
Écouter le culte :
On raconte qu’un paroissien entra un jour dans l’église Saint-Martin de Vevey pendant le culte, alors qu’on y lisait un passage de l’Épître aux Thessaloniciens dans laquelle il est dit : « Priez sans cesse » (1 Thess. 5, 17). Cette parole pénétra si profondément dans son esprit, qu’à la sortie du culte, il alla trouver le pasteur pour lui demander comment il était possible de prier sans cesse alors que le labeur pour subvenir à sa vie occupait l’essentiel de ses pensées. Insatisfait de la réponse du pasteur, il se mit à chercher dans la Bible le passage qu’il avait entendu et en trouva d’autres qui disaient qu’il fallait prier par l’Esprit en toute occasion (Eph. 6, 18) et élever les mains en tous lieux (1 Tim. 2, 8).
Ne sachant que penser de tout cela, il se mit à utiliser les moteurs de recherche et même à interroger l’intelligence artificielle. Mais celle-ci, totalement désarmée pour répondre pertinemment à la question, le laissa tout à fait insatisfait.
Il se dirigea alors vers la faculté de théologie la plus proche, où plusieurs professeurs lui délivrèrent des réponses brillantes et savantes. Mais là encore, elles le laissèrent insatisfait. Et notre paroissien continua à vivre longtemps obsédé par cette question, jusqu’au jour où Dieu lui donna de rencontrer un vieil ermite caché au fin fond d’une forêt. Mais cela est une autre histoire…
Nous, nous allons cheminer avec la question : Que signifie prier sans cesse ?
Année après année, fête après fête, l’Église, au travers de son calendrier liturgique, nous invite à sans cesse revisiter les fondamentaux de notre foi, en questionnant nos textes fondateurs, ceci pour mieux connaître le Christ, et en le connaissant mieux, mieux l’aimer.
Aujourd’hui nous célébrons le 4e dimanche après Pâques et sommes en route vers la Pentecôte, mais entre les deux, il y a l’Ascension. L’Ascension, c’est la fête qui marque le retour de notre Seigneur vers son origine céleste, clôturant ainsi un cycle terrestre commencé à Noël.
Oui, Noël, c’est la naissance de Jésus à la terre. L’Ascension c’est la naissance du Christ au ciel.
Noël, c’est Jésus qui revêt un corps d’homme. L’Ascension, c’est le Christ qui revêt un corps métamorphosé, dans une communion de forme entre l’humain et le divin. Je vous renvoie au récit de la transfiguration dans l’Évangile (Mc 9, 3).
Voyez comme c’est simple ! Noël, c’est le divin vient vers l’humain. L’Ascension, c’est l’humain qui revient vers le divin. A Noël, pourrions-nous dire, le ciel expire Dieu pour l’offrir à la terre. A l’inverse, à l’Ascension, le ciel aspire l’humain métamorphosé, par la résurrection pascale.
Ainsi, toute l’histoire entre Dieu et les hommes pourrait être récapitulée dans ce double mouvement de l’expiration et de l’aspiration. « Moi en toi et toi en moi », dit l’évangéliste Jean (Jn 17, 21).
Permettez-moi une petite histoire. Il y a plus de 15 ans, il m’a été donné vivre une retraite au milieu des soeurs de la communauté de Grandchamp, sur les bords du lac de Neuchâtel. Là, alors que j’effectuais des travaux de jardinage, l’une d’elles m’a invité à prier en posant une prière sur ma respiration. Prière qui consistait à associer mentalement le nom du Christ à l’aspiration et le nom de Jésus à l’expiration. Ainsi en travaillant, à chaque mouvement de mon diaphragme, j’aspirais le Christ et j’expirais Jésus. Symboliquement, j’aspirais le ciel (le Christ Dieu) et j’expirais la terre (Jésus homme).
Vous souvenez-vous de l’évangile du jour ? « Il faut que ceux qui adorent Dieu l’adorent en esprit ». En grec, la langue originale de l’évangile, adorer et prier sont issus d’une racine commune[1]. De même, en latin, pour esprit et respirer[2]. Si l’on joue sur ces analogies, l’évangile du jour pourrait être rendu par : « Il faut que ceux qui prient Dieu, le prient en respirant ».
