Croire, pourquoi?

Temple de Courtelary (©Paroisses réformées de l'Erguël)

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Les textes de l’épître et l’évangile ce matin me semblent bien lointains. Le peuple d’Israël, le peuple élu, existe bien sûr toujours, mais les disputes entre judaïsme et paganisme, la rupture avec le judaïsme majoritaire, ne sont plus un sujet central dans notre Église. Je pourrai donc lire ces textes comme un témoignage, dès le début du ministère de Jésus, d’une divergence avec le courant majoritaire, un témoignage de l’origine et de l’originalité du christianisme.

C’est un peu vite oublier que notre tradition considère majoritairement que c’est désormais nous, le peuple élu. Cela ne va pas sans poser des sérieux problèmes quant à notre lien avec les juifs et juives et nous fait souvent toucher, voire franchir, la ligne de l’antisémitisme.

À ce problème interreligieux, s’ajoute un problème interne : si nous sommes désormais le peuple élu, nous sommes les juifs et juives de ces textes, car nous sommes les membres du groupe majoritaire ! Et dès lors, ce ne sont plus des textes historiques, mais bien des textes qui s’adressent à nous, dans notre situation actuelle. Sommes-nous vraiment si différents de ce peuple élu d’alors ?

Je crois que nous sommes bien similaires, bien que n’étant pas juives ou juifs, à la communauté décrite par Luc, assemblée à Nazareth, pour écouter Jésus, l’enfant du pays. Nous attendons, même si nous n’osons pas nous l’avouer si franchement, que les miracles, les signes nous soient donnés. Parce qu’historiquement, le christianisme vient d’Europe, de chez nous. Cela donne bien droit à quelques faveurs divines, pas vrai ? Surtout qu’en ce moment, nous en aurions bien besoin. 

Nous avons d’ailleurs pris l’habitude d’attendre des miracles dans d’autres domaines : que faisons-nous face à l’urgence climatique et à la crise sanitaire ? En majorité, nous espérons le miracle qui mettra fin au problème.

Cette vision du christianisme et surtout de l’agir de Dieu et de l’humanité est combattue tant par Paul que par Jésus. Chez Paul, il est rappelé que si une place de choix reste réservée aux juifs et juives, une place est aussi faite aux autres. Dans la bouche de Jésus, le message est plus tranchant: le peuple élu a certes des malheureuses et malheureux, il cite les veuves et les lépreux, mais Dieu choisit de se manifester, d’agir, ailleurs.

Ce discours sur un Dieu qui n’agit pas là où on le souhaite, où on l’attend, choquait déjà du temps de Jésus et Paul, il suffit de voir la réaction de l’auditoire à Nazareth.

Il reste choquant aujourd’hui, car il fait l’impasse sur toute idée du mérite, même par la foi. Avoir la foi ne donne pas droit à un miracle, à un signe de la part de Dieu. Pire, cela semble nous exclure de celles et ceux qui reçoivent des miracles.

Croire est-il alors vain? Après tout, tant Paul que Jésus rappellent que Dieu se laisse trouver par celles et ceux qui ne le cherchent pas, se révèle à celles et ceux qui ne demandaient rien. Mieux vaut-il donc, apparemment, ne pas croire, puisque cela revient au même, voire demande moins d’efforts et assure des miracles en retour.

C’est oublier que le miracle, le signe, ne fait pas la foi à lui seul. Qu’un signe alerte sur l’existence de Dieu et bouleverse le sens de la vie, soit. Mais que les signes soient nécessaires, qu’ils soient attendus avec angoisse ou – au contraire, prévisibles – et c’est la tension nécessaire à la relation qui disparaît.

Franz Rosenzweig, philosophe juif, l’écrivait bien à ce sujet : « Dieu ne veut que les libres parmi les siens ».

Une foi faite uniquement de miracles est une foi de contrainte. Dans une telle vision de la foi, nous ne sommes que des êtres passifs face à un Dieu tout-puissant qui fait ce que bon lui semble quand bon lui semble, quand bien sûr, il n’y a pas de règles très strictes pour acheter ses faveurs. 

