Peuple de la promesse: un peuple et ses sous

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"Sors de ta tente, Abraham. Viens dehors. Il fait nuit. Nuit noire. Regarde le ciel. Et maintenant, Abraham, compte les étoiles... si tu peux les compter".
Impossible!
Eh bien, Abraham, tes descendants - si âgé que tu sois et stérile - tes descendants seront aussi innombrables que les étoiles dans le ciel".
Abraham eut confiance dans la parole insensée du Seigneur.

Frères et soeurs dans la foi,
Nous sommes aujourd'hui le peuple de la promesse faite à Abraham.
Et nous allons entendre ce matin cette promesse se réaliser avant la fin du premier siècle de notre ère, dans cette jeune paroisse d'Antioche.

Antioche-la-Belle, troisième ville en importance dans l'Antiquité. Grande cité cosmopolite, devenue préfecture de la province de Syrie. Ville riche, carrefour commercial. Un grand nombre de synagogues - elle est voisine de la Palestine. Un brassage de populations, dont certains sont des réfugiés. Un brassage de religions aussi.
Dans cette histoire du peuple de la promesse où nous avons notre place, les apôtres nous rappellent que c'est à Antioche que les croyants reçoivent pour la première fois l'appellation de chrétiens : adeptes, disciples du Christ.

Enfin, le récit des apôtres va se terminer par une collecte. J'y reviendrai, après avoir écouté la parole du Christ sur le "sous de la veuve".

Actes des Apôtres 11,26 à 30

Oui, nous sommes les étoiles que Dieu a rassemblées dans le ciel et sur la terre, selon la promesse faite à Abraham, une nuit étoilée.

Mais ce n'est pas pour autant que nous avons à laisser notre foi dans les étoiles. Oh, c'est bien le rêve, ça a toujours été le rêve de certains chrétiens de placer la foi dans les nuages pour éviter le regard porté sur les affaires de ce monde. Peut-on tout juste prier pour les pauvres, ce qui n'empêchera pas des chrétiens de ce genre de se payer de belles fortunes sur la terre.

Or, le récit émouvant de l'Évangile annoncée pour la première fois à Antioche se termine par une collecte de fonds. Les nouveaux paroissiens ouvrent leur porte-monnaie.
Maintenant, vous allez me dire: pourquoi en faire tout un plat? Eh bien, l'apôtre Paul y reviendra, à cette collecte pour les pauvres de Jérusalem, en y consacrant 15 versets bien sentis dans le chapitre 8 de sa seconde lettre aux paroissiens de Corinthe.

Vous allez me dire encore: bon, admettons, mais c'est le simple devoir de la charité chrétienne. C'est élémentaire. Le devoir des riches vis-à-vis des pauvres. Le devoir de ceux qui bénéficient de la paix et d'une relative prospérité à l'égard de ceux qui vivent des troubles, la persécution ou la guerre civile, ou simplement la famine. Le devoir de ceux et celles qui mangent plus qu'à leur faim pour ceux qui n'ont qu'un seul repas par jour, et encore. Un devoir de solidarité aussi à l'égard de ceux qui se chargent à notre place de secourir les autres dans la misère.
Mais c'est tellement élémentaire qu'il n'y a pas du tout besoin d'être chrétien pour le comprendre et faire une collecte.

L'Évangile que nous vivons, que nous essayons de vivre n'a-t-elle pas autre chose à nous dire? Si nous lisons le récit, dans notre Bible, d'un geste aussi courant et matériel qu'une collecte, c'est qu'il y a tout de même une raison plus profonde, un enjeu où notre foi est directement en jeu. À telle enseigne que Paul estimera indispensable de mettre les points sur les "i" à ses frères et soeurs de Corinthe.

Alors que tout sépare les villes de Jérusalem et d'Antioche: la distance - 500 kilomètres - est considérable pour l'époque; Jérusalem est ville sainte, alors qu'Antioche, du moins une partie de sa population a plutôt la réputation d'avoir adopté des moeurs dépravées; Jérusalem, ville de pèlerinage, capitale religieuse; alors qu'Antioche est un lieu de passage, un pont entre l'Orient et l'Occident: ville où se côtoient et se relativisent toutes les traditions et toutes les croyances de l'époque. On pourrait dire que Jérusalem, c'est la tradition millénaire, alors qu'Antioche, à l'image de ses soeurs: Rome et Alexandrie, c'est la ville dans le vent, dans le courant, où l'importance des échanges commerciaux place à l'arrière-plan les préoccupations spirituelles. C'est le triomphe de l'économie de marché, à la nuance près que les pauvres étaient légions et les riches une infime minorité.
Entre Jérusalem et Antioche, deux mondes différents. Et les relations entre elles ne sont pas aussi détendues que la conclusion du récit des apôtres pourrait le laisser supposer.

