Quand trouver c’est avoir mal cherché

Temple de Vers-l'Eglise, Paroisse des Ormonts-Leysin

Écouter le culte :

Ecoutez Jonas raconter ses malheurs à un marchand de figues

Au début j’ai vraiment cru que c’était une blague ! Moi qui le connais bien Dieu, je sais que c’est un grand farceur ! Me demander d’être son porte-parole à Ninive… la ville détestée de tous ! Le symbole du péché ! Et puis quoi encore !

Il voulait que je les prévienne de sa destruction prochaine, que je donne un délai.  Inutile de perdre son temps en avertissements : foudre, tremblement de terre et épidémie et on en parle plus. Pas besoin que j’aille là-bas pour détruire cette ville. Il peut le faire du ciel s’il le veut ! Mais je vois clair dans son jeu. Je vois bien que ce délai de 40 jours cache un truc du genre : « Je ne veux pas la mort du pécheur mais la fin du péché. » Gna, gna, gna… Qu’est-ce qu’il m’énerve quand il dit ça !

Eh bien, vous savez quoi ? Je ne vais pas y aller, c’est scandaleux ce qu’est en train de faire Dieu. Non, moi, j’ai été éduqué dans l’idée que nous étions le peuple élu et qu’il ne fallait pas fréquenter l’étranger, qui plus est, les habitants de Ninive. Ho hé, réveille-toi, ce sont nos ennemis, ils nous ont envahi, ils n’ont eu aucune pitié pour nous !

Moi, c’est bien simple. Si Dieu veut s’adresser à ces gens, qu’il y aille lui-même ou qu’il envoie quelqu’un d’autre. Tiens, pourquoi pas Job ? Il n’a plus rien à perdre lui ! Si Dieu veut que j’aille vers l’est, eh bien moi, j’irai vers l’ouest !

Comprenez-moi bien : Dieu, lui, il est au ciel, il ne sait pas comment ça marche sur terre. Il y a trois choses qui intéressent les humains : c’est leur santé, leur famille et avoir de quoi nourrir la maisonnée. Et comme ils ont peur de perdre l’un ou l’autre de ces trois piliers de la vie ils cherchent un protecteur. Ils cherchent à se mettre sous la protection du plus puissant des dieux. Ils cherchent un Dieu capable de les protéger, c’est tout.

Le contrat entre Dieu et les humains est simple. Les humains obéissent aux règles et aux lois, ils font quelques sacrifices par-ci, par-là ; Dieu de son côté fait sa part de boulot ! Il détourne le malheur des personnes réglos et il le fait tomber sur le méchant. Comme ça c’est juste !

Bon parfois la frappe n’est pas trop chirurgicale et le malheur tombe quand même sur un gars bien, comme mon ami Job – pas de chance… Encore que je suis allé le voir avec quelques amis pour lui dire que certainement, pour qu’il perde tout d’un coup, il devait avoir fait un truc pas clair dans sa vie. Je ne sais pas, quelque chose qui aurait mis Dieu en colère. Et si ce n’est pas lui c’est peut-être quelqu’un de sa famille. Enfin ce n’est pas le problème.

Le problème, c’est que si Dieu maintenant ne punit plus le méchant comme il se doit, s’il ne manifeste plus son jugement par la destruction, à quoi bon respecter la loi et les règles, c’est tout le système qui risque d’en prendre un coup. Et ce sera Dieu le responsable ! C’est lui qui aura déchiré le contrat ! Toute compassion pour Ninive, tous délais sont déjà des signes de mollesse. Les humains ont besoin de savoir que Dieu punit le méchant et protège le juste ! Il n’y a que ça de vrai ! Après c’est le chaos !

Bon, ce n’est pas tout ça… je parle, je parle, mais j’ai un bateau à prendre, moi ! Adieu !

 

Je voudrais vous raconter comment nous, les marins, nous avons vécu cette histoire

Nous sommes partis de Jaffa après avoir fait le plein d’étoffes, de nard, de vin, d’épices, de dattes… enfin, la cargaison habituelle. Il y avait des passagers aussi bien sûr. Nous devions passer par quelques ports de commerce avant de mettre le cap sur Tharsis.

Au départ, tout s’est bien passé : bon vent, belle mer. Mais voilà qu’au deuxième jour, nous avons été surpris par une tempête d’une rare violence. Elle est arrivée d’un seul coup ! Très vite nous avons été débordés, des paquets de mer déferlaient sur le bateau, le bois craquait.

Nous les marins, nous vivons pour ainsi dire toujours dehors et nous savons que tout se tient : les étoiles nous guident, le soleil nous donne l’heure, la forme des nuages nous parle du temps, les oiseaux signalent la terre proche, les poissons nous avertissent des courants. Bref, nous sommes connectés à la nature et au Dieu créateur qui maintient les grands équilibres. Tout est langage, message, signe. Et là nous avons compris que si la nature était en colère, c’était qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond quelque part.

