Suivez le guide !

Hameau de Taveyanne (©Alexandra Urfer Jungen)

Écouter le culte :

Quand on prépare une randonnée, on fait attention à de nombreux paramètres. Premièrement, on évalue l’expérience moyenne du groupe et sa préparation physique, il s’agit de ne pas se mettre en danger. On prépare un matériel adapté, ainsi que suffisamment de ressources, eau, nourriture.

On peut aussi se remémorer des randonnées passées, des réussites, des sueurs froides. On garde un œil sur la météo et on désigne une personne qui a plus d’expérience pour prendre les choses en main au cas de situation de crise. Une personne qui sera le guide, qui a préparé l’itinéraire et qui prendra les décisions en fonction de l’état du groupe sur le moment en se posant les deux questions essentielles : où cours-je ? Dans quel état j’erre ?

Le texte biblique que nous avons entendu tout à l’heure (Marc 9, 1-13) nous parle d’une expérience qu’on arrive presque pas à raconter. Une expérience en «haute montagne». L’Évangéliste Marc s’attelle malgré tout à mettre des mots sur ce qui s’est passé là-haut. On appelle ce récit la «transfiguration».

On lit «Jésus emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean. Il les conduit sur une haute montagne, loin des gens. Là, ils sont seuls avec lui. Sous leurs yeux, Jésus change d’aspect.» Tout dans ce récit montagnard indique qu’il est un carrefour dans le livre de Marc. Ou plutôt, vous m’excuserez, un sommet. C’est véritablement le point de bascule de l’Évangile selon Marc.

Ce récit est encadré de deux annonces de la Croix (chapitres 8 et 9, la troisième arrivera au chapitre 10), il se situe juste avant la montée à Jérusalem. Il est entouré de deux guérisons d'aveugles.

S’il figure aussi dans les Évangiles selon Luc et selon Matthieu, le récit de la transfiguration est central en particulier chez Marc, car c’est là que réside la révélation assumée de la divinité du Christ, c'est la fin du secret messianique dans l’Évangile.

Depuis les premières guérisons et controverses dans Marc, on voit un Jésus qui demande à ses disciples de ne rien raconter de ce qui s’est passé, qui demande le silence. Les disciples, ainsi que les autres personnes qui entourent Jésus commencent à percevoir par bribes ce que représente le ministère de Jésus sur notre vieille terre. Cependant, le thème de l'incompréhension des disciples n'est pas systématique chez Marc et s'inscrit surtout dans la perspective de la Croix. On pourrait dire que ce récit de la transfiguration, cette expérience mystique partagée en haute montagne par Pierre, Jacques et Jean, est une manière de raconter sous forme d’histoire cette nouvelle manière de comprendre Jésus : Jésus  révélé comme Christ.

Ce texte est profondément enraciné dans la tradition juive, avec la présence de Moïse et d’Élie. On pourrait même dire que ce sont des AOC ! On y trouve pourtant des marqueurs de changement comme un Élie apaisé, pacifique. Cette douceur et cette paix dont irradient Jésus, Élie et Moïse est en contradiction complète avec la violence des émotions et de l'incompréhension qui agite les disciples. C'est en totale contradiction également avec la violence des propos tenus par Jésus qui annonce sa mort.

Ce point de bascule, il est amorcé dès la confession de Pierre au chapitre précédent. Avec la transfiguration, on entre dans la révélation d'un Jésus messianique. C’est un avant-goût de la résurrection, un avant-goût de ce qui va se passer à Pâques.

C’est d’ailleurs important que cette expérience se passe en montagne. Je connais plus d’une personne qui a vécu quelque chose qu’il pourra pas raconter avec des mots en montagne. Face à la nature, contre le rocher, dans une cheminée en grimpe ou sur une arrête, on est face à nous-mêmes. On est face à Dieu. Et pour Jésus et son peuple aussi, la montagne c’est un lieu particulier. C’est un lieu de la rencontre. Rencontre avec nous-mêmes, rencontre avec les compagnons de route, rencontre avec Dieu.

Et c’est là que Jésus n’est pas simplement un prophète, un agitateur, un guérisseur ou un philosophe. Il est un guide. Un guide de montagne. Un guide qui montre le chemin. Jésus-guide de montagne parle à ses disciples de Dieu comme d’un compagnon de cordée qui nous accompagne sur les chemins de nos vies, quoi qu’il arrive. Dans l’Évangile de Marc en particulier, les disciples ne cessent d’être étonnés par Jésus qui guérit les infirmes. Le voilà alors qui se révèle autrement.

Jésus-guérisseur devient Jésus-guide. Nous sommes au centre de la narration évangélique avec deux compréhensions de Jésus : 1) il est le messie de Dieu (gloire) 2) il va être rejeté et souffrir (croix).

Se pose alors la question de la posture des disciples. Comment se positionner dès lors ? Écoutons la fin du chapitre 9 de l’Évangile selon Marc (Marc 9, 42-50).

