Dénoncer les injustices sociales ensemble

Cathédrale Saint-Pierre à Genève (©DR)

Écouter le culte :

Imaginons, fermons nos yeux, et imaginons un homme à mobilité réduite et une femme qui dansent ensemble.

Imaginons cette femme debout sur la chaise roulante de l’homme et soutenue par lui.

Imaginons cette danseuse sur l’épaule du danseur qui tourne sur lui-même.

Et imaginons, ce danseur penche sa chaise roulante sur la danseuse qui le soutient.

Maintenant, je vous invite à rouvrir vos yeux.

Cette danse ne fait pas simplement partie de votre imaginaire, elle a bel et bien eu lieu. Elle a eu lieu à Karlsruhe, durant la sixième journée de l’Assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises. Cette journée était consacrée à l’affirmation de la justice et de la dignité humaine.

Ce duo de danseurs a si bien représenté le monde que Dieu souhaite ! Un monde dans lequel on affirme la justice et la dignité humaine devant près de 3000 personnes. Un monde sans exclusion. Un monde où toute personne a sa place n’importe où et n’importe quand. Un monde où il n’est pas surprenant de voir les capacités incroyables de chaque individu. Un monde où l’on danse de joie ensemble, vraiment, toutes et tous ensemble.

La danse de joie présentée par ce duo était une louange à la foi de la Cananéenne. Mais pourquoi ont-ils décidé de louer cette Cananéenne ? Pourquoi n’ont-ils pas loué Jésus qui guéri la fille de la Cananéenne ?

Je vous invite ce matin à redécouvrir ensemble le récit de Matthieu, parole après parole, et comprendre pourquoi celui-ci nous invite à dénoncer les injustices sociales.

Dans ce texte, un élément particulier me choque et je ne dois pas être la seule à le penser ici. Avez-vous remarqué la violence de l’action de Jésus au début ? « Mais il ne lui répondit pas un mot » : Jésus ignore la Cananéenne. Ses propos dévoilent que pas tout le monde a le droit de recevoir la parole de Jésus. Ils reflètent une forme d’exclusion, oui, d’exclusion de toute personne qui n’est pas à la même table que le Christ.

Aujourd’hui, nous vivons dans un monde qui exclut des individus, qui continue de croire que des groupes de personnes n’ont pas leur place à la table décisionnelle. L’assemblée du Conseil œcuménique des Églises nous a rappelé cela par le témoignage de nombreuses personnes, comme Emaima Vaai.

Cette jeune femme des îles du Pacifique a dénoncé les conséquences de la colonisation sur la dignité humaine de son peuple. Les missionnaires qui accompagnaient les colons ont isolé la spiritualité des peuples indigènes. Mais elle a une solide espérance. Elle espère une réconciliation entre l’humanité avec son environnement naturel et social, tel que Dieu l’a voulu. Pour cela, elle nous invite à écouter et à apprendre de leur spiritualité. La puissance de son espérance se reflète dans ses paroles : « Nous (les peuples des îles du Pacifique) ne coulons pas, nous combattons car la justice climatique est un combat qui affirme la vie. »

Pour Emaima, nous ne pouvons pas être réconcilié ou affirmer la justice si un peuple est exclu de la table décisionnelle. L’inconsidération de la Cananéenne par Jésus est une expérience trop souvent vécue par les minorités qui souffrent d’injustices.

Regardons la suite du récit et essayons de comprendre cette action de Jésus. Malgré le conseil de ses disciples, Jésus répond à la Cananéenne : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ». À ce moment du récit, Jésus voit la Cananéenne mais il ne la regarde toujours pas. Jésus considère la Cananéenne mais il ne l’invite pas au dialogue.

Samson Waweru Njoki, orthodoxe du Kenya, aveugle, a partagé son expérience en tant que minorité en Église et a terminé son discours ainsi : « Nous serons toutes et tous aveugles tant que nous ne pourrons pas voir que la personne à coté de nous a besoin d’aide. »

Voici exactement ce que Jésus vit dans notre récit. Aveuglé par son devoir de sauver les brebis de la maison d’Israël, il décide d’uniquement expliquer la raison de cet aveuglement à la Cananéenne. 

Ce récit exprime aussi ce que nous, en tant que disciples, avons fait et continuons de faire dans nos églises. Comme les disciples de Jésus, nous excluons nos sœurs et nos frères.

Les jeunes à l’Assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises ont porté, d’une voix commune, deux demandes aux chrétiens et chrétiennes.

La première était de reconnaître la participation des églises locales à l’exclusion de minorités. Pour les accompagner dans cette demande, les jeunes ont dénoncé la co-participation d’églises au colonialisme, au dérèglement climatique, au patriarcat et à de nombreuses autres injustices sociales.

La deuxième demande comportait des actions concrètes pour une réconciliation entre les minorités blessées et les églises. Parmi ses demandes d’actions dans nos Églises, il y avait : confesser nos péchés et offrir un espace de prise de parole adéquat pour les minorités.

Afin d’honorer les demandes de ces jeunes sœurs et frères en Christ, nous avons confessé nos péchés ce matin. Dans notre liturgie, nous avons confessé le bafouement de la création, car nous, vous et moi, en tant que membres de notre Église, ne prenons pas la responsabilité de radicalement changer nos habitudes pour le climat.