En réalité, les disciples de Jérusalem, d'origine juive, comme Jésus, observent scrupuleusement les rites de la loi de Moïse. Or pour ces hommes et ces femmes, dont certains sont contemporains des premiers disciples de Jésus, ce qui se passe hors de Jérusalem est assez grave à leurs yeux pour mettre en péril la prédication de l'Évangile aux nations de la terre. Ils sont dépassés par les événements. Affolés même par les dernières informations: la bonne nouvelle du Messie crucifié et ressuscité à Jérusalem fait irruption, avec des succès inespérés, dans le monde étranger et exclu des païens, des non-juifs, donc à leurs yeux dans le monde des impurs, des incirconcis, de ceux qui n'ont aucun lien culturel et religieux avec la tradition à laquelle Jésus appartient. Les disciples de Jérusalem ne peuvent pas imaginer qu'on ne puisse entrer dans le judaïsme pour recevoir l'évangile de Jésus-Christ.
Ayez la curiosité de lire tout à l'heure le début du chapitre 11 et le chapitre 10 des Actes des Apôtres et vous aurez sous les yeux le débat dramatique face à cette ouverture inconcevable jusqu'alors aux chrétiens de Jérusalem.

D'ailleurs à Antioche même, il se passe, selon le dire des apôtres, deux vagues successives.
La première est tout à fait conforme à ce qui doit se passer: des croyants venus de Jérusalem parce qu'ils fuyaient la persécution, se rendent dans les nombreuses synagogues d'Antioche pour annoncer l'incroyable: le Messie attendu est venu.
Or une deuxième vague va déborder cette première évangélisation de Juifs à d'autres Juifs: des croyants venus de Chypre et de Cyrène à Antioche n'ont plus ce réflexe et annoncent la bonne nouvelle de Jésus à n'importe qui.
Alors la réaction de Jérusalem ne se fait pas attendre: ils envoient un émissaire de taille, Barnabas, pour examiner de près ces événements.

Et c'est au coeur de cette situation dramatique, que des prophètes, parcourent à leur tour les 500 kilomètres qui séparent Jérusalem d'Antioche: ils viennent annoncer à la toute nouvelle communauté de la grande cité païenne les graves difficultés matérielles par lesquelles passent et vont passer leurs frères et soeurs de Judée, d'origine juive.

Alors que tout sépare les villes de Jérusalem et d'Antioche... subitement les frontières disparaissent. Quand tant de réalités humaines, matérielles et spirituelles séparent les gens d'Antioche des gens de Judée: la distance, la nation, le régime politique, la culture, la race, les traditions religieuses... que dis-je? les interdits religieux appris comme des réflexes depuis la plus tendre enfance - quand tant de réalités placent un mur de séparation, d'incompréhension entre les gens d'Antioche et les gens de Jérusalem, l'Évangile, tout à coup fait fondre toute séparation.
Devant la détresse matérielle d'une communauté, devant son appel au secours, il ne peut plus y avoir de frontière pour l'amour, pour le service.
Ces premiers chrétiens d'Antioche, à peine sortis de leur paganisme, et qui en savaient probablement moins sur la vie et le message du Christ que les catéchumènes de nos paroisses, ces nouveaux chrétiens ont pris immédiatement conscience qu'il font partie désormais, et pour l'éternité, d'une nouvelle famille, d'un nouveau peuple: celui qui est issu de la promesse faite à Abraham, la famille des enfants de Dieu qui ont été baptisés dans le Seigneur et qui vivent désormais toute leur vie dans le Seigneur. Ils sont désormais parmi les étoiles que Dieu a placées dans le ciel et sur la terre.

