Dieu répond dans nos pires détresses

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Dieu répond dans nos pires détresses

Prédication
Dans quelle situation précise se trouve cet homme en prière ? Impossible de le dire avec certitude. Nous sommes réduits à des hypothèses qui se vérifient partiellement dans certaines expressions de ce dialogue avec Dieu. La situation de celui qui prie ce psaume à l'origine, la situation au départ avant l'écrit ? Cette question est compréhensible de notre part, mais elle reste sans réponse pour l'ensemble des 150 psaumes d'ailleurs.
Ce n'est peut-être pas là l'essentiel. Ce que nous entendons dans cette prière, ce que nous surprenons dans ce dialogue du croyant avec son Dieu, c'est précisément ce qui reste après tout le reste. Tout le secondaire a disparu; notre curiosité, notre besoin d'être informé restera toujours sur sa faim. Mais l'essentiel est là sous nos yeux, dans nos oreilles attentives.
Et je crois que c'est finalement mieux ainsi. Parce que, faute d'être renseignés sur le pourquoi, le comment, les circonstances exactes... nous sommes beaucoup plus prêts à entrer en dialogue avec cette prière, à la faire nôtre. Parce que nous avons le droit - c'est le droit du coeur, le droit d'humanité - nous avons le droit de nous identifier à cet homme, à cette femme en prière. Nous pouvons nous y reconnaître. Etre ainsi, au-delà des siècles qui ont transmis ce texte, frères, soeurs de cet homme, de cette femme : frères, soeurs de cet être pris par le malheur, ou bien louant de bonheur; angoissé à mourir; ou rassuré et confiant après l'orage; révolté par son apparent rejet, refusant de croire à la victoire des méchants; ou pardonné, pacifié, réconcilié avec son Dieu.
C'est ce qui fait l'inépuisable richesse de la méditation des psaumes: nous pouvons nous y reconnaître. Et parce que ces textes ont très vite pris une forme communautaire, liturgique - tout en gardant le "je" précieux de la première personne du singulier - ces psaumes sont l'inépuisable trésor des peuples de Dieu, le peuple juif d'abord, le peuple des chrétiens ensuite; et en fait - parce que personne ne peut s'autoriser à être propriétaire de ces prières, pas même celui qui en est l'auteur: trésor de l'humanité, ces 150 psaumes.

Il y a 15 jours, nous partagions la louange émerveillée du psaume 8. Où l'homme, la femme en prière reconnaît, sidéré, la confiance inouïe que Dieu nous fait aux uns et aux autres, nous ses créatures. C'est fou ce que Dieu nous fait confiance.
La semaine passée, nous avons cheminé avec le psaume 22, ce texte annonciateur de la passion du Christ. Tels d'entre vous m'ont dit à la sortie ou m'ont écrit d'une prison, d'un lit de convalescence combien ce psaume leur parlait, exprimait ce qu'ils vivaient dans leur douleur présente. Ce psaume était fait pour eux.

Et voici le psaume 139; il vient témoigner, en conclusion de cette série, de l'attitude fondamentale de la foi, du constat que nous devons faire, au coeur de nos vies, avec les malheurs et les bonheurs que nous connaissons, avec les illusions et les dures vérités que nous partageons, avec les joies profondes et les peines profondes que nous vivons : constat que nous sommes, chacun et chacune entre les mains, au creux des mains de Dieu. Sans nous en rendre compte; que nous l'ignorions, que nous l'oubliions, que nous le refusions - parce que c'est permis de refuser cette vérité, Dieu nous aime trop pour ne pas nous laisser cette liberté - que nous le constations par hasard, à notre insu ou par bonheur; que nous l'éprouvions au coeur de notre existence... c'est un fait: Dieu nous tient chacun et chacune au creux de ses mains.

