Briser les cercles vicieux

Cathédrale Saint-Pierre, Genève (©Jean-Christophe Emery)

Écouter le culte :

Rencontrer.

Rencontrer restera sûrement la principale saveur que je garde de l'assemblée de Karlsruhe.[1]

Rencontrer une diacre de la Hallgrimskirkja.
Rencontrer l'archevêque de Canterbury.
Rencontrer une théologienne ortohodoxe de l’Église arménienne.
Rencontrer une jeune femme des îles Fidji.
Rencontrer une amie d'enfance.
Rencontrer des collègues si proches.

Rencontrer
au détour d'un repas pris ensemble,
au détour d'un hug pour se donner la paix,
au détour d'une bénédiction en langue des signes.

Rencontrer
juste dans un regard lumineux échangé,
en s'arrêtant pour une conversation théologique.
Juste en passant.

Rencontrer
pour s'accorder,
pour confronter des avis divergents,
pour conclure que nous ne sommes pas en accord mais en chemin,
pour garder le contact même si toute relation semble compromise.

Rencontrer s'avère sûrement la principale saveur de l’Évangile et du ministère de Jésus.

Se rencontrer, voilà ce qu'expérimentent Jésus et cet homme aveugle-né.

Cette rencontre n'a rien d'évidente : ni recherche de contact, ni rendez-vous donné dans un agenda chargé.

La rencontre se passe ainsi, en passant. Jésus vient de s'exfiltrer du Temple de Jérusalem pour éviter les pierres de ses détracteurs qui voudraient le lapider parce qu’il remet en cause leur ordre établi.

Il y a des rencontres difficiles où tout se brouille et s'entremêle, où c'est une vérité contre une autre. Un affrontement stérile qui ne peut qu'aboutir à la violence des pierres.

Jésus se retire de ce dialogue mortifère et s'offre une parenthèse de vraie rencontre.

Jésus, la Vérité, ne fuit pas la menace. Il poursuit son chemin quand il n'est pas reçu.

Cette rencontre n'a rien d'évidente. L'homme aveugle-né se tient là. Le texte est avare de renseignement sur cet homme. Nous savons par déduction qu'il a des parents et qu'il est aveugle de naissance. Posé sur le chemin, il semble faire partie du décor. Personne ne semble s'en soucier. Il est transparent.

Jésus passe et le voit ! Jésus voit celui qui justement ne voit pas. Jésus réalise un miracle ! Pourtant la rencontre entre les deux hommes ne se réduit pas au miracle. Dans la rencontre, la compassion de Jésus pour l'autre se manifeste.

Ce texte de Jean 9 était le fil rouge de la journée du lundi 5 septembre qui avait pour thème : « L'amour du Christ signifie avoir de la compassion pour la vie ».

Dans l'étude biblique proposée par la théologienne Diana Tsaghikyan, professeure à la faculté de théologie de Yerevan en Arménie, elle dit, je cite : « En fait, la guérison de l’aveugle était un miracle. Des miracles se sont produits à l’époque, et des miracles se produisent de diverses manières aujourd’hui aussi. Or, cette histoire n’est pas seulement celle d’un miracle, mais aussi celle de l’amour du Christ et du pouvoir de la compassion. »

Jésus fait preuve de compassion vis-à-vis de cet homme. Il est d'ailleurs le seul dans ce texte. L'aveugle-né semble perdu dans la solitude de son handicap. Personne, ni dans le voisinage, ni parmi les disciples, ne semblent s'en soucier.

L'unique question formulée par les disciples, d'ailleurs, ne consiste pas à s’enquérir de l'être de cet homme : Souffre-t-il ? Comment se sent-il ? A-t-il des envies, des rêves, de la colère ? Ces questions ne semblent pas intéresser les disciples !

Une seule question les intéresse : « Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle ? »

Sûrement que la cécité de cet homme les trouble et ils ont besoin d'une explication pour satisfaire leur curiosité et sûrement se rassurer.

