Faire sa part et laisser faire

Temple de Rolle (©AUJ)

Écouter le culte :

Face à l’avenir, quel sentiment vous habite ? Est-ce la peur ? On craint ce qui va arriver, on redoute des épreuves, on se sent assailli par l’angoisse de catastrophes en cascades. Et alors on prévoit des assurances, on fait tout pour essayer d’éviter des malheurs. Ou on se laisse enfermer dans immobilisme angoissé.

Est-ce la perspective d’un soulagement ? On croit qu’à l’avenir, la vie sera plus douce. On mise sur les progrès scientifiques, on se réjouit du temps où Dieu mettra un terme au malheur – quitte à relativiser les problèmes actuels.

Ou face à l’avenir, est-ce un sentiment de responsabilité qui vous habite ? On se sent responsable de l’avenir des générations futures, on lutte, on s’active jusqu’à l’épuisement.

Ou bien est-ce une joyeuse insouciance ? Ou de l’indifférence, une mise en retrait ? Ou encore, un fatalisme, voire du cynisme : fichu pour fichu, autant penser à soi, ne se soucier ni de rien ni de personne !

Les chrétiens des premiers siècles aussi se demandaient aussi comment envisager le futur. Au début, ils imaginaient que le Christ allait venir tout soudainement établir son Royaume : ils en avaient hâte, avaient peut-être un optimisme radical en un avenir doré qui leur permettait de relativiser les difficultés quotidiennes. Mais les années passent, le Royaume de Dieu n’est toujours pas établi. Alors ils guettent la résignation, le fatalisme, voire l’indifférence : Jésus-Christ est venu sur terre, il est mort et ressuscité. En fait, est-ce que ça change concrètement quelque chose dans notre quotidien ?

« Depuis que nos ancêtres sont morts, tout reste dans le même état qu’au début de la création ». Voilà le discours de certains contemporains de la lettre de Pierre. C’est de la résignation, du fatalisme. D’un point de vue objectif, effectivement, le monde n’a pas été transformé ; les humains n’ont pas muté, des injustices sont toujours présentes. Les générations se succèdent, mais fondamentalement, l’humanité reste semblable à elle-même. D’un côté les humains sont capables de choses fantastiques, de grands et beaux projets, d’entraide, de réconciliation, mais de l’autre l’humanité a toujours tendance à générer de la méchanceté. 

L’épître pointe en particulier une constante : notre monde est toujours aussi injuste. Malgré tous les efforts en termes de progrès social, malgré les millions investis dans la lutte contre la pauvreté, les injustices font toujours autant partie du tableau. Même si l’on essaie de rebâtir une société sur des bases plus justes, elle ne tient pas longtemps la route.

Pourtant, si l’on regarde de plus près, on observe des changements. Aussi bien que Pierre décrète : « Le monde d’alors a disparu ». Car nous ne vivons plus dans le même monde qu’autrefois. Il y a eu des progrès dans certains domaines, dans le traitement de certaines maladies, ou encore des efforts pour une meilleure équité entre hommes et femmes. Mais les défis d’aujourd’hui ne sont pas tout à fait ceux d’hier : la dépendance grandissante à internet, la disparition rapide d’espèces vivantes, la longue crise sanitaire du coronavirus, le dérèglement climatique, la désertion des églises, et j’en passe.

Au niveau personnel, pour chacun, le monde d’alors n’est pas le même que le monde d’aujourd’hui. Autrefois nous avions des amitiés, des contacts, qui n’existent plus aujourd’hui. Nous avions certains liens familiaux, qui se sont modifiés. Notre monde d’enfant a disparu. Parfois, c’est même notre monde des valeurs et des grandes idées qui a changé, qui a évolué avec les années.

Le monde d’autrefois a disparu, notre monde actuel est toujours aussi injuste, et notre monde actuel va aussi disparaître. Notre monde-là n’est pas non plus éternel, et il aura une fin. Notre monde personnel d’aujourd’hui va disparaître, c’est certain (amitiés, situations professionnelles qui évoluent, etc). Même notre planète n’est pas non plus éternelle.