Attention : le psalmiste n'essaye pas de jouer au philosophe qui veut prouver Dieu. Le psalmiste n'écrit pas sous dictée dans un moment d'extase mystique; ce n'est pas son genre. Ni philosophe, ni mystique. Homme et femme en prière, c'est tout. Mais quand l'homme et la femme se livre à la prière
sans retenue, dans la vérité du face à face; quand tout entier ils se livrent au dialogue, au corps à corps avec leur Dieu, dans leur intimité la plus cachée, la plus secrète, il arrive ce qui arrive dans les psaumes.
C'est aussi pour cela que les psaumes nous touchent tant : ils ne démontrent rien, ils ne prouvent rien. Ce n'est pas du cinéma ni une série télévisée: ils expriment ce qu'ils avaient, ce que nous avons sur le coeur, sans détour; ils disent vrai, de la vérité qui se cache au coeur de nos existences et que la prière, le face à face avec Dieu nous permet d'exprimer sans fard, sans retenue. C'est pour cela aussi que j'ai chaque fois le sentiment que nous commettons une indiscrétion, indiscrétion salutaire quand nous lisons un psaume par-dessus l'épaule de celui qui l'écrit après l'avoir vécu et prié. Au-delà de la forme littéraire qu'ont dû prendre ces textes - comme un vase contient l'essentiel : le parfum - ces psaumes prient la vie d'un être vivant, en chair et en os.

Cet homme-là - celui du psaume 139 - après semble-t-il une longue épreuve où il a été accusé à tort, où il a bien cru ne pas pouvoir faire reconnaître son bon droit face à ses accusateurs et surtout devant son juge suprême, son Dieu... cet homme en vient à reconnaître ce que les savants appellent l'omniscience et l'omniprésence de Dieu. C'est simple :
Dieu sait tout. Attention : il ne sait pas du haut de sa grandeur, au fin fond de l'univers dans la nuit des temps. Dieu sait, me connaît dans mon quotidien, ma vie la plus banale de tous les jours. Rien ne lui échappe de mes moindres mouvements, de mes plus petits faits et gestes, de mes pensées les plus cachées, de mes intentions les plus profondes comme les plus légères. Je suis nu devant Dieu. Nu de tout mon être.
Cette simple mais forte vérité, en la méditant, m'a rappelé une expérience que j'ai faite - elle n'a rien d'original ! - lorsque j'étais un étudiant en théologie et que je gagnais mon argent de poche comme aide-infirmier à l'ancien hôpital cantonal de Lausanne. Une semaine durant au moins, j'avais dû accompagner aux toilettes et aider au bain un vieillard malade : cet homme était un illustre Vaudois à la fin de sa vie. Je ne vous dirais pas son nom ! Et de voir cet homme nu, dans son plus simple appareil, le voir et le toucher avec une immense sympathie et un infini respect m'a donné ce jour-là une leçon d'humanité et d'humilité extraordinaire sur moi-même, simple créature devant Dieu et devant mes frères.
Remarquez que cette situation de nudité n'est justement pas des plus confortables. Que Dieu sache tout de moi, absolument tout, qu'il sache mes pensées les plus secrètes avant même qu'elles arrivent à mon esprit et que je puisse les exprimer en mots, ça a quelque chose d'angoissant, de menaçant, d'oppressant. Je ne peux donc rien cacher à ce Dieu qui m'a créé ? Oui ! Il me surveille à ce point ? Il me contrôle ? Je ne suis pas sûr que l'auteur du psaume 139 n'exprime pas un peu entre les lignes ce sentiment d'inconfort, de trouble, de crainte devant cette connaissance aussi fouillée et impudique. Mais je crois que le sentiment dominant, c'est tout de même cette tranquillité et cette humilité devant un Dieu qui sait tout de sa créature.

