Désormais, il n 'y a plus de frontière sur la terre

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"Désormais - avec l'Evangile - il n'y a plus de frontière entre nous, en nous-mêmes ni sur la terre". Cette affirmation est sans doute provocatrice; elle pourrait surtout sembler particulièrement naïve au moment où l'actualité illustre le contraire. Mais n'est-elle pas une façon d'affirmer ce qui change concrètement avec l'Evangile de Jésus-Christ, les nouvelles relations désormais établies par le Christ, que nous le voulions ou non, dans notre humanité; l'humanité qui est en chacun et chacune de nous, et celle qui vit sur cette terre ?

Une fois n'est pas coutume : pour entrer dans une troisième médiation biblique sur ce thème, je vous propose ce matin la réflexion d'un paroissien d'ici, auditeur des deux précédentes prédications.

Prédication 1 : intervention de Benoît Girardin

Je dois dire que lorsque le pasteur Georges Kobi m'a demandé de réagir sur ce thème "Désormais, plus de frontière", j'ai accepté, mais maintenant je me demande si j'ai eu raison d'accepter. Parce que je crois que c'est un trompe-l'oeil; "désormais plus de frontière" je pense que ça fait partie de l'idéalisme des chrétiens qui rêvent d'un monde où les différences ne sont plus là, où nous aurions toute facilité de rencontrer les autres, puisqu'ils ne seraient pas différents de nous. Et j'en veux aussi souvent aux églises et à un certain nombre de chrétiens, à un certain nombre de gens, humanitaristes, de propager une sorte de rêve qui est un trompe-l'oeil. C'est-à-dire qui nous fait rater la réalité. Je crois qu'il y a des frontières, il y en a des tas, il y en a même de plus en plus et, au risque de paraître paradoxal, je dirais que les frontières sont bonnes. Mieux vaut les reconnaître. Mieux vaut savoir quand on passe de Montricher à l'Isle ou de Suisse romande en Suisse allemande, pas pour se dire on passe dans le tiers-monde, ou on passe chez des étrangers, mais on passe d'un territoire à un autre. Et alors qu'est-ce qu'on en fait quand on passe ? C'est ça pour moi la question, la question n'est pas frontière, plus de frontières ou pas encore des frontières, c'est : qu'est-ce que nous faisons des frontières? Est-ce que nous les sacralisons ? Est-ce que nous les considérons comme le dernier mot, l'absolu, le sacré ou qu'on ne peut pas les remettre en question, par exemple. Ou est-ce que l'on va jusqu'à les apprécier, les reconnaître ou à en tirer parti, voire en construire quelque chose. Et si nous sentons ou si vous sentez, moi je passe des frontières, j'en ai passé en Afrique, pendant 7 ans de ma vie, et au Pakistan maintenant depuis trois ans, si vous sentez et si nous sentons, que la vie, en fait, une vie pleine nous invite à devenir des passeurs de frontières, ce que je vous souhaite, ce que je me souhaite, il importe que nous nous posions deux questions pour être très clairs avec nous-mêmes : pourquoi voulons-nous préférer passer des frontières plutôt que de rester chez nous ? Pourquoi voulons-nous, pensons-nous qu'il est préférable, qu'il est plus vivifiant, plus stimulant de passer d'une culture à l'autre, de passer d'une langue à l'autre, de passer d'un territoire à un autre plutôt que de rester sur son quant-à-soi dans son village. Il est évident que l'on peut passer ces frontières dans son village aussi. La deuxième question c'est : qu'est-ce que requiert de nous ce travail de passeur de frontières? C'est un coût, c'est un effort considérable pour éviter de faire simplement une petite colonie suisse sur les rives de l'Adriatique, ce qui est justement ne pas passer aucune frontière, mais rester dans un ghetto. Quel est le coût pour rencontrer notre culture, rencontrer un autre peuple, pour rencontrer une autre race et quel est le coût pour se faire rencontrer de cet autre peuple, de cette autre race ? Voilà, je vous livre ces questions qui sont les miennes en traitant ma vie de tous les jours. J'espère qu'elles seront aussi fertiles pour vous.

