Peuple de la promesse: un peuple du dehors...

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Étonnante rencontre, où une femme oblige Jésus à sortir de son cadre pour obtenir ce qu'elle veut, grâce à sa foi. Foi sans faille: confiance et assurance.
J'aimerais vous proposer maintenant une lecture de ce texte qui vous fasse envie d'y aller voir vous-même, avec votre Bible à vous. Et de vous interroger, vous, devant ce récit. Prenez pour cela tout le temps qu'il vous faudra.

La promesse d'Abraham - Genèse 15 - a quelque chose d'écrasant. Cette sortie hors de sa tente, ce regard porté sur les étoiles, certes, nous pouvons le faire. Mais Dieu fait cette promesse à Abraham, pas à nous. Nous ne sommes chacun, chacune, qu'une étoile promise par Dieu.

Par contre ici, nous assistons au mouvement intérieur d'une femme, un mouvement qui pourrait être le nôtre. Un mouvement intérieur qui nous concerne personnellement, qui nous interpelle.


Jésus sort, lui d'abord. C'est ainsi que l'évangéliste Marc ouvre son récit. Il quitte son pays habituel pour aller à l'étranger, beaucoup plus au Nord.
À vrai dire, on ne parlerait pas de ce déplacement si Jésus n'y avait vécu que ce qu'il recherchait: le calme, la solitude; retraite à l'écart, histoire de se reprendre après la mort de Jean-Baptiste et le débat sans concession et fondamental avec les pharisiens.
Eh bien, de cela, Jésus va devoir sortir aussi. Car il commence à être connu au-delà de sa région. Qu'il le veuille ou non, il s'est fait une réputation.

Une femme va se charger de le sortir de son retrait, si bienfaisant et nécessaire soit-il. Ce n'est pas la première femme; ce n'est pas la dernière non plus.
Celle-ci - nous n'aurons pas son nom - vit une situation catastrophique pour l'époque. Sa fille - elle devrait avoir selon le terme grec utilisé 6 à 7 ans - sa fille est handicapée mentale: possédée par le démon qui l'habite. Encore aujourd'hui d'ailleurs, il faut avoir un enfant gravement handicapé pour savoir à quel point cet enfant change votre vie, et vous fait connaître trop souvent la distance avec les autres, voire le rejet.
Cette mère, syro-phénicienne nous précise Marc: donc païenne pour les Juifs, de nationalité grecque... cette mère ne peut pas manquer cette occasion unique. Ce Jésus - sa réputation le dit - cet homme peut guérir sa fille, chasser le démon.
Vous auriez hésité vous? Non, à moins d'être enfermé dans le désespoir légitime. Cette femme vit dans l'espoir de guérison, de libération. Et cet homme, cet étranger peut. Alors...

Alors s'engage un dialogue surprenant.
Au point de nous mettre mal à l'aise si nous sommes les adeptes d'un Jésus gentil, doucereux, blond et les yeux bleus... pas trop humain.
Jésus dérangé - Marc prend la peine d'y insister - Jésus répond vertement à cette supplication:
"Ce n'est pas bien; tu sais que ce n'est pas normal de prendre le pain dont les enfants se nourrissent pour le jeter, le donner aux petits chiens qui attendent sous la table".

Qu'auriez-vous fait à la place de cette femme en entendant cette réponse? Quand on vous répond sèchement en vous remettant à votre juste place...?
Ça vous cloue le bec. Ou la révolte monte en vous. Avez-vous la présence d'esprit d'insister?
Car non seulement ici - regardez bien cette femme - non seulement elle insiste, mais elle a l'intelligence de prendre au vol l'image, de prendre au mot Jésus en lui renvoyant l'ascenseur.
Merveilleuse cette femme: non seulement la confiance dans cet étranger, mais encore l'assurance.
"C'est vrai, Seigneur! Tu as tout à fait raison. Et je ne prétends surtout pas enlever le pain de la bouche des enfants".
Elle sait qui elle est devant cet homme. C'est un prophète d'Israël; elle est une étrangère, une païenne. C'est un homme; elle est une femme; et une femme sérieuse ne regarde pas un homme en face; avec un peu d'éducation, elle se tait.
En plus, elle est impure; mère d'une fille démoniaque; qui oserait avoir contact avec elle? Elle porte le malheur.
Excusez-moi, mais c'est comme ça qu'elle est vue. Et ne me dites pas top vite que ça a bien changé, avant d'interroger une mère de handicapée ...