D'ailleurs, l'étape suivante dans cette prière exprime une vérité qui devrait nourrir en nous une paix intérieure définitive. Nous retrouvons ici l'affirmation centrale du psaume 22. Dieu est toujours à nos côtés quoiqu'il nous arrive. A un point tel d'ailleurs, qu'il est encore là quand nous entrons dans la mort.
C'est très audacieux, je crois, pour la pensée juive d'alors qui était étrangère à toute idée de résurrection. La mort, la "scheôl" est bien l'endroit par excellence où Dieu n'est pas, ne peut pas être; c'est la négation de Dieu. Eh bien, pour cet homme en prière, Dieu le rejoint dans l a mort, dans les ténèbres, là où tout est perdu, là où il est définitivement trop tard pour revenir en arrière. Pour notre Dieu, les ténèbres ne sont point ténèbres, la nuit est lumière comme en plein jour.
Là encore, on pourrait se dire : mais quel Dieu pour me suivre partout, me poursuivre à ce point. Rien ne lui échappe ! Non : ni mes fautes, ni mes erreurs. Mais nous pourrions exprimer aussi, avec l'auteur, notre stupéfaction, notre émerveillement devant un Dieu qui manifeste sa présence en tous lieux, les pires et les plus éloignés de l'humanité.

A la suite de ce psaume, nous sommes invités - de l'intérieur et non pas par un raisonnement intellectuel brillant - à croire en un Dieu qui sait tout de nous et qui nous accompagne tout au long de notre vie, dans les meilleurs et les pires moments, jusqu'au bout, sans aucune limite.
J'en viens à cette dernière partie de la prière qui fait problème sans doute : la haine des ennemis. Au point que des exégètes estiment, avec de bonnes raisons, que ce passage ferait partie d'un autre psaume venu se coller ici on ne sait pourquoi. C'est vrai que cette prière de rejet, de haine des ennemis clairement affirmée ne colle pas en apparence avec tout ce qui précède. On aurait envie de dire : quelle mouche l'a piqué ?
Mais écoutez : vous n'avez pas de temps à autre des pensées de violence vis-à-vis de ceux qui vous gênent ou tout au moins de ceux - vous en êtes peut-être témoins - qui se comportent de façon malveillante pour ne pas dire criminelle avec les autres ? Êtes-vous à ce point chrétiens charitables, obéissants ou indifférents pour ne plus jamais ressentir de haine en vous ? de violence ? Intérieure certes, mais qui pourrait bien dégénérer en meurtre si nous avions le pouvoir et le courage de joindre le geste à la parole ?
Sommes-nous des anges ? Est-ce pour cela que nous 'n'avons aucune peine à prier pour les victimes, les écrasés, mais tant de répulsion à prier aussi - nous l'avons fait dimanche passé - pour les bourreaux ?
Cette question importante posée par ces passages réguliers des psaumes qui appellent à la violence, à la disparition pure et simple des ennemis, des impies, cette question mériterait amplement qu'on s'y attarde dans une prédication...
Simplement je voudrais dire aujourd'hui en quoi cette dernière partie désagréable me rassure. Avec les psaumes, je peux oser exprimer tout ce que je ressens; rien n'est tabou dans le secret de ma prière, de ma conversation avec Dieu. Rien n'est tabou parce que Dieu sait d'avance ce que je pense, le pire et le meilleur. Si Dieu sait bien, je n'ai pas à lui cacher ni à me cacher à moi-même des sentiments qui me font honte.
C'est vrai que ce serait tellement plus simple si Dieu exécutait tous les ennemis. Il en a le pouvoir. Mais il n'en a pas le vouloir. Aussi difficile à admettre que cela puisse être, je crois pourtant que Dieu rejoint aussi le bourreau là où il exécute ses oeuvres ou les fait exécuter en se lavant les mains. Dieu crie à ces hommes et ces femmes par le cri et le sang de leurs victimes.

Ne sachant par moment de trouble plus que penser ni croire, trouble sur nous-mêmes et sur notre humanité, il nous reste à terminer notre prière comme l'auteur du psaume 139 : "O Dieu regarde au fond de mon coeur... et conduis-moi sur le chemin qui a toujours été le tien".

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Claire-Lise Imhof
Musique