Le Saint-Esprit fait jaillir une source

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L'immense besoin que nous avons de nous protéger! Besoin sinon de nous barricader, du moins de maintenir autour de nous un espace de sécurité. Un espace où l'on se sente bien, où l'on se sente chez soi, d'où les mauvaises surprises seraient bannies, où ne feraient pas irruption n'importe quoi ou n'importe qui, n'importe quand et n'importe comment.

Un espace protégé comme le fut peut-être notre berceau d'enfant, ou le souvenir - fidèle ou idéalisé - que nous gardons de notre enfance. Un espace et un temps comme le furent pour beaucoup d'entre nous les petits villages d'il y a 50 ans... ou du moins l'image que nous en gardons.

En tout cas un espace et un temps où la vie ne serait pas agitée, compliquée et imprévisible, mais paisible, simple et sûre. Pas forcément FACILE : l'effort ou les difficultés nous ont rarement rebutés! Mais une vie où rien de désagréablement menaçant ou de trop décourageant ne puisse survenir.

Parce que, nous semble-t-il à tort ou à raison, le monde extérieur est de plus en plus dangereux et complexe, il nous désoriente, il change trop vite pour nos facultés d'adaptation. Elles sont grandes, mais pas illimitées ! Et puis aussi parce que, en Suisse particulièrement, nous avons toujours l'impression que c'est du dehors que nous viennent les dangers : la guerre, par exemple, semble toujours venir du dehors; la drogue est pour nous produit d'importation (comme si l'alcool et les cigarettes n'étaient pas dérivés de produits profondément indigènes; comme si les causes profondes de la drogue n'étaient pas elles aussi indigènes); la délinquance, la violence, nous paraissent principalement extérieures (comme si les prisons suisses n'étaient ouvertes - et refermées ! - que pour et sur des citoyens étrangers). Nous avons ainsi souvent le sentiment d'être gentils ou faibles ou les deux à la fois, face au mal qui viendrait systématiquement de l'extérieur...

J'associe ce besoin de sécurité ainsi que les attitudes de repli qui l'accompagnent à ce que Jésus dit du pur et de l'impur. En schématisant un peu, je dirai que nous estimons PUR ce qui reste protégé, intact, par rapport à ce qui vient de l'extérieur, ressenti comme IMPUR et représentant une menace. L'image-type pour les Suisses est celle des sommets inviolables, ou des neiges éternelles, vierges justement, pures, et que personne ne peut venir souiller. Pour les plus âgés d'entre nous, ceux qui ont connu la mobilisation, l'image-type, c'est peut-être celle du réduit national : tout le pays peut être envahi, il reste quelque part un coeur inviolé et inviolable! On abandonne beaucoup à l'ennemi, mais il reste un essentiel totalement à nous, et que personne ne peut nous prendre.

Je vous invite à un double mouvement par rapport à ces images et à ces sentiments : je vous invite d'abord à les respecter, de même que les besoins auxquels ils correspondent: besoin de sécurité; besoin d'identité; besoin d'un essentiel à préserver; on ne peut bien vivre si ces besoins ne sont pas au moins en partie satisfaits! Je vous invite aussi à prendre une certaine distance par rapport à ces images, afin de ne pas vous laisser fasciner, emprisonner par elles; afin qu'elles ne deviennent pas des idoles; et, pour fonder cette mise en perspective, je vous invite à écouter ce que Jésus dit sur le pur et l'impur.

Jésus pourrait nous dire: non, en soi ce n'est pas bon, c'est une mauvaise solution, de se replier! Mais la société et le monde d'aujourd'hui sont tellement fragilisés, désécurisés, que vous, mes disciples, par prudence, par sagesse, il vous faut un peu accompagner ce mouvement plutôt qu'aller contre. Quand la conjoncture sera meilleure, vous pourrez à nouveau être plus audacieux.

En lisant les Evangiles, en écoutant notamment les témoignages de Marc et de Luc qui ont été lus, j'entends une autre voix, je discerne un autre chemin tracé par Jésus. Il a 3 coordonnées :
Premier axe : il n'est pas question, pour des motifs d'opportunité ou de prudence, de mettre une sourdine au clair message de l'Evangile. Baisser le volume de la voix de l'Evangile, pratiquement, revient toujours à le bâillonner. Nous pouvons être apeurés, impressionnés, intimidés; que cela ne nous empêche pas d'être simplement fidèles. Sinon nous sommes de faux témoins.

Deuxième axe : l'Evangile, en ces domaines délicats, est d'une parfaite clarté! "Ce qui peut vraiment souiller, corrompre, ce n'est pas ce qui vient de l'extérieur" : ni les choses, ni les personnes; ni les aliments; ni les idées; ni les images; et c'est une illusion de croire que le danger vient du dehors! Une illusion très simple, tellement naturelle et spontanée, tellement compréhensible... mais une illusion. Elle nous fait ressembler à un homme qui serait à la fenêtre de son chalet avec des jumelles et un fusil, pour tirer une bête dangereuse. Mais celle-ci habite le chalet depuis longtemps. Jésus nous invite à être bien au clair à ce sujet.

