Osons être nous-mêmes!

Temple de Porrentruy (©AUJ)

Écouter le culte :

Ce vendredi-là, le ciel se déchirait, l’obscurité enveloppait la petite terre de Galilée. Les ténèbres s’étaient posées sur notre monde : colère de Dieu ou tristesse de Dieu, nul ne le sait véritablement. La belle aventure de Jésus, les rencontres avec les gens du lieu, tout se terminait au pied de la croix, instrument de torture dont le seul mot suffisait à terrifier la population.

Alors oui, on peut évidemment se poser la question : comment en est-on arrivé là ? Peur d’une révolte contre l’occupant romain, outrage à la Loi de Moïse, jalousie… Nos 2000 ans de christianisme ont tenté de comprendre et d’expliquer le pourquoi de ce qu’on appellerait l’Affaire Jésus. Aujourd’hui, les témoignages, ceux des évangiles, nous relatent les dernières heures de l’homme de Nazareth, de son procès religieux et civil, de son long chemin vers le mont Golgotha.

Jésus avait annoncé son départ. Et pourtant, ce vendredi-là, il nous surprend en se révélant pleinement. Jésus nous étonne car il n’a pas l’intention de s’opposer à ce qui lui arrive, à ce que les humains font de lui.

Dans l’évangile de Marc, ce sont trois phrases qui retiennent notre attention :

  • Mais Jésus ne répondit plus rien.
  • Ils voulurent lui donner du vin aromatisé de myrrhe, mais il n'en prit pas.
  • Il en a sauvé d'autres, et il ne peut pas se sauver lui-même !

Comme dans certaines prophéties de l’Ancien Testament et comme beaucoup de gens à l’époque d’ailleurs, on aurait pu s’attendre à un Messie éclatant, triomphant, s’imposant avec brio à toutes et tous pour établir le règne de Dieu. Un Messie qui amènerait et imposerait la loi divine dans le désordre des humains. Un Dieu des recommandations et de l’ordre moral. Un Dieu qui nous dirait « tu dois » ou « il faut », qui nous donnerait des lois puissantes et fortes. On attendrait un Dieu moral qui nous sauve du tragique. Mais au contraire : c’est un Dieu tragique qui sauve de la morale.

Ce vendredi-là, la stupéfaction était grande. Et la révélation de Dieu surprenante ! Dieu s’incarne jusque dans la solitude, la finitude et l’incertitude. Les personnages de l’évangile, croyant à ce qui paraissait une évidence, découvrent Jésus dans toute son humanité ! Comme nous qui passons parfois à côté des choses car on se les imaginait autrement et qu’on ne va pas chercher au plus profond de l’être, qu’on s’arrête à l’image des choses, à l’image qu’on a des gens.

Ce jour-là, le Règne de Dieu s’accomplit ailleurs et autrement, paradoxalement, dans le silence et la discrétion. Jésus est bien un roi, un roi qui ne possède pas une somptueuse couronne en or mais une couronne d’épines.

Jésus est porteur de l’autorité de Dieu, qui se manifeste dans des actes d’amour, de générosité et de bonté, plus que dans des actes de puissance. Avec Jésus, le Royaume est là, si proche de nos humanités. Jésus ne se manifeste pas dans la logique de nos propres idées, mais reste fidèle jusqu’au bout, et peut-être pour que le bout puisse éclairer le tout, fidèle au projet que son Père céleste a voulu pour lui.

Ce vendredi-là, Dieu, dans le tragique, nous livre un message existentiel poignant : oser être soi-même. Il nous appelle à être fidèle à nous-mêmes et à être ce que nous sommes. Cheminer vers l’authenticité de notre être. Marcher avec le temps vers la spécificité de notre personne. Car on ne peut pas nous voler ce qui nous constitue, notre être véritable, notre caractère, nos qualités, nos défauts. En nous-mêmes cohabitent de multiples facettes. Nous en faisons la découverte au gré des circonstances. Oser être soi-même est un art. Un art qu’il faut apprendre. Comme tous les arts que l’être humain pratique, l’art d’oser être soi-même s’enracine dans une disposition, une aptitude, une grâce.

Ce vendredi-là, Dieu, au travers de la tragédie du silence – Jésus ne répondit plus rien ; de la solitude : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » ; de la finitude et de l’incertitude, Dieu nous appelle à être nous-mêmes dans l’accomplissement de notre être, dans l’acceptation de nos faiblesses.

De quoi me détacher pour retrouver l’authenticité de mon être ?
Qu’est-ce qui me définit dans mon existence ? 

C’est un appel à exister dans le fait d’oser être soi-même, fidèle à ses projets, trouver la part de Dieu qu’on a en nous-mêmes, une part dénudée de « tu dois faire ci ou ça », mais « tu es ainsi et c’est comme cela que je t’aime ». Ainsi c’est se rencontrer avec soi dans le tragique de la vie, dans la respiration fragile ou dans la brise légère.

Être soi-même : croire en sa destinée, se détacher du regard des autres et relativiser leur jugement. Croire en ses buts, en la vie qui nous est donnée et fixée depuis un lieu qui nous échappe. Et c’est peut-être cela qui nous sauve : l’authenticité de notre être. Et étant lui-même allé jusqu’au bout, Jésus nous appelle à nous retrouver dans l’accomplissement de l’être.

Être soi-même pour nous aujourd’hui, c’est découvrir Dieu là où il se dévoile et non pas fixer les yeux sur l’endroit où nous aimerions le voir surgir. Dans cette optique, il reste un lieu où notre humanité va à la rencontre de Dieu. C’est le domaine de l’espérance, qui nous permet d’aller encore plus loin que l’authenticité de soi-même. L’accueil de l’autre comme soi-même. Et c’est aussi le message de ce jour-là.

Ce vendredi-ci, comme Dieu s’est fait humain dans la souffrance pour rejoindre l’humanité et lui donner une part de divinité, nous sommes appelés à accueillir les autres comme nous-mêmes. Pour cela, il s’agit non seulement de voir l’autre, mais de le reconnaître, à l’image du centurion qui a reconnu la divinité de Jésus sur la croix : « Cet homme était vraiment Fils de Dieu ! ». C’est cela l’espérance, qui n’est pas imagination. Car espérer, c’est accepter le réel tel qu’il est, mais toujours plus grand que nous l’imaginons.

Amen.

Croix, ténèbres, voile… Par la mort de Jésus, le récit de Vendredi-Saint nous livre l’image d’un Dieu tragique. Un Dieu qui s’incarne jusque dans la solitude, la finitude et l’incertitude. Cela nous amène à penser Dieu autrement qu’une puissance morale qui nous dirait «tu dois» ou «il faut».  Ce Dieu tragique nous livre un message existentiel poignant: oser être soi-même. De quoi me détacher pour retrouver l’authenticité de mon être? Qu’est-ce qui me définit dans mon existence?

Détails

Célébration
Avec la participation de
Ingrid Perolle et Michel Rapelli pour les lectures
Orgue
Dominika Szlezynger
Musique
La chorale de la paroisse réformée de Porrentruy, sous la direction de Livia Moritz