Et là l’évangile est génial, parce que du compliqué, il en fait quelque chose de simple. Prier, ainsi compris, revient à prononcer silencieusement le nom de Christ-Jésus en le posant sur sa respiration. Écoutez seulement : (aspiration de la respiration), Christ. (Expiration de la respiration), Jésus (répéter 3 fois)[3].
À chaque aspiration, le Christ entre. À chaque expiration, Jésus sort.
À chaque aspiration, le divin entre. À chaque expiration, l’humain sort.
Une telle prière, pratiquée dès les origines du christianisme[4], conduit tout naturellement celui qui prie dans le présent, en le rendant présent au présent, dans un état de pleine conscience, dirait aujourd’hui le psychiatre et psychothérapeute Christophe André.
Respirer Jésus-Christ en prononçant silencieusement son nom, c’est être présent au présent dans lequel il est présent. C’est prier silencieusement alors que nous marchons dans la ville, sur les rives du lac, en montagne.
Christ, aspiration – Jésus, expiration.
C’est prier silencieusement alors que nous conduisons.
Christ, aspiration – Jésus, expiration.
C’est prier silencieusement alors que nous jardinons ou que nous cuisinons.
Christ, aspiration – Jésus, expiration.
C’est encore prier silencieusement alors que nous achetons pour consommer.
Christ, aspiration – Jésus, expiration.
C’est enfin prier silencieusement alors que nous faisons face à notre conjoint, nos enfants, nos petits-enfants, nos frères et soeurs en Christ, nos voisins, nos collègues.
Christ, aspiration – Jésus, expiration.
Prier en posant sa prière sur sa respiration permet tout naturellement de mettre en œuvre l’invitation de l’apôtre à prier sans cesse. Voilà peut-être ce que notre paroissien du début a entendu auprès de l’ermite, qui sait ? Quoi qu’il en soit, ce que nous savons, nous, c’est que nous avons là un outil d’une extrême simplicité qui est susceptible de modifier en profondeur notre intériorité, notre Église, notre monde.
Un jour en marchant dans les alpages, j’ai vu sur la façade d’un chalet l’inscription « Ora et labora » : prie et travail. Je me demande depuis, si travailler en posant simultanément sa prière sur sa respiration, ne feraient-ils pas de « prie et travail » une seule et même réalité ? Réconciliant ainsi définitivement Marthe et Marie ? Jusqu’à pouvoir dire, la nuit, avec la jeune fille du Cantique des Cantiques : « Je dors mais mon coeur veille ». Ou le jour, avec le psalmiste : « Goûtez comme le Seigneur est bon ».
[Aspirer] Christ, aspiration ; [Expirer] Jésus, expiration.
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Prière
Nous prions.
Au travers du psalmiste, lorsque tu as dit : « Cherchez ma face ! Mon cœur t'a répondu : c'est ta face, Seigneur, que je cherche. » (Ps. 27, 8)
Seigneur, apprends-nous à prier.
Seigneur, le désir de mon cœur, c'est de dire et de redire ton nom, encore et toujours, dans le murmure d’un cœur-à-coeur, qui bat au rythme de ma respiration.
Seigneur, le désir de mon cœur, c'est de dire et de redire ton nom, encore et toujours, dans la langueur d’un désir qui te cherche et te trouve, en étant présent au présent dans lequel te tu caches et te livres en même temps.
Seigneur, le désir de mon cœur, c'est de dire et de redire ton nom, encore et toujours, pour qu'il sanctifie notre temps, notre monde, et que mystérieusement il l’imprègne, le guérisse, l’illumine, le bénisse.
À toi qui es Père, Fils et Saint-Esprit, soit la gloire pour les siècles des siècles.
Amen !
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[1] Προσκυνέω : adorer, se prosterner, prier. Dictionnaire grec-français du Nouveau Testament, éditions Alliance biblique universelle.
[2] En latin, « spirare » : esprit et respirer partagent une racine commune.
[3] Les techniques de cohérence cardiaque étaient visiblement déjà pratiquées dans le christianisme ancien ! Pour la cohérence cardiaque, voir Le petit livre de la cohérence cardiaque, Dr Charly Cungi, éditions First, 2020.
[4] Pour en savoir plus, utiliser ces mots clefs dans un moteur de recherche : « prière du cœur », « hésychasme », « le pèlerin russe »