Le manque, une chance à saisir?

©Alexandra Urfer Jungen

Écouter le culte :

Chers frères et sœurs en Christ,

Un peuple marche dans le désert. C’est ardu, c’est long. Le peuple a soif, il fait si chaud. Le peuple a faim, ces lieux sont si arides. Le peuple est en manque. Il en souffre. Son avenir est incertain. Et presque naturellement, des murmures commencent à s’élever, non seulement contre les chefs, contre les décideurs, mais aussi contre Dieu. « Tu fais quoi là-haut ? pourquoi tu nous laisses dans cette situation de manque profond ? »

Ce peuple dans le désert, c’est bien sûr en premier lieu le peuple hébreu, lui qui ayant quitté l’esclavage d’Égypte, n’est pourtant pas encore arrivé en terre promise. Il est dans un entre-deux incertain, plein de dangers. Au présent, le peuple doit affronter un manque grave, le manque d’eau. Au fond, il a peur.

Comme nous, aujourd’hui, peuple qui prenons conscience que nous y sommes encore, dans ce désert incertain de la Covid. Que de similitudes en effet avec la situation actuelle : l’entre-deux, l’incertitude, la nostalgie peut-être aussi, et surtout en lien avec cela – le manque. Car ce thème du manque résonne fortement pour nous dans cette période pandémique. Manque de moments conviviaux, manque d’argent, manque de perspectives, mais aussi au quotidien, manque de se toucher, simplement, manque de se faire des becs, comme on dit, manque de tout ce que ce fichu virus nous empêche de vivre.

Et comme le peuple d’Israël, nous aussi sommes tentés de murmurer, critiquer, enguirlander, à la fois nos chefs, nos décideurs, et à la fois peut-être plus en profondeur, Dieu : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? » Autrement dit, est-il vraiment avec nous ou nous a-t-il abandonné, nous son peuple bien aimé ?

Serions-nous aussi en train de mettre Dieu à l’épreuve comme l’a fait le peuple d’Israël dans le désert, devant nos manques, en demandant à Dieu : « Donne-nous de l’eau à boire ! » ou pour nous : « Donne-nous des rassemblements et de la convivialité ! Donne-nous de la culture et des spectacles ! Donne-nous des câlins et des becs ! Donne-nous… de ne plus être dans le manque ! »

Parce que le manque, il nous fait peur. Bien sûr, il y a la peur de manquer, si présente dans notre société d’après-guerre, tellement présente qu’elle en est devenue une société du trop plein : consumérisme, matérialisme, abondance de biens, et pas uniquement en ce qui concerne la nourriture, mais de biens matériels aussi. Mais derrière cette peur de manquer se cache peut-être aussi une certaine angoisse de la mort. J’ai peur de manquer car le manque me conduirait, c’est mon angoisse, à la mort.

Et pourtant, avec le manque qui est donc un « moins », n’y a-t-il pas un « plus » aujourd’hui pour nous ? Ce passage certes contraint par le manque peut-il mener à des aspects positifs ? Autrement dit, le manque peut-il être une chance ?

Le manque est aussi une thématique qui saute aux yeux dès les premiers versets du Psaume 23 dont une lecture juive éclaire la signification à travers le jeu des nombres. Figurez-vous en effet qu’en hébreu, les 57 mots du Psaume 23 sont l’équivalent numérique du mot « nourriture ». Et les 227 lettres de ce Psaume correspondent au mot « bénédiction ». Autrement dit, le Psaume 23 est pour celui qui le prie, à la fois nourriture et bénédiction.

Car force est de constater que le manque ne peut pas se comprendre sans la nourriture et la bénédiction. Le manque, c’est en quelque sorte l’essentielle case vide dans le jeu de nos existences. Vous connaissez ce jeu carré où l’on doit déplacer les pièces pour les remettre dans l’ordre. Sans le vide, sans la pièce qui manque, impossible de bouger, impossible de changer. Nous avons donc besoin du vide, du manque, pour, d’une part, évoluer, grandir parfois, et d’autre part, pour y découvrir les bénédictions que Dieu nous donne. Car sans manque, si nous n’avons pas faim, il est difficile de connaître la réalité des bénédictions présentes dans nos vies.

C’est d’ailleurs le difficile message que Jésus adresse à ce jeune homme riche qui s’agenouille devant lui, signe qu’il est bien en quête de quelque chose : la chose qui lui manque, c’est justement… le manque !

L'homme lui répondit : « Maître, j'ai obéi à tous ces commandements depuis ma jeunesse. » Jésus le regarda avec amour et lui dit : « Il te manque une chose : va vendre tout ce que tu as et donne l'argent aux pauvres, alors tu auras des richesses dans le ciel ; puis viens et suis-moi. »

Pour le jeune homme riche, le manque est considéré négativement. Il lui fait peur, tellement qu’il finit par lâcher l’affaire. Mais ce que le Christ indique, c’est que pour se mettre à sa suite, et vivre réellement la confiance, le manque est nécessaire. Car la pauvreté, ou le manque, aurait permis au regard de l’homme de changer. Il n’aurait plus été cantonné dans sa jeunesse, sa richesse et sa vertu, mais il aurait pu ouvrir les mains et entrer dans une relation de partage et de confiance.

