En honneur de l'Année anabaptiste

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« Justice et paix s’embrasseront » avons-nous entendu dans le Psaume d’introduction. Le prophète Esaïe annonce que « de leurs épées, ils forgeront des socs pour leurs charrues ». L’apôtre Paul enseigne dans sa lettre aux Romains de « ne jamais répondre au mal par le mal ». Et Jésus, dans ce que l’on appelle le Sermon sur la montagne, dira à ses auditeurs : « Ne résistez pas à celui qui vous veut du mal, au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. »
Si les deux premiers textes tirés de l’Ancien Testament, ainsi que le récit un peu fou d’une armée complètement désorientée et invitée à festoyer avec ses ennemis (II Rois 6 : 8 – 23). C’est un peu l’histoire du film « Joyeux Noël ». Si ces textes peuvent apparaître comme de louables projets, les 2 derniers textes que nous venons d’entendre risquent de résonner en nous comme de belles leçons de morale. Des exigences qui ne peuvent que nous écraser au vu de notre incapacité à les réaliser. C’est nous demander l’impossible que d’être aussi vertueux !
L’évocation de la gifle reçue et de la joue tendue va à l’encontre de nos réactions habituelles, de notre nature humaine plus prompte à réagir par la défensive, par la rétorsion, voire par la vengeance que par la capacité à vouloir désamorcer la spirale de la violence. Recevoir une gifle – et toutes les gifles sont loin d’être nécessairement d’ordre physique – c’est notre honneur qui est bafoué, c’est notre image de soi qui en reprend un coup. Le fait d’avoir subi un tel affront et la haine que cela a engendrée peuvent rester longtemps vivaces au fond de soi.

Je me souviens qu’à l’âge de neuf/dix ans – ça fait donc très longtemps – un camarade me chicanait régulièrement sur le chemin de l’école, il m’en voulait pour je ne sais quelle raison. Un jour, j’ai décidé de me venger de ses perpétuels harcèlements. Pour cela, j’avais préparé une belle et solide baguette de noisetier que j’avais dissimulée derrière un panneau publicitaire dressé dans un talus situé au milieu de mon village. En sortant de l’école, toujours harcelé par ce camarade et voulant en découdre une fois pour toutes, arrivé près de ma cachette, je me suis saisi de mon instrument de défense pour passer à l’attaque – l’attaque étant la meilleure défense, c’est bien connu – malheureusement, ma belle baguette n’a pas fait long feu entre mes mains. Vous l’avez compris : mon camarade était plus fort et plus agressif que moi, c’est moi qui ai repris les coups et la fuite fut ma seule défense.
Les dix années qui suivirent cet événement ne furent pas de trop pour que je me forge par la réflexion et par l’expérience une opinion au sujet de la violence, que j’apprenne à dire non à la violence dans certaines circonstances et que je fasse un pas dans ce sens en renonçant à porter l’arme en tant que soldat.

Dans les versets 38 – 48 de Matthieu 5, Jésus évoque les règles appliquées à l’époque dans les situations de conflits, il évoque en particulier la loi du talion. Une loi qui avait ceci de bon dans le sens qu’elle invitait la personne agressée à ne pas punir l’agresseur au-delà de la faute commise : « Œil pour œil, dent pour dent » évitant ainsi la spirale de la violence évoquée par Renaud dans une de ses chansons :
« Y m’a filé une beigne,
J’lui ai filé une torgnole,
Y m’a filé une châtaigne
J’lui ai filé mes groles. »
Pour une compréhension plus approfondie, je vous prie de consulter le dictionnaire de l’argot.

