Heureux les artisans de paix!

Eglise évangélique de Meyrin (©Barbara Genequand)

Écouter le culte :

Il y a dans l’Évangile, au début du Sermon sur la Montagne, Matthieu 5, verset 9, cette splendide parole de Jésus :

« Heureux les artisans de paix… ils seront appelés fils de Dieu. »

La paix. Nous la désirons tous et toutes, n’est-ce pas ? Plus particulièrement encore quand nous sommes submergés par des images violentes, des propos guerriers, des situations conflictuelles.

La paix. Qu’elle vienne à nous manquer, et notre vie se rétrécit soudain comme peau de chagrin.

« Heureux les artisans de paix… ils seront appelés fils de Dieu. »

Cette parole de Jésus nous invite à nous engager en faveur de la paix. Résolument. Mais certaines collines ont un côté à la pente douce et verdoyante et un autre côté beaucoup plus aride et escarpé.

La paix que l’on souhaite est du côté tout en douceur. La paix qu’il faut construire est sur l’autre versant (le versant nord), plus exigeant. C’est celui que Jésus nous propose, si l’on veut vraiment lui ressembler. Mais en même temps, Jésus nous dit : « Heureux les artisans de paix ! » C’est que nous n’avons pas à redouter le côté pentu qui nous est proposé.

« Artisans de paix » : littéralement, « les faiseurs de paix ». On trouve le même mot pour décrire le métier de l’apôtre Paul : « faiseur de tentes ». Il y a là l’idée d’un travail qui est présente.

On imagine parfois ceux qui procurent la paix comme des gens qui diffusent la paix autour d’eux, comme ça, par leur seule présence, par leur seule qualité d’être, de façon un peu magique.

Dans son livre Le parfum, Patrick Süskind raconte l’histoire de Jean-Baptiste Grenouille, enfant abandonné et solitaire, à l’odorat phénoménal. Il excelle chez plusieurs maîtres parfumeurs mais, toute sa vie durant, il cherche à isoler l’essence parfumée qui diffusera la vie, le bonheur et la joie. Par des moyens très particuliers, il y parvient. Qu’il mette quelques gouttes de ce parfum, tout le monde se pâme de joie et de bonheur à son passage !

C’est ainsi que l’on imagine parfois, ce qu’est « procurer la paix » : être quelqu’un qui irradie tellement la paix qu’elle est communicative, irrésistible, magnétique.

Jésus, lui, nous invite à être faiseurs de paix, dans un sens beaucoup plus artisanal, où l’on retrousse les manches en faveur de la paix. Le faiseur de paix travaille à la paix, façonne la paix. Il lui consacre de l’énergie, de l’attention, de l’intelligence, de la volonté.

Le faiseur de paix doit aussi tenir compte de la réalité qui l’entoure, des personnes et des circonstances : nouer ensemble plusieurs brins de paix, favoriser des espaces pour la paix, renoncer à ce qui contribue au conflit. On ne diffuse pas la paix, comme par enchantement ou par magie. Il faut y travailler. Être artisan de paix demande de la volonté.

D’autres verbes sont employés dans la Bible, en relation avec la paix. Le Psaume 34, au verset 15, parle de « rechercher la paix », et de la « poursuivre ». Rechercher la paix, dans le contexte, exprime la vigilance à mettre en œuvre en situation concrète. Rechercher la paix, pas en théorie, mais dans la pratique.

Tant d’attitudes autres nous viennent naturellement, qui produisent le contraire de la paix. Le Psaume parle au verset 14 de la langue qui dit du mal des autres, des lèvres qui profèrent le mensonge.

Poursuivre la paix ne signifie pas courir après elle sans jamais pouvoir l’atteindre. C’est plutôt persévérer sur la voie de la paix, même si les circonstances ne sont pas favorables, voire effrayantes.

Le Psaume 34 renvoie d’ailleurs à la période de la vie de David où il a été injustement chassé et traqué par Saül qui voulait le tuer. Pendant tout ce temps, David a « poursuivi la paix », il a persévéré sur la voie de la paix. Deux fois, il a épargné Saül, alors qu’il aurait pu se venger et qu’on le pressait d’ailleurs de le faire. Mais il est resté droit, en paroles et en actes – poursuivant la paix.

