Prends courage, il t'appelle!

©Barbara Genequand

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Extraordinaire guérison que celle de Bartimée dont nous venons d’entendre la lecture en Marc 10, 46-52 ! Bartimée, le mendiant aveugle de Jéricho. Bartimée, exaucé, guéri, de manière extraordinaire.

Nous voici mis face à un acte re-créateur, qui ouvre un nouvel horizon, qui ouvre à une nouvelle vie, de nouvelles perspectives : « Que la lumière soit ! » Une illumination que seul le Christ peut opérer. Nous sortir de nos aveuglements, de nos enfermements. Notre seul espoir est en Lui.

Et, de sa part, geste de bonté qui traduit avec force la mission de Jésus, celle qu’il avait chevillée au cœur : « L’Esprit du Seigneur repose sur moi… Il m’a envoyé pour annoncer aux captifs la libération, aux aveugles le recouvrement de la vue, et proclamer l’année de grâce accordée par le Seigneur. » (Luc 4, 18-19)

Mais la guérison époustouflante de Bartimée s’accompagne d’un autre miracle, moins visible, plus discret, mais tellement important : la transformation du regard des compagnons de l’aveugle.

L’annonce de l’arrivée de Jésus a suscité en Bartimée une folle espérance qui le pousse en avant, qui le fait oser. De toutes ses forces, il crie pour attirer l’attention de Jésus : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! » Et là, voyez la réaction de ses compagnons : beaucoup, à ses côtés, « le rabrouent, pour le faire taire ». (verset 48) Paroles de reproches et de découragement qui cassent l’élan et brisent l’espoir. Ces mêmes personnes adresseront pourtant, peu après, une invitation pleine d’espérance et de chaleur à l’aveugle, parmi les plus belles de l’Évangile : « Prends courage, lève-toi, Jésus t’appelle ! »

Des briseurs d’espoirs transformés en encourageurs. Ceux qui faisaient obstacle invitent maintenant l’aveugle, avec chaleur, à s’approcher de Jésus en toute confiance ! Quel retournement de situation ! D’empêcheurs à facilitateurs.

Ces compagnons de Bartimée avaient pourtant un rôle de toute première importance. Bartimée ne voyait pas : ils étaient ses yeux. C’est par eux qu’il savait ce qui se passait autour de lui. Leur regard était vital pour lui. Rendons-leur donc hommage : ils ont bien rempli la première partie de leur mission. Grâce à eux, Bartimée sait que Jésus est là, à deux pas,  en ville, à Jéricho.

Grâce à eux, aussi, Bartimée est informé sur Jésus, son action, sa bonté. Bien qu’aveugle et en un sens limité, il est bien renseigné sur le Christ, ce qu’il est, ce qu’il fait. Il a eu le temps de réfléchir, de tirer ses propres conclusions sur Jésus. Il l’appelle « Fils de David », un titre que l’on ne trouve que dans sa bouche dans les Évangiles. Il a vu plus clair que les autres parce que, peut-être, moins ébloui par l’extérieur, il a su méditer en profondeur : « Ce Jésus ne peut être que l’Envoyé de Dieu promis, Fils de David… et cet envoyé de Dieu qui se montre si proche de chacun, si aimant, saura certainement s’intéresser à moi, prendre pitié de ma situation et faire quelque chose pour moi ! »

Formidable espoir pour Bartimée ! Et admirables ressources intérieures chez lui. On parlerait de résilience sans trop s’égarer : il sait encore attendre quelque chose de Dieu malgré toutes ces années de terrible handicap. Mais cela, il le doit, en partie au moins, aux gens qui lui ont parlé de Jésus.

Pour nous aussi, au cœur des cécités, des blocages et des enfermements de notre temps, parler de Jésus, c’est éveiller l’espoir qu’il ne saurait décevoir.

Alors, quand il entend que Jésus passe, Bartimée crie, appelle, de toutes ses forces. Il lui faut attirer l’attention de Jésus. Il a besoin d’une rencontre personnelle avec lui. Il ne lui servirait à rien que Jésus « passe » devant lui, sur la route, alors qu’il resterait, lui, « au bord du chemin ». Bartimée a bien compris que seule une vraie rencontre avec Jésus peut changer la vie, changer sa vie.

Il ne suffit pas d’entendre parler de Jésus, d’être au courant de l’un ou l’autre de ses faits ou de l’une ou l’autre de ses paroles. Il faut le rencontrer, lui.

Ses appels sont donc à la mesure de son attente, son insistance à la hauteur de son espérance. C’est toute sa voix, tout son passé, tout son avenir, qu’il met dans les cris qu’il lance en direction de la route. Appel de détresse, prière vibrante ; puis pause, pour écouter si quelque chose se passe. Pour guetter la voix qui, peut-être lui annoncera que Jésus s’approche. A moins que ce ne soit la voix de Jésus lui-même qu’il entende…

Mais qu’entend-il, en écho de tant d’espoir ? Que reçoit-il en réponse à ses espérances ? Des voix connues, mais qui l’atteignent comme des coups de poignard : « Tais-toi, Bartimée, tu n’es pas seul ici ! Arrête de crier, tu te ridiculises en te faisant remarquer comme cela, fais-toi discret ! De toute façon, cela ne sert à rien : Jésus ne t’entendra jamais ! Il ne peut pas s’arrêter pour chaque personne qui l’interpelle ! Tu ne te rends pas compte du monde qu’il y a ici, et certains avec des besoins plus importants que les tiens. »

Terrible message ! Qui veut dire, en clair : « Tu n’es pas assez important pour Jésus. Tu ne vaux pas le détour. » Terribles paroles, dont nous avons parfois le secret. Paroles qui enferment, rabaissent  et découragent, cassent celui ou celle qui attendait autre chose.