L’hymne ancien présent en Philippiens 2, versets 6 et 7, ne dit pas autre chose du Christ :

Lui qui est de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes

Le Christ s’est dépouillé, littéralement « vidé », prenant la condition de serviteur.

J’aime cette image du dépouillement du Christ comme une invitation pour nous aussi au dépouillement, dans une société du trop plein. Car à travers le vide, le silence, le manque, la vie dépouillée permet à la fois de se décentrer, de prendre du recul sur sa vie, sur ses problèmes secondaires, mais aussi de se recentrer : sur l’essentiel, sur le sens de sa vie, sur sa relation à Dieu.

En fait, ce chemin de dépouillement et de simplicité permet, par le chemin de l’humilité, un changement de perspective sur le manque : celui-ci n’est pas que négatif, au contraire, il nous ouvre à une vie autre, plus simple peut-être, qui ouvre à la confiance et nous permet de découvrir de nouvelles ressources, de nouvelles sources de bénédictions que nous n’avions peut-être pas remarquées avant.

Oser, dans le manque, la confiance pour découvrir de nouvelles ressources, c’est ce je redécouvre cette semaine, comme je l’ai déjà fait plusieurs fois par le passé, en vivant une semaine de jeûne en groupe. Oui dans le jeûne, comme l’a dit Jennifer tout à l’heure, alors que nous devenons physiquement plus faibles, alors que nous manquons de nourriture, nous découvrons d’autres ressources en nous, insoupçonnées, comme miraculeuses. Dans la confiance face à ce jeûne qui me semblait au début être un défi insurmontable, eh bien de nouvelles énergies se font sentir. Comme par miracle. Ainsi dans le jeûne, face au manque, le miracle du Dieu Berger qui pourvoit est bel et bien à l’œuvre.

Alors chers frères et sœurs, à contre-courant des plaintes et des murmures de la société actuelle, l’Évangile vient nous questionner aujourd’hui : et si le manque était une chance ? Une chance d’ouvrir les yeux sur les bénédictions de Dieu déjà présentes, sur une plus grande simplicité de vie empreinte de davantage de sens ?

Dans l’Exode, le dénouement miraculeux peut s’entendre comme une promesse : Dieu pourvoira. Dans ce récit de l’Exode, c’est par un miracle, étonnant et inattendu, qu’il pourvoit avec l’eau qui jaillit du rocher frappé par le bâton de Moïse. Nous aussi, nous recevons cette promesse que Dieu pourvoira à nos manques. Comment ? Nous ne le savons guère, peut-être par des chemins détournés et inattendus qui nous étonneront, mais Dieu y veillera.

En fait, c’est un peu la prière de l’enfant que nous devons retrouver, dans cette confiance du psalmiste :

Le Seigneur est mon berger, je ne manquerai rien.

Ou dans les mots de mon collègue Jean-Baptiste Lipp :

Je fais de Lui mon Responsable, Il s’occupe de moi, y compris de mes manques. Comme un père aimant, il ne nous oubliera pas, et même plus ! Et même si j’en viens à douter de Sa présence comme de Son existence, même s’il m’arrive de ne plus comprendre le sens de ma vie, je n’en fais pas un drame, Seigneur, car Tu es mon Accompagnant.

Puissantes paroles de confession de foi qui sont, je le crois, vraiment nourriture et bénédiction pour chacune et chacun.

Alors ce matin, chers frères et sœurs, c’est un message d’espérance que je vous apporte.

Au creux de nos manques, nous pouvons trouver de nouvelles ressources et même, peut-être, discerner les bénédictions que Dieu nous donne, dans une plus grande simplicité de vie, empreinte de davantage de sens ! Pour cela, nous, nous le peuple dans le désert incertain de la Covid, nous sommes invités à faire pleinement nôtre, la confiance du psalmiste avec ces mots :

Je fais de Lui mon Responsable, Il s’occupe de moi, y compris de mes manques.

En particulier de mes manques.

Amen.

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Témoignage sur le jeûne, de Jennifer Donzé

Si je suis là devant vous ce matin, c’est que mon ami et pasteur Benjamin Corbaz m’a demandé de faire un témoignage sur mon expérience du jeûne. C’est avec plaisir que je vous le partage.

L’aventure vécue en équipe avec d’autres jeûneurs, depuis plusieurs années déjà, me porte, me dynamise aussi bien sur le plan de la santé que sur le plan spirituel. D’ailleurs, plusieurs semaines avant de commencer, je ressens la nécessité de me disposer intérieurement. Parler à mon corps, lui demander son acquiescement : Es-tu d’accord ? Tes douleurs vont s’améliorer, tu le sais. On y va ?

En parler aussi dans la prière avec Dieu. Lui demander sa grâce et son soutien tout au long de la semaine. Oui car il s’agit bien d’une semaine, bien organisée et conduite par nos deux animatrices. Nous nous retrouvons chaque soir pour faire le point de la journée, partager, recevoir de la nourriture spirituelle du pasteur, en route avec nous. Cette année, nous nous retrouvons en vidéoconférence, une première. Non, la pandémie n’arrête pas la vie. Ni le cheminement intérieur d’ailleurs, ni les relations nourrissantes entre les personnes. C’est à nous qu’il appartient de veiller, de créer, d’inventer. Car Dieu est Vie.