Il ne faut pas oublier que les exemples que Jésus rappelle ne sont pas pris au hasard. Lorsque le peuple a eu trop confiance et s’est laissé entraîner à vénérer d’autres dieux et des idoles, Dieu n’a plus offert de miracles, car il n’y avait plus de confiance en lui. Plus exactement, il a offert un miracle au croyant sincère qu’est Elie, en fermant le ciel. À l’inverse, face à Naamân le Syrien et sa foi chancelante, Élisée est d’une grande générosité. 

Dieu nous surprend en se détournant quand nous le tenons pour acquis et en nous accueillant quand nous pensons ne pas le mériter. Dieu soutient celles et ceux qui croient en lui, celles et ceux qui cherchent la relation avec lui, acceptent de croire en lui malgré les doutes. Le doute n’a rien d’anormal dans cette relation. Il est fondateur de notre liberté, de notre humanité et, à ce titre, est aussi accueilli, pris en compte par Dieu.

Le doute, c’est vrai, nos Églises européennes en ont parfois manqué. Elles ont, dans leur orgueil, leur superbe et leur majesté, lu que c’étaient à elle d’aller apporter la connaissance aux « nations inintelligentes ». Ce faisant, elles se sont retrouvées complices du pire du colonialisme, à justifier l’injustifiable. Le doute aurait dû leur permettre de se demander si ce n’étaient pas plutôt elles, la « nation intelligente », ou à tout le moins le « peuple indocile et rebelle » plutôt que le peuple élu.

Ce que Paul écrit, c’est que quand Dieu agit loin de nous, il ne nous dénie rien. Il reconnaît notre intelligence et nous invite, à sa manière, à en faire usage. Il excite notre jalousie pour nous forcer à nous questionner et à donner le meilleur de nous-mêmes. Il nous met au défi et montre ainsi qu’il nous prend au sérieux.

En ce dimanche avant la semaine de l’unité des chrétiens, nous sommes invités à considérer les autres communautés et Églises non pas comme « inintelligentes », mais bien comme stimulantes pour notre réflexion, notre théologie, notre vie de foi. Et si nous devons garder une attitude critique face à certaines dérives populistes, nous sommes appelés à voir le bon dans ces autres Églises et à pouvoir y puiser le dynamisme, la force de vivre pour notre foi, notre paroisse, notre Église.

Croire, dans cette perspective, ce n’est pas rejeter les miracles. C’est à la suite de Jésus à Nazareth, déclarer que la Parole est accomplie. C’est prendre le risque de dire que Dieu agit, mais que son action ne justifie pas notre foi. Que nous sommes porteuses et porteurs d’un message d’espérance, d’une promesse déjà réalisée mais aussi encore appelée à se réaliser.

C’est un choix courageux dans une société habituée à la preuve, à l’efficacité. Annoncer un amour pour nous envers et contre tout, une confiance à toute épreuve, c’est osé. Ce n’est pas tomber dans cette idée de la religion « opium du peuple qui endort ».

C’est défendre une foi qui interpelle, réveille, vivifie. C’est renouer, même brièvement, avec le ministère prophétique, minoritaire de l’Église. Avec l’interpellation de la majorité, pour en stimuler l’intelligence. C’est oser le doute et prendre le risque de la foi, pour trouver sans cesse des sens nouveaux dans la relation à nous, aux autres et à Dieu.

Amen.

Prédications de la même personne

Il est souvent tentant pour nous d’attendre que Dieu fasse le premier pas, de le mettre au défi. Lui qui est capable de miracles, qu’attend-il pour sauver son Eglise et convertir le monde entier?

Paul et Jésus s’opposent à cette vision simpliste de la foi. Ils rappellent avec force que Dieu est autre et Tout-Autre. Ce faisant, ils nous posent un problème: à quoi bon croire?

Détails

Avec la participation de
Eliane Amstutz pour les lectures
Orgue
Marie-Louise Hoyer
Musique