Dans cette collecte d'Antioche, il y a sans doute la reconnaissance immense vis-à-vis d'une communauté - Jérusalem - où le Christ a exercé son ministère et par laquelle l'Évangile est parvenu jusqu'à Antioche et bien au-delà. Sans doute.
Mais il y a surtout, chez ces paroissiens d'Antioche, qu'ils soient d'origine juive ou païenne, la reconnaissance, adressée à Dieu, de ceux et celles qui, saisis par la venue du Seigneur chez eux, ont offert une fois pour toutes leur vie, leur pensée, leur intelligence, leur coeur, leur corps et leurs biens pour le service de ce Dieu et de tous les hommes, à la suite du Christ.
C'est bien cela qui réunit aujourd'hui ces inconnus, ces anciens exclus par les liens forts de l'amour fraternel: tous, à Jérusalem comme à Antioche comme à Corinthe, comme à Rome, tous, ils ont fait l'offrande de leur vie.
La collecte d'Antioche rend donc ce témoignage clair et net: leurs vies offertes, désormais toutes leurs ressources sont à disposition de l'amour dont ils sont possédés, l'amour pour lequel il n'y a plus de frontières. Parce qu'ils ont reçu le vrai pain qui vient du ciel et donne la vie au monde, il devient insensé, pour les baptisés d'Antioche, de conserver leurs biens pour eux-mêmes, quand des frères et des soeurs, quels qu'ils soient, vont manquer du nécessaire.
De Jérusalem ils ont reçu des biens spirituels inestimables puisqu'ils ont reçu de cette ville la bonne nouvelle du Sauveur. C'est naturellement qu'aujourd'hui ils marquent leur reconnaissance et leur solidarité en leur adressant un bien aussi concret et matériel que le résultat financier d'une collecte.

Si vous faites une fois l'exercice qui consiste à répertorier les passages d'évangile qui abordent, d'une manière où d'une autre, la question de l'argent - le sous de la veuve par exemple - vous serez surpris d'un nombre impressionnant. Cela n'est pas étonnant.
Étoiles placées par Dieu dans le ciel et sur la terre, Jésus ne nous a pas appris à recevoir cette promesse faite à Abraham en restant dans les nuages, mais bien plutôt en regardant le monde et nous-mêmes en face, dans toute notre réalité. Y compris dans celle de notre porte-monnaie.
Je crains que ceux et celles qui parmi nous, aiment bien faire des séparations entre le religieux, le politique, l'économique et le social, s'arrangent quelque part avec cette vérité qui nous dérangent.
Rien n'échappe à la proclamation de la bonne nouvelle: rien de notre vie ni rien de ce monde.
La promesse est pour toute notre vie. Nous ne sommes pas, grâce à Dieu, un peuple de hauts esprits. Mais un peuple de chair.
Ainsi notre foi est en jeu y compris dans la manière dont nous gérons nos biens et nos richesses. Que des chrétiens riches et possédant excluent toute réflexion, toute critique sur leur manière de gérer leur richesse, leur argent, leur fortune est un contre-témoignage.

Ainsi, lorsque parmi nous, au milieu de nous, des hommes et des femmes, des familles connaissent des difficultés matérielles, financières sérieuses - la pauvreté, si elle se cache dans un pays riche, est pourtant en forte augmentation chez nous - nous sommes directement concernés. Et c'est à notre manière d'y répondre que notre foi et les conséquences que nous en tirons seront jugées. Avec raison.

Que chacune de nos étoiles brillent dans le ciel, c'est l'affaire de Dieu; nous n'y pouvons rien. Mais que nos étoiles brillent sur notre terre, lieu de la promesse, c'est notre affaire à nous, c'est en notre pouvoir. Dieu nous en donne chaque jour les moyens en nous comblant de ses richesses.
Et pour briller aujourd'hui même, autour de nous et dans ce monde, pas besoin d'attendre la prochaine idéologie à la mode, qu'elle soit de droite ou de gauche ou du centre. Riche ou pauvre, pas besoin de se fabriquer une bonne ou une mauvaise conscience. La parole de Dieu, que nous découvrons sans cesse au fil des pages de nos Bibles nous donne amplement les moyens de vivre notre foi, notre amour et notre espérance, avec notre porte-monnaie et notre compte en banque.

Peuple de la promesse: "il ne s'agit pas de vous faire tomber dans le besoin pour soulager les autres; mais il faut qu'il y ait de l'égalité. En ce moment, vous êtes dans l'abondance et vous pouvez par conséquent venir en aide à ceux qui sont dans le besoin. Puis, si vous êtes un jour dans le besoin et eux dans l'abondance, ils pourront vous venir en aide. C'est ainsi qu'il y aura égalité, conformément à ce que l'Écriture déclare: "Celui qui en avait beaucoup ramassé - de la manne - n'en avait pas trop, et celui qui en avait peu ramassé n'en manquait pas".

Vous avez ce texte sous vos yeux dans votre Bible, au chapitre 8 de la deuxième lettre aux Corinthiens. Ces mots sont de l'apôtre Paul qui vient de passer un an à Antioche avec Barnabas.

Oui, nous sommes les étoiles que Dieu a rassemblées dans le ciel et sur la terre, selon la promesse faite à Abraham, une nuit étoilée.
De Dieu nous avons reçu la vie et l'essentiel pour vivre sur la terre. Conduit par la promesse, il nous reste à briller là où nous vivons, avec l'énergie de l'Esprit Saint.