un temple sans âme, mes regrets dans une villa qui n'est plus la mienne.

Mais pour cela, il faut que je sois également prêt à bouger, à remuer des ailes, à faire comme Ezéchiel qui n'a pas gardé sa vision pour lui mais l'a communiquée à ses contemporains et à nous autres qui cherchons des débouchés pour notre époque, comme le jeune homme qui s'est mis à parler de sa vision, à quelqu'un qu'il ne connaissait pas, mais il l'a fait quand même, il est timidement en train de s'attribuer une place dans le monde. Et c'est de ce réseau d'échanges que se tisse l'avenir, à partir de trois fois rien, d'une discussion entre amis, et tout à coup il me vient une image... et l'Esprit de Dieu se met à parler.

Amen.

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Avec la participation de
Orgue
Silvain Dupertuis, piano
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