Nous avons confessé nos préjugés, car nous, vous et moi, en tant que membres de notre Église, nous continuons d’avoir des préjugés sur les personnes sans abri, sur les peuples indigènes et leur théologie, et sur tant d’autres individus.

Nous avons confessé notre désir de pouvoir, car nous, vous et moi, en tant que membres de notre Église, continuons d’ôter la parole aux jeunes pour imposer nos arguments.

Nous avons confessé la non-réception des dons de personnes en raison de leur genre, car nous, vous et moi, en tant que membres de notre Église, continuons à mettre les femmes et les hommes dans des cases remplies de stéréotypes injustifiés.

Autours de l’an 1550, Henri Bullinger affirmait dans sa quatrième décade, ceci : « Cette confession devant Dieu est nécessaire (…) car si nous ne reconnaissons notre corruption et notre injustice, nous n’appréhenderons jamais le Christ par vraie foi. » 

Le Christ donne la grâce, et par la confession de nos péchés, nous nous rappelons notre faiblesse humaine à tendre vers l’injustice plutôt que de combattre pour la justice. La confession des péchés nous rappelle la grâce reçue du Christ. La confession des péchés est signe du Christ qui se tient à nos côtés contre l’injustice.

Pourtant, le Christ est-il juste lorsqu’il prononce ces paroles à la Cananéenne : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens » ? On peut croire qu’il est injuste, et pourtant. De tout son entourage, il est bien le seul à répondre à l’appel d’aide de la Cananéenne. À ce moment du récit, un dialogue s’installe entre la Cananéenne et Jésus. La persévérance de la Cananéenne et l’écoute du Christ apportent une justice.

Aux versets 26 et 27, Jésus affirme qu’il donne son pain spécifiquement aux enfants et non aux petits chiens. À ce propos, la Cananéenne répond que les miettes de pain peuvent rassasier d’autres personnes.

À mon avis, le pain représente la grâce de Dieu. Par sa foi en Jésus Christ, la Cananéenne croit qu’elle peut aussi recevoir cette grâce. Au nom de sa foi, elle persiste afin que Jésus lui-même ouvre ses yeux sur l’injustice présente. Ensuite, il la reconnaît comme enfant de Dieu. Par sa persévérance et sa foi en Christ, elle dénonce une injustice.

Et porté par la foi de cette Cananéenne, Jésus a renversé la table. L’ancienne table rassemblait douze disciples hommes de la maison d’Israël. À la fin de ce récit, Jésus partage directement son pain avec une femme et une étrangère, une minorité, en guérissant sa fille.

Après avoir regardé en détail notre récit, reprenons notre question initiale. Pourquoi le duo de danseurs a-t-il décidé de louer cette Cananéenne ? Car elle a montré le chemin pour les minorités. Poussée par sa foi en Jésus-Christ, elle a dénoncé une injustice sociale. Porté par la foi de la Cananéenne, Jésus a déclaré la réconciliation de Dieu avec toute l’humanité en guérissant sa fille. Ce récit biblique, nous enseigne donc à agir comme le Christ. À être disposé à ouvrir nos yeux sur les injustices qui se vivent à coté de nous et loin de nous.

Agissons comme la Cananéenne et dénonçons les injustices au nom de notre foi en Christ. Agissons comme le Christ et répondons aux appels d’aide au nom de notre foi. Comme la Cananéenne et le Christ, proclamons une foi commune. Ainsi, nous nous disposons à ouvrir nos yeux sur des injustices.

Unis par la confession de foi, nous nous accueillerons à la même table. Unis par la proclamation du Symbole des Apôtres, nous travaillerons ensemble pour la justice sociale et la dignité humaine.

Écoutons la parole de Paul en Galates 3, nous ne sommes « plus qu’un en Jésus Christ ». Soyons à la même table, prêts à s’unir tel que Dieu l’a voulu.

Écoutons les récits des uns, des unes et des autres. Regardons-nous et reconnaissons la valeur et les dons de chacune et chacun.

Poussés par l’amour du Christ, acceptons les différences des uns, des unes et des autres.

Encouragés par la confession de foi commune que nous avons prononcée ce matin, confessons aussi une foi commune à travers nos actions.

Comme la Cananéenne, dénonçons les injustices faites à nos sœurs et nos frères. Qu’elles et qu’ils soient en Christ ou pas, plaçons-nous à leur côté. Asseyons-nous autour d’une table qui représente toute l’humanité et non simplement une partie d’elle.

Comme Jésus, ouvrons nos yeux et reconnaissons leur force et leur espérance.

Comme Jésus, assumons nos torts et unissons-nous avec eux dans la prière et dans l’action.

Amen.

Dans la continuité des dimanches précédents, nous abordons un thème discuté lors de l’Assemblée générale du Conseil oecuménique des Églises (réunie à Karlsruhe du 31 août au 8 septembre). Sur la question de la justice et de la dignité humaine, le COE retourne au texte de la Cananéenne, qui dénonce les structures sociales à travers le récit des miettes mangées par les petits chiens. Un appel aux chrétien.nes à écouter les voix marginalisées et à dénoncer les problèmes systémiques de nos sociétés, tels que les inégalités de genres et le racisme.  

Détails

Avec la participation de
Orgue
Vincent Thévenaz
Musique