N'ayez pas peur! L'énergie du gémissement

Temple d'Orzens (©Frédéric Burkhard)

Écouter le culte :

Chers frères et sœurs,

Oui nous avons peur.

En fait nous avions déjà peur avant le mois de mars – même si ça nous paraît faire une éternité – souvenez-vous, nous avions peur du réchauffement climatique, peur qu’une nature à bout de souffle ne tombe soudain en panne…

Depuis, cette peur qui était dans nos têtes, nos réflexions, est descendue d’un cran. Nous l’avons éprouvée. Nous avons vécu la panne de notre économie et nous sommes toujours dans ses conséquences ; nous avons eu peur et nous avons toujours peur : peur de mourir, de mourir déjà, de mourir de cette façon-là.

La peur paralyse. Je ne sais pas vous, mais au moment où nous pouvons à nouveau nous rassembler, je sens en moi qu’une rigidité s’est comme installée dans mon corps, des réflexes qu’il faudra ré-assouplir.

Mais la peur nous informe aussi. La plupart de nos émotions sont comme un tiroir à double fond. Et si nous choisissons d’écouter cette peur plus attentivement, nous découvrons aussi, plus au fond, son énergie : là où elle peut nous amener ailleurs.

Nous allons toucher ce que j’appelle l’énergie du gémissement en passant de la peur au gémissement. Ce mot de « gémissement », il est bien présent dans le passage de l’épître aux Romains que nous venons d’entendre :

« La création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. » (8, 22)

« Nous aussi qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement. » (8, 23)

« L’Esprit lui-même intercède en nous en gémissements inexprimables. » (8, 26)

Paul donne à ce terme de gémissement que nous n’aimons pas beaucoup, que nous associons volontiers à de la faiblesse, une valeur éminemment positive. Gémir est une expérience à la fois physique et spirituelle. Elle touche au souffle, encore un mot très présent dans ce que nous vivons avec la Covid-19. Un souffle qui tente par le canal de la gorge (le mot grec qui désigne le gémissement fait référence à cet organe) de passer, de livrer un son, d’exprimer quelque chose.

Paul situe ce gémissement dans la création, chez celle et celui qui s’ouvre à la vie de l’Esprit, Paul et ses destinataires, et en Dieu, dans la personne de l’Esprit Saint. C’est une expérience commune partagée : un co-gémissement ou pour le dire autrement un gémir ensemble.

Comment mieux que Paul exprimer ce que nous sommes en train de vivre en ce moment ? C’est précisément là où nous en sommes ! Une création en souffrance, écrasée, réduite à n’être plus qu’une ressource qu’on exploite ou qu’une nature qu’on traverse à toute allure, un paysage de vacances. Bref, un objet dont on s’empare.

Peut-être que dans le temps du confinement strict nous avons perçu que la création avait quelque chose à nous dire, qu’elle était depuis le commencement chargée d’énergies divines. Je pense à cet ami apiculteur, encore tout à sa surprise d’une récolte record pendant ces mois. Quand il remplissait ses bocaux, c’était aussi lui-même qui goûtait à cette générosité d’une nature qui reprend ses droits.

La création attend de nous quelque chose. Elle attend que nous soyons au bon endroit, que nous devenions ce que nous sommes destinés à être vraiment – et j’ajoute avec joie – des fils et des filles de Dieu, enfants et donc héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, dit Paul (8, 15-17). Des humains situés dans une relation vivante qui à la fois les limite et les féconde. Des fils et des filles, pas des dieux, pas des maîtres. Des héritiers, des personnes qui ont déjà et pas des accapareurs.