Dans notre texte donc, Jésus fait part à ses auditeurs de quatre exemples tirés de la vie courante par lesquels il enseigne le comportement à avoir dans des situations de conflit :
§ tends la joue gauche à celui qui t’a donné une gifle sur la joue droite,
§ donne ton manteau à celui qui t’a pris ta tunique,
§ porte la charge d’un soldat romain sur 2 km alors qu’il te demande de le faire sur 1 km,
§ donne à celui qui te demande, ne refuse pas de prêter.
La question qu’on peut se poser est de savoir ce que Jésus a voulu enseigner à ses auditeurs et par conséquent à nous aussi : une morale ? Ou alors, est-ce que ces paroles font-elles suite aux paroles d’espérance déjà exprimées au travers des textes de l’Ancien Testament que nous avons entendu : des promesses en train de se réaliser avec la venue de Jésus-Christ ?
Ces paroles ont interpellé les réformateurs du XVIe siècle et ont orienté la théologie de certains qu’on qualifie de réformateurs radicaux et qui ont donné naissance au mouvement anabaptiste mennonite dont nous sommes issus. C’est d’ailleurs à partir de l’interprétation de ces textes que les premiers anabaptistes s’opposèrent à porter les armes, désirant ainsi se mettre à la suite du Christ en pratiquant une forme de non-violence.
Je crois pouvoir dire que l’enseignement que Jésus veut nous donner ici a trait à nos relations. Les relations humaines : un élément, un concept essentiel de notre vie. Il y a les relations que nous entretenons entre nous, mais aussi la relation que nous avons avec Dieu, notre Créateur.
Nos relations, que je qualifierais d’humaines, sont parsemées de conflits, même la relation à soi-même l‘est, c’est normal, cela fait partie de notre vie. « Aime ton prochain comme toi-même », dit Jésus à ses auditeurs. J’ai parfois de la peine à m’aimer dans certaines circonstances, et pourtant, si je veux avoir de bonnes relations avec autrui, il importe que je sois en paix avec moi-même comme je suis appelé à être en paix avec mon prochain.

Et pourtant, je sais que la vie n’est pas un long fleuve tranquille, heureusement d’ailleurs. Mais qu’est-ce que je fais de ces tensions, de ces conflits qui surgissent dans ma vie : Jésus nous invite à les désamorcer, à rompre la spirale de la violence qui peut en surgir. Il nous invite à être gagnant dans les conflits, non pas par la force mais par des signes d’apaisement que nous pouvons offrir à l’autre même si on perd la face comme je l’ai perdu dans l’anecdote que je vous racontais étant gamin.
Il ne fait pas bon perdre la face mais se sachant aimer de Dieu, nous avons la confiance qu’il sera à nos côtés. Est-ce que cela signifierait qu’il faut se faire tout petit, « s’écraser » comme on le dit dans le langage populaire ? Faire fi du respect que l’on peut attendre de l’autre. Je ne crois pas que cela soit la bonne attitude à avoir. Au contraire, Jésus nous invite à passer à l’action, passer à l’action dans nos relations. Et les versets 44 et suivants résument l’enseignement que Jésus désire nous donner : « Eh bien moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. Ainsi vous vous comporterez comme des enfants de votre Père céleste, car lui, il fait luire son soleil sur les méchants aussi bien que sur les bons et il accorde sa pluie à ceux qui sont justes comme aux injustes. »
C’est ici la clé de tout le passage, et du discours tout entier : la question est de savoir si notre comportement va porter la marque de notre relation au Christ. « Soyez saints, car je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu » nous disait déjà l’Ancienne Alliance (Lév. 19, 2). « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », nous dit Jésus. Une invitation à redevenir semblable à Dieu, un retour au début de la Création, non pas par nos propres forces mais par la grâce du don de Jésus-Christ pour nos vies.
C’est alors que le discours sur la montagne n’est « Bonne nouvelle » que si nous la recevons de la bouche de celui qui l’a vécue et qui dans sa miséricorde veut la vivre en nous, veut nous transformer à son image, non pas d’un coup de baguette magique mais pour reprendre l’image du prophète Esaïe, comme « des épées transformées en soc de charrue » : ça demande du temps, ça demande de l’engagement.
Et c’est dans le cadre de notre vie personnelle de chaque jour mais aussi dans le cadre particulier de nos églises, de nos communautés de foi que nous sommes appelés à vivre cette transformation qui peut faire de nous des artisans de paix, pour ceux qui nous entourent et pour nous-mêmes.
Pour conclure, j’aimerais partager la réflexion suivante au sujet des textes bibliques que nous avons médités ensemble ce matin entre nos trois communautés : Communauté réformée de Porrentruy et des environs, Communauté mennonite d’Ajoie sans oublier la Communauté des ondes de la Radio suisse romande. Ce matin, nous avons eu le privilège de partager des textes qui traitent de paix, de non-violence et qui furent il y a 4-5 siècles de cela le sujet de violentes discordes. Aujourd’hui, nous nous en nourrissons ensemble : n’est-ce pas un signe de paix que le Christ nous donne dans sa grâce ?

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Maryline Gerber Brito (piano)
Musique
Aileen Bigler, violoncelle; David Brito, contrebasse; Carine Eyer et Laurence Geiser, flûtes traversières; Thibault Eyer, percussions