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Il est râpeux, ce texte, n’est-ce pas. C’est dur à lire, à entendre, un peu comme des meurons acides pas encore assez mûrs. Peut-on d’ailleurs encore tenir de tels propos aujourd'hui ? En tout, Jésus lance des paroles qui sont loin d’être fade !

Dans notre monde en recherche de repères, qu’est-ce qui nous rejoint ? Un discours fade qui peut rejoindre tout un chacun ? Je ne crois pas ! Dans l’ère digitale dans laquelle nous vivons, le risque, il est justement de se complaire dans une vie insipide, jalonnée de doom-scrolling sur des plateformes de partage de contenu qui cherchent à procurer une satisfaction immédiate à notre cerveau. Je me permets de le dire en tant que membre de cette génération-là, tombant parfois aussi en proie à cette satisfaction immédiate-ci.

En préparant cette célébration avec le comité des patoisants, qui sont d’une autre génération, nous avons discuté du passage que nous venons d’entendre. Ce texte est loin d’être plat. Il fait partie de ces bouts d’Évangile qui sont râpeux.

Au moment de la Transfiguration, la crucifixion du Christ n’a pas encore eu lieu, elle a seulement été annoncée, et Pierre n’y est pas du tout préparé, comme on peut le voir au chapitre 8. Ces paroles qui suivent l’évènement de la transfiguration veulent s’attaquer au désir illusoire d’une religion de bonheur, à l’abri du monde, isolée sur une montagne.

Même si ce moment de révélation pour les trois disciples Pierre, Jacques et Jean est formidable, Jésus n’a de cesse d’inviter celles et ceux qui le suivent à se confronter à la dure réalité quotidienne du disciple dans le monde. De telles expériences de révélation sont toujours des moments d’exception, à savourer, mais ce n’est qu’en rapport avec l’expérience de la croix qu’elles prennent leurs sens. C'est le paradoxe qui parcourt tout l'évangile : le Dieu de Jésus humanise son messie, tandis que les humains le divinisent.

Reprenons alors ces paroles dures à entendre que Jésus prononce. Ces propos visent à répondre à la question de «comment être grand devant Dieu ?», c’est-à-dire «comment faire pour suivre Jésus ?» Cette grandeur, ce n’est pas une marque d’élection. Elle se mesure à la façon dont on arrive à se tourner vers son voisin.e, à lui donner de la place et à lui porter de l’intérêt.

Pour cela, Jésus n’y va pas par quatre chemins. Il faut laisser de côté ce qui nous encombre et cultiver ce qui nous relève. Les membres du corps dont Jésus parle, la main, la jambe ou l’œil, ils peuvent à la fois être source de blessure que de rétablissement. Jésus propose ce nouveau chemin qui passe par la recherche du bien de l’autre.

Pour cela, Jésus rappelle une chose centrale : «Le sel est une bonne chose. Mais quand le sel perd son goût, comment lui rendre son bon goût ? Ayez du sel en vous-mêmes et vivez en paix les uns avec les autres.» Ce sel est plus qu’une manière de donner de la saveur. Il a été utilisé dans l’histoire comme moyen de paiement, pour la conservation, bien sûr mais dans l’Antiquité, il pouvait aussi servir à la purification et la stérilisation du corps ou de certains objets.

De nos jours, il nous sert pour sécuriser les routes et les trottoirs en hiver, mais aussi pour le lavage de la vaisselle et des vêtements. Bref, le sel est au centre de nos vies, comme il a déjà été par le passé.

De même, Jésus nous invite lorsque nous nous posons la question de «comment bien vivre ensemble et non côte-à-côte» à ne pas s’accommoder de consensus mous. Car oui, nous sommes toujours le petit de quelqu’un d’autre. Mon voisin, ma voisine, a un trésor de sel en lui, en elle. Ce trésor, ce sont des racines, une culture, une langue, un don, des valeurs, toutes ces choses qui donnent du goût à la vie.

Alors, sœurs et frères, comme nos aïeux qui nous ont fait découvrir la saveur que peut avoir notre vie sur notre vieille terre, partageons ce sel précieusement. Discutons-en, partageons les trésors qui nous constituent, autour d’une discussion, d’un repas ou d’un coup de blanc. C’est ce goût de Dieu, le goût de la Vie !

Amen !

Jésus n’est pas simplement un prophète, un agitateur, un guérisseur ou un philosophe. Il se révèle à ses disciples sous une nouvelle lumière, un nouvel aspect. Mais qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd'hui? Pour ce culte bilingue patois vaudois-français, c’est un récit de l’Evandzilô d’aprî Marc qui nous accompagnera, un récit de rencontre au sommet d’une montagne au milieu de la fête de la mi-été. Encordez-vous et suivez le guide.

Détails

Avec la participation de
Frédérique Zahnd pour les lectures, Pierre-Alain Poletti, Pierre Devaud et Marlène Rod-Trauffler pour la liturgie, l'Association vaudoise des amis du patois (AVAP)
Orgue
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Musique
Fanfare de Gryon, sous la direction de Fabien Beney
Chorale des patoisants, dirigée et accompagnée à la vielle à roue par Marianne Niggeler-Bonny