À certains égards, l’épître de Pierre peut nous étonner, voire nous choquer. En effet, le texte que nous avons entendu utilise une symbolique très forte. Pour dire cette fin du monde, il parle d’un jugement dévastateur pour les injustes, d’une destruction violente des éléments.

Aujourd’hui, ce n’est plus forcément une représentation qui nous est familière. Mais l’idée d’une catastrophe violente, d’une destruction de la planète à cause des fautes humaines n’est pas non plus totalement étrangère à notre société : dans certaines représentations du dérèglement climatique, on imagine aussi des catastrophes destructrices en conséquence du mauvais traitement infligé à la nature par les humains.

Je ne vais pas entrer ici en discussion sur les différentes représentations de la fin du monde. Ce qui nous intéresse en revanche, c’est de donner un éclairage spirituel à ces préoccupations, à l’aide de la lettre de Pierre et de l’Évangile.

Car Pierre nous met tout d’abord en garde : ne prêtons pas à Dieu de mauvaises intentions ; n’imaginons pas que Dieu veut faire mourir tous les humains pour les punir de leurs fautes, mêmes si les fautes sont réelles ! « Le Seigneur fait preuve de patience envers nous, voulant qu’aucun ne se perde, mais que tous parviennent à un changement de vie, à la repentance. » Dieu ne veut pas notre malheur. Dieu ne veut pas que nous mourions dans l’angoisse et la catastrophe.

De plus, gardons-nous de trop fantasmer sur cette fin du monde, n’élaborons pas de calendrier de l’effondrement. « Pour le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. » Le temps tel qu’il est conçu par les humains est différent du temps de Dieu. L’histoire humaine n’est pas l’histoire de Dieu.

Nous l’avons évoqué, la lettre de Pierre intègre des éléments violents : « le ciel et la terre actuels sont gardés pour le feu, réservés pour le jour du jugement et de la perte des pécheurs », ou encore, « le ciel disparaîtra avec fracas, les éléments embrasés se désagrégeront et la terre avec les œuvres qu'elle contient sera brûlée. » Mais que peut signifier cette violence ?

En réalité, la destruction violente du monde et le jugement des injustes expriment fondamentalement le souci de justice. Les choses mauvaises, ce qui fait du mal, ce qui divise, ce qui blesse, ne doivent pas continuer d’exister. Les injustices doivent cesser. Le jugement, c’est donc une manière de dire que les injustices doivent être reconnues comme telles, et stoppées.

De plus, toute fin d’un monde comporte une part de violence. La fin d’un monde personnel, même si c’est le début d’une période heureuse qui commence, ne va pas sans douleur. La fin de la vie dans le ventre maternel pour le début de la vie à l’air libre est passage difficile et ne va pas sans cris. Le début d’une nouvelle étape de vie, malgré toutes les promesses de bonheur qui y sont associées, n’annule pas les douleurs : il y a des pertes. Quand on change de travail, on perd la relation de proximité avec les collègues ; quand on déménage, on perd son cadre de vie, on est séparé d’anciens amis. Et même si les perspectives de la nouvelle vie qui commence sont réjouissantes, le changement peut faire mal.

Car la fin d’un monde, c’est le début d’un nouveau monde. La douleur du changement, la violence ressentie n’est pas l’objectif. Au contraire, c’est un passage vers un monde meilleur qui commence.

Et voici comment est décrit ce monde meilleur : « un nouveau ciel et une nouvelle terre où la justice habitera ». C’est le Royaume de Dieu, c’est le Royaume de la justice. Pierre dit que ce nouveau monde de justice est une promesse. C’est donc une question de confiance, et cette confiance s’oppose à la résignation, au fatalisme et aux angoisses qui enferment.

Mais du coup, on fait quoi ? Si, de toute façon, Dieu établit son Règne de manière tout à fait souveraine, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on attend, béatement, que ce jour vienne ? Ou bien à l’autre extrême, on considère que le Règne de Dieu dépend uniquement de nous, et on s’épuise à la tâche en se noyant dans la culpabilité de ne jamais en faire assez ?