Cela nous rappelle que la paix est fragile. Un acte, un seul violent, peut venir briser un vivre ensemble que l’on pensait acquis. Une parole blessante peut fissurer, en un mot, une harmonie patiemment construite. Un mensonge, une trahison, peuvent détruire, en une fois, une relation de confiance.

La paix est une fleur magnifique, mais délicate. Il faut la préserver. Être artisan de paix, c’est y veiller encore et toujours, y compris dans les conditions les plus adverses, les plus périlleuses.

Un autre verbe employé en relation avec la paix est le verbe « semer » : semer la paix.

« Le fruit de la justice est semé dans la paix par les artisans de paix. » (Jacques 3, 18)

Ce verset rappelle qu’on ne peut pas séparer la paix de la justice. Par justice, on entend ici une attitude en accord avec ce que Dieu demande.

« Le fruit de la justice est semé dans la paix par les artisans de paix. »

Jacques vient de parler de la sagesse selon Dieu qui est modérée, conciliante, pleine de miséricorde et de bons fruits, sans partialité, sans hypocrisie. C’est ce fruit de la justice que les artisans de paix sèment pour produire la paix. Cette image de semailles dit que la paix sera le fruit de ce que chacun y apporte.

Une relation riche de plusieurs qualités permettra une paix de belle qualité, une harmonie forte et bienfaisante. Une relation bricolée superficiellement conduira à une paix superficielle, à bon marché.

Être artisan de paix, c’est veiller à la qualité de ce que nous semons. La paix, pour donner toutes ses senteurs, a besoin de bonté, de sincérité, de modération, de droiture, de vérité, d’équité.

La paix, au sens biblique, n’est pas simplement l’absence de conflits. On peut éviter les conflits en s’ignorant ou s’inspirant mutuellement de la crainte. La paix que nous sommes invités à développer est le fruit d’une relation dans laquelle nous sèmerons aussi richement que possible, pour produire un beau fruit.

L’image des semailles parle donc aussi de fragilité. Il y a parfois des échecs, des richesses piétinées, des moissons qui peinent à aboutir. Être artisan de paix, c’est oser semer là où il y a déjà eu des dégâts. C’est le faire avec espérance, même si l’on tremble un peu, ou beaucoup.

Jésus n’a pas restreint le champ de son invitation. « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu. » Son invitation s’applique à toutes nos relations mais elle se traduira différemment selon les circonstances.

Je suis appelé à être artisan de paix là où il n’y a pas de conflit. J’essayerai de régler aussi vite que possible les situations qui pourraient engendrer des conflits, je travaillerai à l’approfondissement et à la consolidation de relations de confiance et de vérité. Il vaut la peine d’y veiller quand les relations sont encore intactes. On est alors sur le versant le plus agréable de la paix : on y travaille tout en profitant de ce qu’elle nous apporte.

Viennent ensuite les situations déjà abîmées par le conflit. Il devient alors très exigeant d’être ou de devenir artisan de paix. Si l’on est soi-même partie prenante dans la difficulté relationnelle, il faut beaucoup d’humilité, de clairvoyance et d’honnêteté. Être artisan de paix pourra signifier faire le premier pas vers l’autre, s’exposer un peu.

Cependant on gardera le souci de la justice et de l’équité : il ne s’agit pas, au nom de la paix, d’accepter n’importe quoi. Il faut se préparer à reprendre l’ouvrage à plusieurs reprises. On est alors sur la pente exigeante de la paix, celle qui demande des efforts soutenus. Les victoires sont d’autant plus belles.

Quelles résolutions concrètes peuvent découler de cette invitation de Jésus à être artisan de paix ? Je vous en propose trois.

La première est d’accepter que notre rôle, dans toutes les relations que nous établissons, est celui de l’humble artisan. Nous n’avons pas à nous rêver d’être comme le pacificateur ou le réconciliateur universel. Notre place est celle de l’humble artisan, patient au cœur même de l’action.

Prendre ce texte au sérieux nous amènera alors à nous arrêter pour faire le point :
En quoi ai-je été constructif ?
Où ai-je manqué ?
Qu’y aurait-il à réparer ?
Où pourrait-on avancer encore ?

