Fragilité et force

Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) - ©Alexandra Urfer Jungen

Écouter le culte :

Première partie : Nathalie Schopfer, pasteure

Depuis plusieurs années l’être humain ne cesse de s’inquiéter de sa fragilité. La fragilité est synonyme du mot faiblesse. Elle a pour pôle opposé la force, la puissance, la grandeur. Au cours de l’histoire du christianisme, la fragilité a souvent été associée à la notion de péché, de faillibilité. L’être humain est faillible, à l’inverse d’un Dieu infaillible, fort, tout-puissant.

La force a été érigée en valeur de réussite et d’épanouissement. Dans cette compréhension de la force, être fort, c’est être paré, équipé à traverser tous les aléas de l’existence, avoir les ressources pour rester droit et debout, quelles que soient les circonstances.

Aujourd’hui, le mot fragilité est souvent remplacé par le mot vulnérabilité. Fondamentalement l’être humain est un être vulnérable, soumis aux aléas de l’existence.

Dans notre société, généralement, la force est associée à la réussite et au pouvoir. Le fort ayant alors un ascendant sur celui qui est plus fragile ou faible. La force devient dans ce cas synonyme d’imposition ou de contrainte.      

Ce matin, nous vous proposons de nous questionner en tant que croyant sur notre lien et notre rapport à Dieu face à la diversité de notre existence humaine. Une mise en évidence de nos ambivalences : d’un côté, nous sommes régulièrement confrontés à la vulnérabilité et nous savons qu’elle est inhérente à notre finitude.

Et en même temps, nous glorifions et prenons pour modèle des figures ou personnalités considérées comme héroïques, notre société nous incite même à être les superhéros de notre propre développement.

Un chemin qui passe non seulement par la reconnaissance de notre vulnérabilité mais aussi la reconnaissance de la présence agissante du Christ.

L’épître dans laquelle s’inscrit le passage que nous avons lu est une lettre construite sous forme d’arguments. Au moment d’écrire cette deuxième lettre aux Corinthiens, Paul a été contesté et rejeté, l’authenticité de son ministère est remise en question. On reproche à l’apôtre sa faiblesse, son manque d’éloquence.       

Paul écrit et reformule et démonte les accusations dans un style argumentaire. Il va mettre en évidence que c’est à travers la faiblesse que la puissance de Dieu se révèle. Paul refuse clairement la gloire et la vantardise au profit d’une théologie qui s’exprime à travers la faiblesse. La faiblesse est, selon Paul, le lieu où le divin s’exprime par excellence. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort, car la puissance de Dieu s’accomplit dans la faiblesse. »

C’est un rappel de la naissance du Christ : Dieu vient à nous sous les traits d’un nouveau-né qui n’a même pas de place pour naître convenablement.

Ce ne sont pas des surhommes qui manifestent le divin et on le constate dans de nombreux textes bibliques. Le Christ n’est pas venu pour les bien portants, mais pour les malades, les personnes stigmatisées, celles mises aux marges de la société ou encore les faibles. Jésus guérit, soutient, encourage, vivifie, alors qu’il est lui-même stigmatisé, moqué, dénigré.

Cette attention aux plus fragiles, c’est l’attention portée à l’homme, à l’homme véritable et non l’homme qui se prétend invulnérable, au-dessus de tout. L’option préférentielle pour les faibles, c’est le soin pour tous, c’est la grâce pour tous ; tous partageant cette même condition.

Il ne s’agit pas pour autant de valoriser la souffrance, ni de s’auto-affaiblir ou d’affaiblir autrui. La souffrance n’est pas un prérequis à la rencontre avec Dieu. Et Dieu n’est pas non plus acteur de nos fragilités.      

Un Dieu présent au cœur du monde, mais un Dieu qui n’est pas le commanditaire du déroulement de nos histoires humaines.

Contrairement aux supers apôtres, Paul ne manifeste aucun orgueil. En toute humilité, il se tourne vers Dieu dans la prière. La prière n’est alors pas l’anesthésiant de la souffrance. Elle n’est pas non plus une formule magique qui pourrait supprimer la fragile condition du croyant.

Au contraire, la prière constitue le maintien de la communion avec Dieu, malgré tout. Elle est un dialogue intérieur nourrissant le lien qui nous relie à Dieu. Une communion où l’écharde perd son aiguillon mortifère, où la maladie ne définit pas la relation qui nous unit à Dieu.

Et Dieu se tient, là, dans ce dialogue intérieur, dans cette condition humaine partagée.  « Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » Cette parole témoigne de la puissance du Christ qui campe, plante sa tente, dans le corps meurtri de l’apôtre.

La grâce n’est pas synonyme d’exaucement concret ou supposé ; elle est, par la foi, présence spirituelle dans les limites du corps mortel.

Elle est une force donnée par Dieu qui fait dépasser la peur de l’écrasement par la souffrance.

Ouvrir en nous l’espace pour découvrir et déceler la présence aimante et agissante du Christ, voilà le chemin spirituel que nous sommes appelés à vivre.

Amen.

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Deuxième partie : Giovanni Fognini, abbé

Spontanément, en accueillant cette page d’évangile, je suis touché et interpelé par deux attitudes :

  • Celle représentée par le prêtre et le Lévite. Cette capacité que l’humain a – et j’en fais partie – de voir un humain à terre, blessé, frappé, violenté – et me détourner de lui, comme s’il n’existait pas !
  • Celle représentée par le bon Samaritain. Une autre capacité – et elle existe aussi en moi ! – de voir une situation de détresse et de m’arrêter, de prendre soin, d’ouvrir un avenir.