Prédication de Georges Kobi

Jésus a dû franchir une frontière pour cet entretien avec la Samaritaine; l'évangéliste Jean a soin de le noter. Il avait quitté sa Galilée natale pour rejoindre au Sud la Judée et la capitale, la ville sainte de Jérusalem. Pour retrouver la Galilée, il doit remonter vers le Nord en traversant la Samarie. Il sera encore plus au Nord lorsqu'il aura une autre rencontre aussi surprenante avec la Syro-Phénicienne. Si vous avez la curiosité de consulter une carte de la Palestine au temps de Jésus à la fin de votre Bible, vous y verrez un découpage compliqué.

Ici, au bord du puits de Jacob, Jésus et ses disciples sont dans un lieu d'adoration voisin mais déjà étranger, le lieu sacré du Mont Garizim. La femme venue puiser son eau en plein midi le lui fait bien comprendre à ce Juif qui ose lui demander à boire. Un mur d'histoire et de foi les sépare. On a beau se référer à l'ancêtre commun Jacob qui s'est abreuvé, lui, sa tribu et ses troupeaux à ce puits-là, les Juifs et les Samaritains, depuis leur schisme, ne peuvent pas se sentir. Issu pourtant des mêmes ancêtres, chaque peuple a depuis 4 siècles son lieu sacré, pour ne pas dire son Dieu.

Jésus vient d'être confronté aux limites humaines, plus que de pierre, du temple de Jérusalem transformé en caverne de voleurs. Le voilà confronté à l'intérieur du peuple d'Israel au geste classique des frontières, des séparations, des cloisonnements et par conséquent des exclusions, des étiquettes, des jugements définitifs. Où chacun et chacune entraînent son Dieu dans son trou. Sans parler encore des frontières culturelles qui excluaient le moindre dialogue suivi entre un homme et une femme.

Nous parlons frontières... Mais n'y a-t-il pas frontières plus intolérantes et plus intolérables que celles posées au nom de la religion, au nom d'un absolu, au nom de Dieu ? Combien d'extrémistes aujourd'hui ne se réclament-ils pas d'une raison religieuse, que ce soit le paganisme des néonazis, l'orthodoxie, le catholicisme ou l'islam des provinces de l'ancienne Yougoslavie. Les négociations entre Israéliens et Palestiniens pour la ville sainte de Jérusalem ne font que commencer. Dieu : otage des purs. Vieux rêve d'une divinité à l'image de l'homme, d'une idole chrétienne ou autre à notre mesure.

Jésus : l'homme à la parfaite image de Dieu, non soumis à sa propre volonté humaine mais à celle de Dieu... Jésus annonce la fin des frontières et des exclusions. Avec lui - ce Jésus pourtant fatigué, affamé, assoiffé, étranger ici, ce Jésus de Nazareth si proche, si semblable à nous - avec lui commence un temps nouveau où les frontières sont franchies, où les peuples jadis séparés se retrouvent sur le même bateau, se reconnaissent enfants du même Père.

Et ce pays sans frontière, cette terre de réconciliation, de paix et d'unité, ce n'est plus un pays géographique, un champ d'ici ou d'ailleurs, une terre qu'on embrasse. Mais c'est lui-même, la personne même de ce Jésus de Nazareth, envoyé du Père.

"L'heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Car Dieu est Esprit et vérité". Il faudrait maintenant plusieurs prédications pour tenter de cerner cette nouvelle adoration en esprit et en vérité. Comme vient de le faire Benoît Girardin avec les deux questions qu'il nous pose devant cette réalité de nos frontières, je vous propose quant à moi une piste d'interprétation de ce texte d'évangile. A chacun et chacune de nous, pour soi-même et ensemble de continuer ce débat essentiel aujourd'hui.