Une deuxième résolution serait celle de la constance. Une pensée peut nous y aider : c’est une réflexion assez remarquable, je trouve, du chanteur de reggae Bob Marley. Deux jours avant un concert pour la paix qu’il devait donner en Jamaïque, il a été victime d’une tentative d’assassinat par un groupe d’extrémistes : une balle dans un bras, une balle dans la poitrine, cinq balles dans la cuisse. Le jour du concert, il est présent. On lui demande pourquoi. Il répond : « Les personnes qui veulent rendre le monde encore plus mauvais qu’il n’est déjà ne prennent jamais de congé. Pourquoi en prendrai-je ? »

Nous sommes témoins, chaque jour, des forces qui sabordent ou fragilisent la paix. « Pas de congé », c’est vrai. Opposons à cela la résistance douce d’une patience à construire et à consolider la paix.

Une troisième résolution serait de veiller sur ce que nous sommes. On ne saurait offrir ce que l’on ne possède pas soi-même. Nous ne pourrons travailler à la paix que si nous sommes pacifiés intérieurement.

Jésus, notre paix, nous donne cette paix en restaurant l’harmonie avec notre Créateur. En cultivant la communion avec Dieu, par la méditation de sa Parole, par la prière, par le service aussi, sa présence devient en nous source de paix et force pour la paix. En laissant Dieu nous travailler intérieurement, nous recevons, comme fruit de l’Esprit, des ressources nouvelles pour nous permettre d’être artisan de paix.

En guise de conclusion : qu’est-ce qui peut nous motiver dans cette voie de la paix ?

Il y a, bien sûr, les fruits de la paix, le bonheur des relations limpides où règnent l’harmonie et la confiance, l’amitié et la fraternité. Et il vaut la peine d’y travailler !

Toutefois, Jésus nous oriente vers une autre perspective : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » Jésus, ici, s’adresse à ceux et celles qui sont déjà appelés « fils » et « filles » du Seigneur par leur foi personnelle en Lui. Votre œuvre de paix ne sera jamais une œuvre solitaire mais une connivence avec le Dieu de la paix, une œuvre à ses côtés.

Jésus, le Fils unique du Père, en venant vers nous, a été l’Artisan de paix au sens le plus plein du terme. Il est l’artisan de notre salut. Il a établi un pont sur le plus effrayant abîme : celui qui nous séparait de Dieu. Il a fait le premier pas, il s’est rendu vulnérable. Il a surmonté l’inimitié pour nous réconcilier avec Dieu. Il a tout pris sur lui pour rendre la relation possible.

Jésus est notre paix (Éphésiens 2, 14). Nous qui étions loin, nous pouvons désormais devenir proches, tout proches, fils et filles de Dieu. L’harmonie avec Dieu est possible, elle nous est offerte. En Jésus-Christ, Dieu nous a montré à quel point Il veut être notre paix. Celle-ci englobe la vie présente, l’aujourd’hui et le maintenant, comme la vie éternelle. Car le jour où le Seigneur fera toutes choses nouvelles, il créera la paix et l’harmonie, en abondance.

« Voici que je dirigerai vers Jérusalem la paix comme un fleuve, et la gloire des nations comme un torrent… Comme un homme que sa mère console, ainsi moi je vous consolerai… Oui, vous serez consolés, vous le verrez, et votre cœur sera dans la joie. » (Esaïe 66, 12-14)

Au sens du Psaume 85, verset 9 : « Dieu parle de paix à ceux qui l’aiment. J’écouterai donc ce que dit Dieu. » Dans ces temps troublés et éprouvants, je veux m’en souvenir et chérir ce cadeau.

Au Psaume 85, verset 11, nous lisons qu’un jour, la justice et la paix s’embrasseront, la vérité germera sur terre. En attendant ce grand jour, dans ce monde-ci déjà, dans le contexte que nous connaissons : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils et filles de Dieu. »

Amen !

Les vœux de paix font partie des «grands classiques» du nouvel an. La paix, qui n’y aspire pas? Dans ce monde fragmenté, nous la désirons, nous en avons besoin! Et quand elle vient à manquer, notre vie s’en trouve oppressée.

«Heureux les artisans de paix… ils seront appelés fils et filles de Dieu.»

Cette parole de Jésus nous invite à nous engager comme jamais en faveur de la paix. La paix que l’on souhaite est du côté tout en douceur. La paix qu’il faut construire est sur un versant plus exigeant.

Détails

Avec la participation de
Joël Dupertuis et David Porter pour la liturgie et les lectures.
Orgue
Musique
David Porter, piano et chant; Héléna Duckert violon et chant; Thierry Battisti, chant; Clément Barral, guitare électrique; Thiago Moraes, percussions