Me toucher dans mes profondeurs

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Les rabbins disent qu'il y a septante lectures possibles de la Parole de Dieu. Septante, c'est pour dire qu'il y en a une infinité, tant la Parole de Dieu est vaste. Et si personne ne peut prétendre la maîtriser ou en faire seul le tour, chacun peut et doit donner sa propre lecture de la même parole, afin d'enrichir et de compléter les autres.

Voici donc ma lecture de la vision d'Ezéchiel que nous venons d'entendre.

J'ai d'abord été frappé par l'origine de cette source, mince filet d'eau au départ, coulant de dessous une porte. Et derrière cette porte, qu'y a-t-il ? D'où part-elle ? Nous ne savons qu'une chose : cette source vient du Temple, où la Gloire de Dieu est revenue habiter. Ce filet d'eau est le signe visible d'un Dieu invisible, et débordant. Ça me fait penser aux sacrements, le baptême et la sainte Cène : ne sont-ils pas, eux aussi, signes visibles d'une grâce invisible, et certainement débordante ?

La présence du Dieu vivant donne une source aux propriétés étonnantes. Habituellement, chez nous, un torrent grossit grâce à l'apport de ses affluents; ici, en quatre fois mille coudées, le filet d'eau devient tout seul torrent infranchissable. Ordinairement, les vertus bénéfiques d'une source se diluent à mesure qu'on s'éloigne de son début; ici, on constate l'inverse: tout en grandissant en débit, le courant déploie ses effets : il guérit les eaux de la Mer Morte, il suscite une variété de poissons aussi riche qu'en Méditerranée, il fait croître des arbres nourrissant et guérissant. Comment ne pas penser à la graine de moutarde, dont la force de croissance n'était pas imaginable au départ ? Nous connaissons des courants forts et impétueux; mais quand ils traversent des terrains nouveaux, ils les creusent, ils en emportent la terre, ils les noient. Ici, au lieu d’une force de destruction, c'est une force de vie qui est à l'œuvre. Je dirais même, une force de création, une force de résurrection.

En effet, n'est-ce pas une image paradisiaque qu'Ezéchiel contemple, avec ces pécheurs au travail, ces arbres de vie bordant le torrent ? Comment ne pas nous rappeler le fleuve aux quatre bras du jardin d'Eden ? Vision de la volonté première de Dieu, ne pouvons-nous pas aussi l'appeler vision de résurrection ? Car là où désormais tout chante la santé et la vie, stagnait la Mer Morte.

La Mer Morte, c'est le lieu sans issue par excellence. Pour l'eau tout d'abord, qui, ne pouvant s'écouler plus loin, s'évapore et laisse le sel anéantir toute possibilité de vie en ce lieu. La Mer Morte, c'est le point le plus bas, non seulement géographiquement parlant, mais aussi pour toute vie en général. Et nous voyons le courant jailli du Temple guérir ces eaux condamnées. L'eau vive touche la Mer Morte, et celle-ci peut renaître, abondamment. La mort traversée, vaincue par la vie de Dieu : quel magnifique clin d'œil du Premier Testament à nous autres, chrétiens de Pâques !

Dieu, vraiment, est le même, hier, aujourd'hui, éternellement ! Quelle splendide vision Ezéchiel a reçu là. Mais à quoi sert-elle ? Est-elle comme un dessin animé, ou une belle histoire qu'on donne pour faire rêver un peu les gens, pour les faire oublier la rudesse de leur condition ? Je ne le crois pas. Dieu donne cette vision à Ezéchiel, pour qu'il la communique à son peuple. Ce peuple qui est présentement exilé à Babylone, humilié en terre étrangère. Cette vision est un regard qui pénètre la réalité voulue et promise par Dieu, et qu'il accomplit. Cette vision est un dévoilement, une révélation de l'action de Dieu en faveur des siens. Ils peuvent bien se sentir aussi condamnés que la Mer Morte: la Bonne Nouvelle est pour eux: Dieu revient, et avec lui la vie.

Je crois que cette vision nous parle aussi aujourd'hui. Nous pouvons parfois nous sentir au plus bas, plus morts que vifs dans nos énergies, placés dans des situations sans issue. Quel bienfait alors, si cette guérison nous arrivait, si nous étions touchés par un tel courant de vie, par cette résurrection, cette découverte de ce que Dieu a désiré pour nous depuis toujours ! Aussi vrai que Dieu ne change pas dans sa volonté de vie, aussi vrai que Jésus est mort et ressuscité pour nous, cette source de vie est là pour nous, nous qui nous tenons à son début, la trouvant si petite, accueillant une Parole, un geste, un bout de pain, une gorgée de vin. Cette source de vie est là pour nous, voulant avec la même vitalité grandissante pénétrer nos lieux de vie, nos recoins de mémoire, et nos choix, et nos assemblées et notre monde.

Parfois, j'ai une réaction typique d'un habitant de la Mer Morte. Je me dis : si ce torrent ne venait pas me toucher, je serais plus tranquille. Car tous ces poissons, tous ces pêcheurs et ces arbres en travail, quelle vie ils mènent, quel remue-ménage! Jusqu'où Dieu veut-il m'emmener, hors de mes tombeaux ? Jusqu'où veut-il descendre et me toucher, dans mes profondeurs ? Que ma lenteur à croire, à accueillir la vie de Dieu, soit elle aussi touchée, guérie par la force de son amour.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Marie-Claude HUGUENIN-PARATTE
Musique