Non. Délivrés du souci de l’après, nous pouvons nous occuper de la réalité. Ayant confiance en Dieu qui établira son Règne, nous pouvons être disponibles pour prendre soin de la création et de ceux qui souffrent.

À ce propos, la parabole de l’Évangile nous oriente.

Le Royaume de Dieu, c’est le nouveau ciel et la nouvelle terre où la justice habitera. Le Royaume de Justice de Dieu, c’est comme quelqu’un qui jette une semence en terre. Et cette semence pousse sans qu’il ne sache comment, de jour comme de nuit. Et à un moment donné, le cultivateur se remet au travail, pour la moisson.

Le Royaume de Dieu est en germe : ni inexistant, ni déjà formé. Ce nouveau monde de justice n’est ni tout à fait absent de notre monde actuel, ni tout à fait présent. Le monde de justice n’est ni complètement pour maintenant, ni totalement relégué à un au-delà qui nous dépasse. Le nouveau monde de justice, le Royaume de Dieu, est en germe, déjà maintenant.

Alors, le travail pour la justice, c’est maintenant déjà. La mobilisation pour davantage de respect pour l’humanité et la planète, c’est déjà maintenant que ça se joue. La lutte pour la justice, les efforts pour un monde meilleur, c’est actuel ! Car ce sont les germes du Royaume, ce sont les semences du ciel et de la terre nouvelle ! C’est donc indispensable.

Cependant, la parabole met des garde-fous à l’activisme frénétique : il y a des moments où la personne qui a semé la semence ne fait plus rien ; qu’elle dorme ou qu’elle reste éveillée, cela ne change rien. Qu’elle s’active ou qu’elle se repose, c’est la même chose : la plante pousse toute seule.

Avez-vous déjà essayé de tirer sur un brin d’herbe ? Cela ne fait pas pousser la plante plus vite ; au contraire, cela la déracine. Parfois, en voulant faire, en voulant s’activer alors que ce n’est pas le moment opportun, on déracine, on produit le contraire du résultat espéré. Car la pousse de la plante ne dépend pas uniquement du cultivateur, il ne porte pas tout sur ses épaules. En effet, après avoir semé, il passe le relais. Et c’est la terre qui poursuit le travail : c’est la terre qui d’elle-même produit le fruit, d’après la parabole.

Ainsi, à certains moments, le cultivateur travaille, avec sérieux et engagement. Puis il passe le relais à la terre et peut lui-même se reposer. Enfin, il saisit le bon moment pour se remettre au travail. C’est la moisson, il sort la faucille, il ne recule pas devant le travail.

Ici, au Cœur de la Côte, c’est le moment des vendanges : là aussi, les vignerons et les ouvriers ne reculent pas devant le travail. Ce sont des jours intenses, où le travail est effectué avec sérieux.

Il y a des moments pour travailler sérieusement, avec confiance. Et il y a des moments où il faut laisser le travail à d’autres, se reposer. Car en tout temps, nuit et jour, la croissance du nouveau monde de justice se poursuit, le Royaume de Dieu se développe.

Et vous, vous en êtes où ? Est-ce que c’est le moment de travailler, est-ce qu’il est temps pour vous de semer des actes de justice ? De lancer à la terre des actes de compassion, de solidarité, d’amour ? Ou est-il temps pour vous de vous reposer, et de laisser mûrir ce qui est déjà semé ?

Amen. 

Face aux grands défis climatiques et sociétaux de notre temps, les réactions se scindent parfois entre l’indifférence et la peur, l’activisme effréné et l’espérance passive.

En comparant le Royaume de Dieu à un cultivateur qui sait travailler et attendre, Jésus nous propose une démarche loin des oppositions, où l’action et la patience confiante coexistent.

Détails

Avec la participation de
Jacques-Etienne Deppierraz, pasteur, pour la liturgie, Gérald Macchi pour les lectures
Orgue
Jean-Pierre Hartmann
Musique
Ensemble vocal Amaryllis, sous la direction de Christine Mayencourt