Cette femme, elle, sait très bien où elle en est. Mais elle sait aussi qu'elle n'a plus rien à perdre et donc tout à gagner.
"Jésus, il y a une chose que tu oublies: pendant que les enfants mangent à table, il y a des miette qui tombent; d'autant plus que ce sont des enfants; avec ma fille, j'en sais quelque chose. Alors, sous la table, les petits chiens mangent ces miettes des enfants".
Que je paierai cher pour voir en ce moment le regard de Jésus sur cette femme, la lumière dans ses yeux, l'émotion qui fait trembler sa bouche... Mais je préfère vous rappeler la fin telle que Marc nous la livre depuis 2000 ans:
"Jésus lui dit: "À cause de cette parole que tu viens de prononcer, tu peux aller: le démon est sorti de ta fille".
Elle retourna chez elle. Elle trouva l'enfant étendu sur le lit. Le démon était sorti".

À croire qu'il a suffit à cette mère de répondre à Jésus avec une pertinence rare pour que le miracle s'accomplisse.
À croire que Jésus, sidéré par cette réponse, sorti de sa vision non pas raciste, mais réaliste, raisonnable - vision que la femme ne met pas en question, ne conteste pas - à croire que Jésus ne peut que constater, à distance, la délivrance du mal.
"À cause de ta réponse, femme, le démon est sorti de ta fille".

À l'image d'Abraham qui doit sortir de sa tente, de son chez soi, pour voir de ses yeux l'infinie promesse de son Dieu, il n'y a que des sorties dans ce texte. Et ne me dites pas que je joue à l'intellectuel avec les mots.
1. Jésus sort de son pays pour demeurer, caché, dans une région voisine, étrangère, païenne...
2. Cette femme, illustre inconnue désormais, sort non seulement de sa maison, abandonnant pour un instant sa fille handicapée; mais elle sort, elle fait une tentative de sortie de son malheur, de son désespoir. Pour espérer, il faut sortir...
3. Alors Jésus fait sa deuxième sortie, la plus imprévue: il doit non pas abandonner ses vues, mais les élargir, sortir de son peuple pour lequel il est d'abord l'envoyé de son Père et admettre l'universalité de son message de salut. Il est sorti en solitaire fatigué pour découvrir déjà qu'il n'y a plus de frontière au peuple de la promesse faite à Abraham...
4. Quatrième et dernière sortie dans ce texte, qui devrait être la sortie la plus spectaculaire - je vous garantis qu'elle serait à la une des manchettes demain matin - mais finalement c'est la sortie la plus logique, quand la confiance en Jésus se double d'une inébranlable assurance: la sortie du mal, du démon.

Relisez tranquillement ce récit de l'évangile de Marc au chapitre 7. Et interrogez-vous...

Nous voilà arrivés au terme de ces trois récits: la promesse faite à Abraham; la collecte des chrétiens d'Antioche pour les chrétiens de Judée; et la rencontre de Jésus avec une femme syro-phénicienne.

Si vous sortez une nuit de votre chez vous, et que vous regardez par ciel clair les étoiles, n'essayez pas de compter les étoiles; Abraham a essayé avant vous: il n'y est pas arrivé. Ne comptez pas, mais dites-vous alors que la promesse de Dieu est à la mesure de ce nombre infini.
Et dites-vous que nous sommes aujourd'hui, chacun et chacune de nous, une étoile de la promesse dans le ciel et sur la terre.

Et demain, si vous apprenez que telle famille, tel peuple, telle communauté connaît la misère de la faim et de la guerre - et vous l'apprendrez de toute façon - sortez cette fois l'argent de votre porte-monnaie ou de votre compte en banque, et remettez cet argent à des hommes et des femmes de confiance. Car votre argent, grâce à votre foi, ne vous appartient plus. Il est fait pour le partage, puisque nous avons une dette de reconnaissance.
Relisez le récit de dimanche dernier: Actes des Apôtres chapitre 11.

Enfin, des étoiles du ciel aux sous de notre porte-monnaie, nous voici ce matin, grâce à cette femme, à l'intérieur de notre coeur. Là où se logent depuis notre plus tendre enfance, là où s'accumulent nos heurs et nos malheurs et nos bonheurs, nos échecs et nos réussites, nos naissances et nos deuils. Là où se marquent nos préjugés, là où se bâtissent nos murs de séparation, nos jugements, nos exclusions.
La foi nous invite à les quitter; à sortir de l'impasse pour laisser tout ce qui nous empêche de vivre et d'espérer. La confiance nous invite - cette étrangère en témoigne - à rejoindre le peuple de la promesse, en partageant le pain de Celui qui peut nous sauver. Quoiqu'il puisse nous arriver, lui faire confiance, dans une tranquille et ferme assurance.