La foi et la peur ne font pas bon ménage

©Alexandra Urfer Jungen

Écouter le culte :

« La foi et la peur ne font pas bon ménage », c’est le titre que j’ai donné à cette prédication. J’avoue qu’il me fallait un titre accrocheur pour mettre sur le site web de la radio. Vous me direz à la fin si la prédication correspond au titre que je lui ai donné !

L’épisode de la tempête apaisée est bien connu et certainement que bon nombre d’entre vous peuvent comparer les différentes prédications sur cette péricope.

Aujourd’hui nous nous concentrons sur la foi des disciples, sur notre foi et sur la foi de l’Église. Et si j’ai mis comme titre « la foi et la peur ne font pas bon ménage », c’est bien parce que la foi des disciples est mise à l’épreuve alors que les forces de la nature se déchaînent premièrement, et ensuite leur foi est ébranlée dans la réalisation que Jésus est plus que l’enseignant qu’ils connaissaient. En quelques versets, Marc raconte toute une nuit pleine de retournements. Laissons-nous donc entraîner dans cette aventure.

Au début de notre récit, tout semble normal. Jésus a enseigné toute la journée, il propose aux disciples de traverser le lac pour marquer l’entrée dans le repos. Il prend congé de la foule, les disciples préparent le bateau et ils sont prêts au départ. Nous savons par les récits antérieurs que certains disciples étaient pêcheurs, ils maîtrisent la navigation et connaissent le lac comme leur poche. Tout est sous contrôle. Ils ont foi en leurs capacités.

Dans nos vies personnelles nous contrôlons aussi notre quotidien : nous avons des agendas qui nous conduisent de rendez-vous en rendez-vous au travers de la journée. Nous sommes compétents dans notre travail, nous gérons notre vie, nous avons foi en nos capacités.

Dans l’église et nos communautés nous savons quand ont lieu les cultes et nous nous rendons aux activités prévues et connues de tous. Nos paroisses et conseils de paroisse gèrent les affaires courantes et maîtrisent leurs dossiers. Ainsi va la vie…

Mais tout à coup, cette idylle se grippe, la nature se déchaîne, un ouragan, une forte tempête s’abat sur le lac de Galilée. Dans le canton de Neuchâtel et dans plusieurs régions de Suisse romande nous avons vécu un déchaînement des forces de la nature. Il y a quelques jours, nous avons vu des images, des films de la catastrophe et chacun de nous connaît au moins une personne victime de ces intempéries immaîtrisables.

Nous ne pouvons qu’imaginer leurs peurs et leurs angoisses. Sur le lac de Galilée, les tempêtes aussi se déchaînent brutalement quand les vents descendent des montagnes alentours. Ces bourrasques font lever les vagues et menacent les embarcations.

Les disciples qui d’habitude maîtrisent leur sujet sont submergés par cette tempête où toutes leurs compétences passent par-dessus bord et ils sont saisis d’angoisse. La seule chose qui compte : sauver sa peau. Plus question de réfléchir, il faut empoigner seaux et récipients pour sortir l’eau de l’embarcation et ne pas couler. Il n’y a plus que la nuit, l’eau, le vent et les cris incompréhensibles des amis qui se trouvent dans le même bateau.

Quand nos vies se grippent, quand ce que nous avons soigneusement agendé se perturbe par des éléments extérieurs imprévisibles et inattendus, nous perdons l’équilibre, nous sommes ballottés par les circonstances, nous n’arrivons plus à prendre du recul, nous subissons sans trouver de sortie de secours. Nous nous accrochons fermement à la vie et nous essayons tant bien que mal de surnager en parant au plus pressé. Je suis persuadée que chacun et chacune de vous pense en ce moment à une situation vécue précise.

Mais je suis certaine qu’en réfléchissant quelques secondes, vous trouverez également une situation dans votre communauté, dans votre paroisse où la machine s’est grippée, où ce qui était habituel n’était tout simplement plus possible, a provoqué beaucoup d’agitations, d’insécurités, de peurs et tout a été entrepris pour retrouver la situation initiale.

Quand cette angoisse nous envahit, celle qui nous fait perdre toute espérance, nous avons désespérément besoin de trouver une étincelle qui nous permettra de reposer nos pieds sur la terre ferme.

Les disciples vont trouver cette étincelle auprès de Jésus. Certainement que l’un d’entre eux s’est rendu compte qu’il manquait des bras pour sortir l’eau du bateau. Pas le temps de s’inquiéter à savoir comment il pouvait, comment il arrivait à dormir à l’arrière du bateau, mais l’enseignant, le maître, est prié de se lever et d’aider l’équipage pour la survie de tous.

Aujourd’hui nous avons le temps de nous arrêter sur ce contraste, sur cette opposition entre l’agitation des disciples et de Jésus qui dort. Élian Cuvillier commente cette situation comme suit : « Le contraste réside ici dans la force des éléments déchaînés et le calme souverain de Jésus. Ce contraste est souligné au plan narratif par l’incohérence qui consiste à décrire une barque envahie par les eaux et un personnage en train de dormir, qui plus est, sur un coussin ! Le récit suggère peut-être aussi que, lorsque Jésus dort, la place est laissée aux puissances de la mer, qui peuvent donner libre cours à leur furie. »

Comme lecteur de l’évangile, nous comprenons que Jésus doit être bien plus qu’un enseignant ou un thaumaturge capable de guérir des maladies. Et en tant que lecteur d’aujourd’hui nous avons le privilège de connaître la suite de l’histoire et de la placer dans ce contexte de révélation du Christ ressuscité, sauveur du monde. Les disciples vont devoir acquérir cette connaissance et reconnaître que celui qu’ils croient être l’enseignant, le maître, est bien plus que celui qu’ils pensent être.