Voilà l’image de lui-même que renvoient à Bartimée ceux qui était censés être ses yeux. Même si l’image est déformée, c’est un message qu’il reçoit de plein fouet de la part des gens qui avaient été pour lui les témoins de Jésus. C’est en fait leur propre regard qu’ils dévoilent ainsi : Bartimée n’est, pour eux, qu’un homme « au bord du chemin », au bord des routes de la vraie vie, et condamné à le rester.

D’autres dans l’Évangile, heureusement, ont su agir autrement : pensez à ces quatre hommes qui dans une action concertée et déterminée sont allés jusqu’à démonter un toit pour amener leur ami paralysé vers Jésus. (Marc 2, 1-12)

Reste que notre regard sur l’autre peut annuler notre témoignage, et réduire à néant nos plus belles paroles. Notre regard sur l’autre peut blesser, cataloguer, briser la personne qui est en face de nous. Car, comme Bartimée, chacun.e est tellement dépendant de l’image qui lui est renvoyée par les autres, chacun.e peut être tellement découragé par les perspectives fermées, les portes closes, les fins de non recevoir. Quel drame lorsque les témoins de Jésus-Christ en ce monde renvoient une image qui fige les autres dans leur malheur, leurs fautes ou leur problème.

Et si les gens aujourd’hui ne sont plus attirés vers les Églises, c’est en grande partie parce qu’ils n’ont plus envie de se soumettre aux rabats-joie, aux moralistes de tout-poil, aux censeurs-nés. Sans générosité, sans compréhension, sans respect, sans amour. Si prompts à voir ce qui ne va pas chez l’autre, si lents à voir ce qui ne va pas chez eux.

La courtoisie est une une forme de respect. Mon prochain existe, je ne l’agresse pas, je le respecte, je la respecte.

Bartimée, heureusement, ne se laissera pas abattre, mais redoublera d’ardeur. Quelle responsabilité pour les gens autour de lui s’il s’était découragé par leurs propos et laissé éteindre dans sa quête…

Heureusement, surtout, que Jésus avait un autre cœur et un autre regard pour les personnes comme Bartimée. Car malgré la foule, malgré son programme et ses préoccupations – il allait vers Jérusalem où il serait mis à mort – Jésus était prêt à s’arrêter pour ceux qui avaient besoin de lui. Prêt à prendre chacun, chacune en compte, pour répondre à ses vrais besoins et le remettre sur les chemins de la vie véritable, par Sa grâce à nulle autre pareille.

Jésus, ce n’est pas un rigoriste, ce n’est pas un intégriste, ce n’est pas un mâle dominant écrasant chacun de sa superbe. Jésus n’est pas distant, ni cynique, ni froid, ni blasé. Il sait comprendre les gens, il sait les défendre devant leurs accusateurs, il sait les relever. Jésus, c’est quelqu’un qui vous aime, qui vous attire, qui vous accueille et qui vous respecte. Oui, il a un projet pour nous. Oui, il y a dans nos vies des choses qui doivent changer. Oui le péché existe et il sera jugé. Mais vous, la personne que vous êtes : Christ vous aime.

Et, à partir de là, tout peut changer ! Quand ils voient Jésus s’arrêter, quand ils voient tout son intérêt pour Bartimée, quand ils l’entendent ordonner : « Appelez-le ! », alors ceux qui venaient de crier « Tais-toi ! » à Bartimée ne peuvent plus tenir le même langage. Eux aussi doivent changer.

Les voilà qui deviennent soudain les porteurs d’une parole de vie, de réconfort et d’espérance, d’ouverture et d’accueil. Leur voix se fait invitante et chaleureuse : « Prends courage, lève-toi, il t’appelle ! » La parole qui enfonçait fait place à une parole pour la vie. Et ceci parce que, désormais, ils ne voient plus Bartimée avec leur propre regard, mais avec le regard de Jésus.

Cela fait toute la différence : la différence entre un regard qui tient à distance et un regard qui rapproche. La différence entre un regard pour la mort et un regard pour la vie. La parole et le regard. On peut dire tout ce qu’on veut : nos plus belles paroles sur Jésus seront réduites à rien si notre regard sur les autres n’est pas transformé.

Apprenons à regarder chacun, chacune avec le regard de Jésus qui sait voir le meilleur et tous les possibles. Demandons-lui de former en nous son regard. Souvenons-nous que là où nous dirions peut-être : « Il n’en vaut pas la peine », Jésus, Lui, nous demande : « Appelez-le ! Appelez-la ! J’ai tant de choses à faire pour lui, pour elle ! »

Le Dieu qui s’est fait connaître à nous en Jésus est un Dieu qui veut s’arrêter pour chacun, chacune. Faire du bien, vraiment, à toutes et tous, et permettre même à ceux et celles qui sont « au bord du chemin » de retrouver les vraies routes de la vie. En un mot comme en mille, Jésus veut nous sauver.

C’est ce Dieu en qui nous nous confions et que nous pouvons annoncer. Un Dieu aimant, attentif, personnel. Et parce que Lui sait s’arrêter pour celles et ceux qui ont besoin de lui, nous pouvons alors être les porteurs de cette magnifique parole : « Prends courage, lève-toi, il t’appelle ».

Amen.

Que pouvons-nous recevoir, quand tout et tous autour de nous découragent nos élans et nos espérances?
Existe-t-il une parole qui relève et change la donne initiale? Quelque chose qui peut nous sortir de nos enfermements? Un vrai accueil quelque part?

Détails

Avec la participation de
Denise Félix
Orgue
Musique
Silvain Dupertuis au piano, Héléna Duckert au violon et au chant et Thea Beronja à l'alto