Et vie il y a dans l’expérience du jeûne. Diminuer pour grandir. Élaguer pour donner du fruit. Être solidaire du manque partout où il sévit. « Le peu suffit », dit Jésus à Marthe. « Une sobriété heureuse », dit Pierre Rabbi. Tout cela, nous l’expérimentons à travers le jeûne.

Pourquoi chaque année, me diriez-vous ? Mais vous faites bien les nettoyages de printemps de votre maison, n’est-ce pas ? À plus forte raison, de notre corps et de notre esprit. Oui, car cet exercice est un nettoyage, en douceur, en profondeur, des tissus conjonctifs, des muscles, du sang et j’en passe tant les bienfaits du jeûne sont innombrables.

Je prends conscience combien mon brave système digestif est un travailleur assidu et fidèle. Lorsque nous choisissons volontairement de ne pas manger, il expérimente un repos bien mérité ; il nous en est reconnaissant et nous le montre. Dès le troisième jour mon sommeil s’améliore, la légèreté me rend visite, la clarté de ma pensée m’émerveille. L’énergie utilisée pour digérer est à présent disponible pour réparer les cellules de mes organes fatigués. Libérée aussi pour fortifier mon système immunitaire ; en réalité, pour prendre soin de mon être tout entier.

Mon désir de prier devient plus limpide, mon écoute de la Parole plus attentive. Ma présence aux autres plus vive. Au lendemain de Pâques, Jésus nous dit : « Ma paix soit avec vous. » Le jeûne est donc un chemin qui me prépare à la résurrection. Désencombrée, mon être est décidément plus ouvert pour recevoir Sa paix.

Et pour terminer, je vous partage un psaume d’action de Grâce « maison » que j’ai composé à la fin de ma semaine de jeûne en 2015.

Mon âme jubile !
Tu me fais reconnaître mon errance, tu me donnes la force de l’accepter avec humilité.
Si souvent je te quitte pour chercher une nourriture qui ne rassasie point !
Pour forger mes propres chemins de bonheur.
Mais toi tu ne me rejettes pas.
Tu redoubles de créativité pour me séduire.
Tu m’entraînes au désert, à l’écart du brouhaha, afin que j’éprouve la soif de toi.
Dans le jeûne, tu as ouvert mon oreille afin que j’écoute !
Tu parles à mon cœur avec force et douceur. Telle la cuillerée de miel quotidienne,
Ta Parole fait mes délices !
Je suis séduite par ta beauté, par ton amour et ta tendresse.
Oui tu me fiances à toi pour toujours, tu me donnes la fidélité.
Je suis heureuse !

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Adaptation moderne du Psaume 23 par le pasteur Jean-Baptiste Lipp

Je fais de Lui mon Responsable,
Il s’occupe de moi, y compris de mes manques.
C’est Lui qui vient casser mon stress
Et m’invite à m’arrêter au bord de la route ou de la rivière.

C’est Lui qui me donne le ressourcement,
Il m’inspire de bonnes rencontres et de bonnes lectures
Parce qu’Il est le Répondant de toutes les familles, générations et nations.

Et même si j’en viens à douter de Sa présence, comme de Son existence,
Même s’il m’arrive de ne plus comprendre le sens de ma vie,
Je n’en fais pas un drame, Seigneur, car Tu es mon Accompagnant.

Tu m’inspires, Tu me revendiques comme l’un des tiens,
Voilà ce qui me pose et me repose.
Face à ceux qui veulent ma peau,
Tu prépares une grande fête à mon honneur !
Tu m’accueilles en m’inondant de tendresse.
Tu accomplis mon existence à ras bord.

Oui, tous les jours de mon existence,
Je serai suivi – que je le veuille ou non – de Ta bienveillance
Sur chacun de mes pas,
Y compris mes faux-pas.
Seigneur, je resterai en lien avec Toi
Jusqu’à la fin de mes jours.

Amen.

La crise sanitaire que nous traversons actuellement s’apparente à une traversée du désert. Elle ouvre à la question du manque. L’expérience des groupes de jeûneurs vient éclairer cette thématique: le manque permet de s’ouvrir davantage à la présence de Dieu et au discernement de ses bénédictions pour nos vies. A l’image du Christ qui s’est dépouillé, ce dépouillement forcé ouvre à une plus grande simplicité de vie, qui offre un surcroît de sens. Face au manque, le miracle du Dieu berger qui pourvoit nous invite à la confiance: Le Seigneur est notre berger, nous ne manquerons rien.


 

Détails

Avec la participation de
Pierrick Cochand pour les lectures bibliques et le témoignage de Jennifer Donzé.
Orgue
Jacqueline Blanc
Musique
Ensemble d'accordéons, avec Roland et Maryline Spycher, Célia Cossy (11 ans) et Mélodie Cotting (11 ans)