Comme vous, je suis quelqu'un, né quelque part. J'ai le corps que j'ai, la couleur de peau que j'ai. Par mes parents, j'ai reçu un nom et un prénom; leur origine, celle d'un pays, d'une commune; par eux j'ai reçu une éducation, des traditions et des habitudes. Et même une religion. A mon tour, j'ai transmis cela à la génération suivante. J'ai besoin de cette identité pour vivre, être reconnu, être quelqu'un.

C'est vrai: l'évangile de Jésus-Christ ne nous invite pas à jeter nos cartes d'identité au feu pour être désormais de nulle part. Mais sachant qui nous sommes, d'ici ou d'ailleurs, de cette race ou d'une autre, de ce pays ou d'un autre, Jésus nous invite désormais à reconnaître chez celui, celle que nous rencontrons, un fils, une fille du même Père, un frère, une soeur en humanité. Aussi riche et limité que moi dans ses traditions culturelles et religieuses, mais aimé, apprécié, respecté infiniment et reconnu autant que moi par Celui qui nous a donné la vie et qui nous la renouvelle sans cesse.

Alors, sachant qui je suis, et d'abord reconnu par le Christ, sauvé par lui, me réclamant désormais de cette origine-là, de ce pays-là qui est sa personne - donc "chrétien, du Christ", je ne peux plus alimenter les mille et une source de la séparation, de l'exclusion, de la purification si je me laisse conduire par l'Esprit de vérité. C'est définitivement vain de chercher Dieu à Jérusalem ou sur le mont Garizim, dans tel lieu sacré ou telle tradition religieuse. Jésus est le temple de Dieu, le seul lieu désormais de notre adoration.

Mes papiers d'identité dans la poche, pasteur de l'église où je suis né, embarqué par l'Evangile dans ce monde de frontières et de séparations, sortant et remettant sans cesse mes papiers de et dans ma poche pour certifier qui je suis, je découvre désormais le frère et la soeur dans celui et celle que je rencontre sur mon chemin, où que je sois. Il est d'ici ou d'ailleurs; elle est bien de chez nous ou elle a la peau brune de l'Afrique.... nous sommes désormais de la même famille, du même peuple sur la terre; nous avons la même origine, nous sommes de la même patrie.

Si différents les uns des autres, nous pouvons désormais nous réjouir ensemble, porter les mêmes fardeaux, supporter les mêmes souffrances, pleurer les mêmes peines, chanter les mêmes victoires, partager les mêmes bonheurs.

Dès le début, l'Eglise du Christ a connu la coexistence de personnes d'origine, de milieu et de race différentes. L'Eglise de Jésus-Christ est multiculturelle, multiraciale. Ou alors elle est dans l'erreur; si elle persiste, elle n'est plus l'Eglise du Christ. Toutes ces identités, ces appartenances, toutes ces différences qui ne sont pas effacées, ignorées par l'évangile, loin de nous séparer, de nous diviser ou de nous rendre froidement indifférents, nos différences nous enrichissent, nos limites et nos richesses nous poussent à partager. Grâce à ce frère si étranger, je comprends mieux qui je suis moi-même; ce qui fait les richesses et les limites du pays d'où je suis, de l'histoire qui est la mienne, et celles, richesses et limites, qui sont les siennes. Cette reconnaissance ne va pas sans peine : ses idées peuvent me heurter, ses traditions me choquer. Mais rien n'est suffisant pour me séparer de lui, l'exclure du peuple dans lequel nous sommes entrés le jour de notre baptême, le jour où l'un et l'autre nous avons reconnu que le Christ a rétabli l'unité entre nous.

"Ainsi -lettre aux Ephésiens citée plusieurs fois dans ces trois cultes-, vous n'êtes plus des étrangers ni des émigrés : vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la famille de Dieu. C'est en Christ que vous êtes ensemble intégrés dans la construction pour devenir une demeure de Dieu par l'Esprit".

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Claire-Lise Imhof
Musique