Alors nous avons prié les Elohim ! Chacun appelle les dieux d’un nom différent mais je peux vous dire que dans ce genre de situation cela nous importe peu. Nous avons prié, mais il ne s’agit de joindre les mains en se croisant les bras alors nous avons commencé par jeter par-dessus bord les ballots de laine, les peaux de mouton et même quelques amphores de vin de Phénicie.

C’est en remontant le fret de la cale que nous l’avons trouvé. Il dormait profondément. C’était incroyable qu’avec tout ce raffut, quelqu’un puisse dormir ! Je l’ai donc réveillé et interrogé. Il nous a dit s’appeler Jonas et être juif et qu’il allait à Tharsis pour fuir le Dieu, maître du ciel et de la terre. Comment peut-on le fuir, Dieu ? Il est partout et en tout ! C’est ridicule !

Mais ce qui était vraiment nouveau pour nous, c’était que son Dieu semblait le connaître, lui, personnellement ; tenir à lui. Il avait besoin de lui pour une mission particulière.

Nous étions surpris qu’un Dieu puisse connaître les humains par leur nom, qu’il puisse s’adresser à une personne, lui donner une mission particulière. Jonas devait se sentir important d’être connu comme cela. Nous pensions qu’il n’y avait que les rois qui avaient ce privilège.

Jonas devait donc aller dire aux habitants de Ninive que Dieu voulait les sauver de leur méchanceté et qu’il fallait qu’ils changent de style de vie. Ça aussi, c’était nouveau. Dieu ne veut pas détruire ses ennemis, mais les sauver !

Nous ne voulions pas sacrifier un tel homme, alors nous avons sacrifié nos richesses en vidant le bateau et nous avons ramé dur. Comme la situation empirait, nous avons compris que nous ne pouvions pas, nous non plus, aller contre sa volonté. Nous avons jeté Jonas à l’eau comme il nous a dit de le faire. Et le calme est revenu ! L’équilibre était rétabli !

Nous avons compris que Yahvé était le Dieu qui fait attention à chacun – à ses amis comme à ses ennemis. Le Dieu qui a besoin des humains pour réaliser ses projets. Qui sait, peut-être qu’en lui rendant Jonas, nous avons participé à son œuvre dans le monde.

 

Ecoutez le roi de Ninive

À ce qu’il paraît, je n’ai pas très bonne réputation. Je ne respecterais ni le droit ni la justice. Mais je suis le droit et la justice ! Je n’aurais aucune considération pour la paix et pour la vie en général. Mais c’est totalement faux ! Prenez la vie d’un esclave, par exemple. Vu ce qu’il coûte, je peux vous dire qu’il m’est extrêmement précieux ! La paix aussi est très importante pour moi : c’est pour cela que je veille à éliminer tous mes ennemis ! Il y n’a qu’une seule loi qui compte dans ce monde, et que tout le monde accepte, c’est la loi du plus fort, et le plus fort entre le Tigre et l’Euphrate, c’est moi !

Jusqu’à ce matin, ma vision du monde était assez simple, mais voilà que mes informateurs me signalent qu’un prophète parcourt la ville en hurlant : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite. Parole du Seigneur. » On me dit que ce prophète de malheur serait un juif du nom de Jonas, et que jamais, au grand jamais, on n’a entendu dire qu’un prophète était sorti d’Israël pour délivrer un message de la part de ce Dieu-là à un autre peuple.

Soi disant, il a fait alliance avec Israël et avec lui seul. Les autres peuples ne l’intéressent pas. Mais alors qu’est-ce qu’il vient faire ici, Jonas ? Pourquoi vient-il nous apporter un message de la part de son Dieu ?

Si c’était un royaume ennemi qui me menaçait de destruction, je rigolerais. Mais là, je vous le dis, je suis troublé. D’autant que mes conseillers attirent mon attention sur quelques signes.

D’abord il y a la faiblesse de cet homme que je pourrais écraser comme un moustique. Mais un homme qui porte un message très puissant : annoncer la destruction de Ninive, ce n’est pas rien ! Et puis il y a son nom, Jonas, qui veut dire colombe. Un symbole de paix qui prophétise la fin de mon règne ? J’ai tendance à voir ce Jonas comme un de mes guetteurs sur mes murailles. Il voit la destruction arriver alors il me prévient parce que je peux encore faire quelque chose pour nous sauver tous. Mais quoi ?

La nuit, quand je réfléchis à la vie, et que l’angoisse m’étreint, j’ai l’intuition que des puissances m’environnent et que je suis bien peu de chose en réalité. Je vois bien que le cycle des saisons, l’incroyable équilibre de la nature, le mystère d’une graine en terre, tout cela me parle d’une puissance bien plus importante que tout ce que je peux imaginer, que tout ce que je peux représenter.

Alors qui sait ? Je devrais peut-être écouter ce Dieu protecteur de tout ce qui vit quand il dit que l’injustice, la violence, le manquement au droit est une injure à ce qu’il est. 

Qui sait ? Certainement faut-il que nous changions notre manière de vivre, car là, ça ne va pas ! Les gens ne sont pas heureux, la violence est partout, tous recherchent la richesse à tout prix et forcément les gens vivent avec la peur aux tripes.