Troisième axe, capital : le fait de reconnaître très clairement que le danger ne vient pas de l'extérieur mais de l'intérieur ne va pas nous rendre encore plus vulnérable, nous faire perdre notre ultime barrière de protection. C'est tout le contraire! Cette lucidité va permettre notre guérison. Elle va nous fortifier contre les ennemis qui pourraient nous menacer.

Mais regardez plutôt Jésus! "Est-ce un prophète?" se demande le Pharisien Simon comme bien d'autres Juifs religieux de l'époque. C'est peut-être pour répondre à cette question qu'il a invité Jésus. Et pour Simon, la réponse vient très vite : car Jésus se laisse d'un coup "contaminer" par la souillure ambulante que représente cette femme sans nom. Car Jésus se laisse toucher. Jésus se laisse pleurer dessus. Jésus accepte que les cheveux défaits de cette femme lui essuient les pieds. Jésus laisse les lèvres de cette femme baiser ses pieds. Jésus laisse ce parfum d'origine douteuse être répandu sur ses pieds : Jésus accepte ce simulacre d'onction.

Pour Simon tout est ambigu, profondément gênant dans ce spectacle inhabituel. Le dégoût , la peur, le désir composent dans son coeur un mélange détonnant. Tout le monde d'ailleurs est gêné, sauf Jésus. Aussi, pour Simon, une seule conclusion : cet homme n'est EN RIEN prophète; il est au contraire aveugle à tout ce que le monde voit: de quelle sorte de femme il s'agit ! Jésus est donc au mieux un naïf, au pire un moins que rien. Désormais, l'espace d'un instant, Jésus est pour Simon une affaire classée.

L'espace d'un instant... Car l'"affaire classée" prend la parole, et avec quelle extraordinaire autorité ! Jésus se place en position d'enseignant. Par là même il place Simon en situation d'apprentissage. Jésus raconte une parabole. Il pose une question. Il examine la réponse :"Tu as bien jugé, Simon". Il tire une leçon : autorité! "Simon, j'ai quelque chose à te dire ! "Simon cette femme a fait tellement plus que toi! Ne vois-tu que ce qui te sépare d'elle ? Ne vois-tu pas en quoi vous êtes sembables? Et ne vois-tu pas que votre différence bien réelle n'est pas celle du pur et de l'impur ? Elle est dans votre capacité à aimer et à être aimé".

Voilà la situation complètement renversée. Simon disparaît de la scène. On ne saura rien de sa réaction. Mais la "question Jésus" reparaît, relayée par les invités : "Qui est celui-ci qui pardonne même les péchés?"

Qui est celui-ci, qui se laisse toucher, qui se laisse souiller, qui n'a peur ni de la femme, ni de Simon, ni des invités ? Qui est celui-ci qui semble n'avoir pas de barrière, pas besoin de se protéger : ni de l'agressivité, ni des soupçons, ni du style de communication un peu déroutant d'une femme de probable petite vertu ?

Nous avons répondu :"C'est le Messie". Ce Messie montre un chemin nouveau que nous sommes appelés à proclamer et à vivre. Il est possible et bon d'embrasser les lépreux et les malades du SIDA. Il est possible et bon de laisser entrer ce qui vient de l'extérieur. Ce n'est ni pire ni meilleur que ce qui est à l'intérieur. Vu sous un certain angle, rien n'est pur : tout est humain, seulement humain; tout fait partie de cette création marquée à la fois par la bonté de Dieu et par l'emprise du mal, de la fragilité, du péché dans un mélange inséparable de bon grain et d'ivraie. D'un autre côté, tout est pur. Si votre coeur est pur - non pas parfait, mais bien plongé dans l'amour de Jésus-Christ, ancré en lui - vous pouvez aller au-devant de tout et de tous : vous ne risquez rien...

Au fond, c'est bien l'image du réduit national à laquelle je reviens. Pas un réduit national de crainte et de repli. Mais ce centre, ce coeur inexpugnable, parce que là le Saint-Esprit fait jaillir une source, entretient un feu, fait souffler un vent qui est la vie même du ressuscité. Parce que là le Saint-Esprit construit non une forteresse mais un temple qui est notre identité, notre sécurité, notre liberté et notre unique force.

Parce qu'enfin, qui est libre dans cette histoire ? Jésus ou Simon ? Qui est fort ? Qui est en sécurité ? Lequel des deux voulez-vous suivre ?

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jean-Christophe Geiser
Musique
Choeur paroissial - dir. Jean-Louis Dos Ghali