Revenons à ces disciples qui cherchent des bras pour leur permettre de survivre. Ils appellent Jésus – lui qui a le temps pour les foules et les malades, n’a-t-il pas le temps ni l’énergie de les sauver, eux, ses meilleurs amis ? Ce qui est frappant dans la demande des disciples, c’est le plan précis qu’ils ont pour lui à ce moment-là : les aider à sortir l’eau du bateau !

Quand nous invoquons le Christ dans nos vies personnelles ou pour notre Église, quelle est notre attitude ? Avons-nous déjà clairement un plan dans lequel Jésus va s’inscrire avec un rôle prédéfini, celui qui est attendu de lui, car cela s’est toujours déroulé de cette manière ? Cela nous rassure de savoir que chacun a sa place.

Jésus s’oppose fermement à prendre la position que les disciples prévoient pour lui. Il refuse de jouer le jeu. Au lieu de les accompagner, de se placer à côté d’eux dans leur désespoir, il agit à l’opposé de ce qui est attendu de lui. Il reste à l’extérieur des préoccupations et des peurs des disciples. Il se réveille et menace le vent et la mer. « Un grand calme se fit ! » La tempête s’arrête, il n’y a plus de danger. Jésus, le Christ, est venu rendre la vie à ses amis.

Chers frères et sœurs, ce Jésus qui calme la tempête, qui donne la vie, qui libère des peurs est vivant aujourd’hui pour nous libérer et nous rendre la vie.

Cette affirmation est angoissante en elle-même car cela signifie que nous n’avons pas le pouvoir de maîtriser le Christ. Impossible de le mettre dans une boîte, dans une case de l’agenda. Le Christ agit où l’on ne l’attend pas, il résout les problèmes de manière surprenante et bien plus efficacement que ce que nous osons espérer. Il ne nous reste plus que la contemplation et l’émerveillement devant cette puissance incomparable.

Mais l’histoire ne se termine pas là. Non seulement les disciples ne sont pas émerveillés du tout, mais Jésus les reprend : « Pourquoi avez-vous tellement peur ? Comment n’avez-vous pas de foi ? » Jésus interpelle ses amis et leur fait prendre conscience d’une autre réalité.

Le monde ne se limite pas à un danger imminent, le soleil continue de briller derrière les nuages. Nous pourrions reformuler les questions du Christ : « Pourquoi vous laissez-vous submerger par les difficultés et les dangers ? »

Par cette question, il les emmène vers une nouvelle compréhension de sa personne. Les disciples connaissaient Jésus enseignant le Royaume avec autorité, guérissant les malades, mais voici qu’il a même le pouvoir sur les éléments naturels.

À l’époque, tout le monde le sait bien : Dieu-seul a ce pouvoir-là. Les disciples sont conduits à percevoir la divinité de Jésus. Il n’est plus un messager, un homme bien, mais Dieu lui-même. Cette révélation, les disciples la saisiront pleinement lors de la passion du Christ. Ils comprendront que Dieu lui-même a donné sa vie, a vaincu la mort pour qu’eux et nous ayons la vie.

Même si les disciples ne comprennent qu’une fraction de cette dimension divine, ils sont saisis d’effroi à l’idée de se trouver dans la présence de Dieu. « Qui est celui-ci ? »

Alors qu’ils viennent d’être sauvés des eaux, leur angoisse est encore plus grande, et même s’ils craignent de perdre la vie en ayant vu Dieu, leur peur est de nature différente que celle de se noyer. La peur des circonstances extérieures leur fait perdre l’espérance, les parachute dans un tunnel apparemment sans issue. Cette peur-là ne fait définitivement pas bon ménage avec la foi.

La crainte qui s’empare d’eux alors qu’ils reconnaissent la divinité devant eux, même s’ils sont paralysés, cette peur va les conduire à la foi, à la réalisation que le Christ peut tout pour eux. Dans ce cas, la peur doit faire ménage avec la foi, pour lui permettre de grandir et conduire les croyants dans le Royaume.

Le Christ a calmé la tempête, comme il calme les tempêtes de notre vie et nous conduit dans le calme et la paix. Le Christ nous révèle sa gloire afin que nous aussi nous y participions. Apprenons à reconnaître son œuvre dans nos vies. Appuyons-nous sur notre foi pour ne pas nous laisser submerger dans nos adversités. Prenons le temps de contempler et d’admirer l’œuvre de Dieu dans nos vies.

Amen !

Lorsqu'on est pris dans la tempête, la peur submerge toute pensée rationnelle. Un miracle, une nouvelle perspective deviennent nécessaires pour aborder la réalité.
Dans de tels moments, comme les disciples, nous aussi pouvons apprendre à reconnaître Jésus pour qui il est: maître, sauveur, libérateur... Car il est le Christ mort et ressuscité pour la Vie.

Détails

Avec la participation de
Julien von Allmen pour les lectures et la prière d'illumination, Gaëtan Dubois pour la prière d'intercession.
Orgue
Maryclaude Huguenin
Musique
Myriam Valley à la flûte traversière