Si le handicap résulte du péché... nous qui ne sommes pas pécheurs, alors nous sommes à l'abri des mésaventures de la vie. L'équation est tellement évidente.

Cette question de l'origine du malheur est la récurrence de nos vies. Il transpire dans les dictons parfois dits aux enfants : « Le petit Jésus t'a puni ! » lorsqu'une maladresse fait se cogner ou tomber.

Il est toujours présent dans l'interpellation « Qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu ? » pour mériter les déconvenues qui se succèdent dans la vie quotidienne : un train en retard, un téléphone qui ne s'allume plus...

Il est toujours présent dans les situations dramatiques.

Répondre au pourquoi ? Trouver le coupable du malheur ! Voilà qui est bien pratique ! Voilà un schéma qui se répète dans nos existences comme un cercle aliénant qui contamine nos existences.

En effet, pour cet homme aveugle-né, il n'y ni péché, ni coupable. Il y a l'obscurité et ensuite la lumière.

Jésus brise par ses mots et ses gestes les cercles aliénant de la culpabilité. Au lieu de se perdre dans des circonvolutions théologiques, il va se baisser, cracher et mettre la main dans la boue.

Son ministère est une véritable interpellation à la rencontre et à l'action. Il propose ensuite à l'homme aux yeux boueux un programme de guérison en le rendant responsable du processus.

Jamais dans son interaction avec cet homme, Jésus ne le considère une charge, une anomalie. Bien au contraire, pour Jésus cet homme est créé à l'image de Dieu. Il resplendit dans son handicap de Sa lumière.

Dans une séance de plénière à Karlsruhe, un jeune homme aveugle, M. Samson Waweru Njoki, un consultant de l'assemblée, de l’Église grecque orthodoxe du patriarcat d'Alexandrie et pour toute l'Afrique au Kenya, exhortait à ne pas prier pour la guérison des personnes en situation de handicap mais à agir avec. Il existe effectivement à la marge des récits de guérisons miraculeuses.

Dans l'immense majorité des cas, les personnes ne verront pas disparaître leur handicap. Pour Samson, les handicapés veulent faire partie de la solution et non plus être considérés comme des problèmes. La sympathie est agréable, mais l'aide est plus efficace.

Favoriser l'accès des toutes et tous aux dispositifs médicaux, appareils auditifs, matériel orthopédique... notamment dans les pays émergents serait une voie de compassion à la suite de Jésus.

En suivant cette voie, un autre miracle se produit, celui de dépasser les préjugés et de se réjouir de la lumière. Il est aussi rare que précieux.

Les disciples par leur question, les gens du voisinage – parce qu'au lieu de se réjouir du retour à la vue de l'homme – le bombardent de questions et ne perçoivent pas la lumière qu'offre Jésus en renversant les schémas établis.

Pourtant comme l'homme, les disciples, les gens du voisinage, nous toutes et tous sommes immergés de cette compassion du Christ patient et qui nous attend

Une compassion à vivre dans le cheminement ensemble, guidés par la lumière du Christ.

Amen.

 

[1] La 11e Assemblée générale du Conseil œcuménique des Eglises à Karlsruhe, en Allemagne, qui s’est déroulée du 31 août au 8 septembre 2022.

L'assemblée générale du Conseil oecuménique des Églises qui se tient cette année à Karlsruhe du 31 août au 8 septembre 2022 prend pour thème: «L'amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l'unité». La rencontre de Jésus et de l'aveugle de naissance en Jean 9 a été choisie comme fil rouge d'une des journées. En préambule de leur échange, Jésus désamorce l'idée que le handicap de cet homme serait le résultat d'une hypothétique défaillance dans sa lignée. Dans le dialogue œcuménique, l'idée que la diversité des confessions «n'est la faute de personne» mais reste une richesse sûrement porteuse d'un bel élan de réconciliation.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Vincent Thévenaz
Musique