Mais oui, c’est ça ! J’ai trouvé : Jonas n’annonce pas la destruction pour demain, il dit juste que ma ville est déjà en ruine. Il dit ce qui est et non ce qui sera. Ce qu’il annonce, c’est la nécessité de reconstruire la ville sur d’autres bases.

Pour avoir un avenir, il faut repartir de notre origine en reprenant conscience de notre destination. Notre origine, c’est la poussière et notre destination, c’est la poussière. C’est ça la vérité : nous sommes fragiles, mortels. Je vais commencer par prendre le sac et la cendre, ce sera un bon point de départ…

 

Pour conclure

Je voudrais relever trois points communs entre les marins et le roi de Ninive, et forcément, Jonas arrive en contrepoint. Les marins disent « peut-être », le roi de Ninive dit « qui sait ». Leur monde n’est pas verrouillé : tout est toujours possible… même la manifestation d’un Dieu autre, même le surgissement d’une parole dérangeante. Les marins et le roi de Ninive sont disponibles pour accueillir un Dieu qui sans cesse ouvre de nouveaux chemins.

Jonas, lui, sait. Il sait. Et son savoir se traduit par une fermeture aux autres et à Dieu. Il sait, et rien ne peut plus le surprendre, rien d’inattendu ne peut déranger son monde clos. Il a enfermé Dieu en des lieux et des langages.

« Qui cherche trouve », dit l’Évangile. Oui, mais parfois, celui qui a trouvé a mal cherché ! Malheureusement pour lui, Jonas a la certitude d’avoir trouvé. Rien de nouveau ne pourra le ressourcer, le sauver. Seuls les « peut-être » et les « qui sait » peuvent nous garder vivants, à l’écoute du monde, des frères et des sœurs et de Dieu lui-même.

Nous aurions tort de croire que cette suffisance manifestée par Jonas guetterait plus particulièrement les croyants. Oh que non ! Chacun est tenté de se refermer sur son petit monde de certitudes. La société se polarise de plus en plus à cause de quelques Jonas qui prennent en otage des questions aussi importantes que l’écologie, la sexualité, l’alimentation, le genre. Les légalistes et les moralistes font leur grand retour et signe des temps, tout trait d’humour risque de devenir sacrilège.

Mais, au-delà des « qui sait » et des « peut-être », il y a encore deux autres points communs entre les marins et les habitants de Ninive.

Ils ont une grande conscience de la condition humaine. Loin des aveuglements et des illusions ils se savent fragiles et mortels. La sagesse s’enracine dans cette réalité-là : nous ne sommes que de passage. Une bonne partie de la folie humaine s’enracine dans ce refus d’assumer l’éphémère de l’existence.

L’autre point commun, c’est cette capacité à se remettre en question, à changer de repères, cette mobilité intellectuelle et spirituelle qui pousse à changer de style de vie.

Marins et roi de Ninive sont des exemples des qualités fondamentales que les écrivains bibliques mettent en avant : l’ouverture à la nouveauté, la conscience de la fragilité et la capacité de changement. Et tout cela est au service de la vie ! Il faut sauver l’humain de lui-même, de sa folie ! S’il y a une ligne directrice claire dans ce texte de Jonas, elle est là.

Tout ici nous parle d’un Dieu qui fait attention à chacun, au bon comme au méchant. Il désire protéger la création dans son ensemble du chaos toujours menaçant. Donner du sens à l’existence, construire une histoire commune, protéger celui qui court à sa perte. Il veut le bonheur pour tous dans un monde réconcilié.

A tâtons peut-être, sans ligne de conduite forcément très claire, marins et habitants de Ninive vont rechercher ce qui est juste. Sans le savoir ils vont mettre leurs pas dans ceux d’un autre prophète, Michée, quand il dit : « Dieu vous demande seulement de respecter les droits des autres, d'aimer agir avec bonté et de suivre avec soin le chemin que Dieu, vous indique. »

Dieu a foi en l’humanité, il est le Dieu de l’espérance. C’est pour cela, qu’inlassablement, il envoie des hommes et des femmes comme porte-parole parce que, « qui sait » : un jour le droit des autres deviendra le minimum humain.

« Qui sait » : un jour les hommes et les femmes aimeront agir avec bonté.

« Qui sait » : l’humain acceptera un jour de suivre avec soin le chemin que Dieu indique en Jésus le Christ.

Amen !

Qui cherche trouve, mais parfois celui qui trouve a mal cherché! Alors que Jonas sait, les marins disent «peut-être», et le roi de Ninive pense «qui sait»... Mais au-delà des idées préconçues, des croyances et des dogmes, Dieu ne cherche qu’une chose: nous sauver la vie!

Détails

Avec la participation de
Claire-Lise Schwarz, Marianne Graf, David Von Felten et Bertrand Rochat pour les lectures
Orgue
Deirdre Kraege
Musique
Brigitte Kuhnert au hang