Il y a un personnage dont on ne dit pas grand-chose : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort ». Il n’a pas choisi ce qui lui est arrivé.

Cet homme, c’est aussi vous et moi, à certains moments de nos vies. Combien d’événements nous tombent dessus, sans les avoir choisis ? Parfois c’est une maladie imprévue, parfois la perte d’un poste de travail. Pour d’autres, c’est prendre la route de l’exil ; et l’actualité nous parle abondamment et constamment d’abus sexuels sur des enfants, de guerres, d’incendies, d’inondations, de tremblement de terres.

Il y a aussi toutes nos expériences personnelles, nos fragilités, nos vulnérabilités. Cela fait partie du chemin normal de ma vie, sans les rechercher. Cela s’accompagne de sentiments de solitude, d’abandon.

Dans ces moments-là, il suffit d’un regard posé sur nous, d’une attention, d’un mouvement de compassion pour continuer autrement le rude chemin de la vie. Nous avons tous besoin de cette attention remplie de compassion qui sait s’arrêter, s’approcher, soigner et soulager.

Marion Muller-Colard fait ce commentaire : « Une fois à terre, ce qui importe par-dessus tout, c’est de trouver penchés vers soi des visages qui relèvent en nous notre dignité. Non pas cette dignité postmoderne qui consisterait à ne plus être marqué d’aucun stigmate de fragilité, mais la dignité qui me réintègre à la communauté humaine lorsque je crains d’en être exclu. La dignité qui signifie que je suis né humain et que je le demeurerai vêtu ou dévêtu, debout ou à terre, en santé ou en maladie, tant que d’autres me reconnaîtront comme tel. »

Prenons le temps de préciser dans le silence de notre cœur qui est concrètement mon bon Samaritain, nos bons Samaritains ? Laissons des visages, des prénoms nous habiter et nous réchauffer le cœur !

Car nous avons été créés pour une plénitude qui n’est atteinte que dans l’amour. Vivre dans l’indifférence face à la douleur n’est pas une option possible.

Le bon Samaritain de la parabole nous montre concrètement comment se faire prochain d’une personne fragilisée par la vie. Elle nous donne même un mode d’emploi : d’abord « voir », et ce n’est pas si simple. Nous avons tous de multiples capacités à détourner notre regard ou de changer de trottoir.

Voir, oui, mais surtout s’arrêter. C’est-à-dire se faire proche, devenir le prochain de l’autre. C’est simple, mais exigeant, car il y a plein de résistances en nous qui, soi-disant, n’avons jamais le temps !

Ensuite, le bon Samaritain met en pratique toute une panoplie de gestes de premier secours qui sentent bon l’amour, l’attention à l’autre, le prendre soin.

Et surtout, il prend de son temps et de son argent pour inscrire la personne fragilisée dans tout un réseau à qui il délègue la mission de continuer ce qu’il a commencé. Il sait qu’il ne peut pas tout faire tout seul !

C’est vrai, je ne peux pas être bon Samaritain tout seul ! Nous en faisons quotidiennement l’expérience dans cet hôpital : c’est en additionnant les compétences de chacun.e – à tous les niveaux : médical, humain, spirituel – que nous essayons d’offrir un chemin de guérison aux personnes malades.

Cette parabole vient nous redire avec les mots de Marion Muller-Colard : « Ne pas être un prochain, c’est passer outre. Être pour l’autre un prochain, c’est intégrer la réalité de sa présence. »

Cela passe par le fait d’être « ému aux entrailles » vis-à-vis de quelqu’un. Avec des mots d’aujourd’hui, c’est être pris aux tripes.

C’est faire nôtre l’attitude même du Christ envers chacun.e de nous.

C’est traduire dans le concret de notre quotidien le « style de Dieu » qui sera toujours la proximité, la compassion et la tendresse.

Oui, « va, et toi aussi fais de même » !

Le dimanche 17 septembre 2023, fête du Jeûne fédéral, RTSreligion s’invite dans les murs des HUG pour une matinée œcuménique autour de l’aumônerie en milieu hospitalier. Une émission transmise sur Espace 2, de 9h à 11h, avec une table ronde et une célébration œcuménique.

Doit-on aujourd’hui encore parler d’aumôniers ou plutôt d’accompagnateurs spirituels? Pourquoi cette présence des aumôneries dans un service public tel que les HUG? Comment ce service est-il reçu par le personnel médical? Et comment est vécue par les patients la présence d’une aumônière musulmane?

Ces questions seront discutées en première heure avec les invités à la table ronde: le professeur Arnaud Perrier, directeur médical HUG, les responsables de l’aumônerie, Evelyne Oberson (catholique) et Jérémy Dunon (protestant), et Dia Khadam, aumônière musulmane.

La table ronde sera suivie à 10h d’une célébration œcuménique ouverte à tous. Elle sera présidée par Nathalie Schopfer, pasteure, et l’abbé Giovanni Fognini, en présence de bénévoles de l’aumônerie, de patients et de membres du personnel médical.

Animation: Matthias Wirz et Lucienne Bittar.

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Célébration
Avec la participation de
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