Et puis, nous gémissons, nous les humains. Notre mode de vivre, les valeurs qui nous habitent ne font pas le bonheur de tous. Ils ne résolvent rien. Ils augmentent l’injustice. On est en droit de se demander si la violence avec laquelle nous nous traitons, hommes, femmes, africains, asiatiques, et j’en passe, n’est pas la même que celle dont nous abusons à l’égard de la création. Cette violence touche les plus sensibles parmi nous, comme elle touche les milieux naturels les plus délicats menaçant notre diversité et notre richesse pour une monoculture, diversité des sexes, et c’est bon de le rappeler en ce 14 juin, et celle des races, pas seulement aux USA.

Nous gémissons aussi de ne pas être traité(e)s à notre juste valeur, mais selon notre capacité de rendement ou comme des agents de consommation. On en vient même aujourd’hui à nous culpabiliser de ne pas consommer assez !

Enfin, Dieu lui-même gémit par son Saint-Esprit en nous. C’est ainsi qu’il prie en nous. Car l’Esprit saint c’est aussi l’esprit de Jésus de Nazareth, celui d’un Dieu venu sentir, éprouver notre condition humaine au cœur à cœur, on pourrait dire aussi s’agissant du gémissement, au souffle à souffle. Un gémissement de l’Esprit saint qui vient soutenir et déployer notre propre gémissement pour le rendre fécond d’une nouvelle liberté.

Est-ce que nous entendons que ça gémit, autour de nous, en nous ; que notre prière gémit elle aussi ? Et que tout se rejoint maintenant ? (Luc 12, 56)

Est-ce que nous pouvons entendre ce gémissement au bon niveau sans l’écarter d’un revers de main, mais en l’accueillant comme un germe, un cri de liberté qui se cherche ?

Je crains que cette période du Covid ne soit qu’une parenthèse vite fermée, comme on se dépêcherait de reprendre le volant après un accident de la route alors que nous avons vu la mort en face ! Oui, car le traumatisme que nous vivons tous, c’est que nous avons vu l’envers du décor : la fragilité à peine croyable sur laquelle repose notre vie, notre sécurité, notre bien-être, notre salaire et enfin notre avenir.

Et on se reprocherait d’avoir peur ?! Et on s’en voudrait de gémir ?!

Mais dites-moi, qui sommes-nous devenu(e)s ? Quel avenir nous préparons-nous ?

Oui, l’avenir.

Le gémissement dont parle Paul c’est aussi celui de la femme qui accouche et qui par son cri lancinant, ouvre dans ses chairs un passage pour qu’émerge la vie – si vous me permettez, Mesdames, qu’un mec ose un tant soit peu imaginer ce que vous vivez !

Si la pandémie qui nous a frappé(e)s a été une contraction de nos vies sociales, économiques, serait-elle aussi une contraction qui pousse dans le sens de la vie ? Une contraction qui nous pousse à apparaître, à nous révéler pour qui nous sommes vraiment avec notre poids et notre gloire ? (v. 17)

J’entends certain(e)s qui disent : « Oui, quelque chose va changer, c’est évident ! On en a tous marre de ce monde de consommation ! » Et d’autres qui répondent : « Penses-tu! Tout va revenir comme avant et plus vite que tu ne le crois ! »

Et puis la voix (voie ?) de Paul : « Ecoute ce qui se passe en toi et dans les murmures du monde immense qui t’entoure avec cette voix qui parle et qui prie en toi. Ecoute le gémissement irrépressible qui attend sa délivrance. C’est là que germe demain. »

Amen

La nature, la création qui nous entourent ne sont plus le berceau tranquille de notre humanité. Plutôt que l’angoisse ou qu’une nouvelle morale contraignante, l’Apôtre Paul souligne le lien spirituel qui unit Dieu-Terre et Humain. Nous ne sommes pas seulement engagés dans un même destin, partageant les soupirs de la création, mais nous sommes traversés d’un même Esprit et c’est un Esprit de libération. Cette intuition du premier siècle pourrait bien ensemencer notre avenir !

Détails

Avec la participation de
Evelyne Lavanchy pour les lectures
Orgue
Marianne Amrein
Musique
Danielle Falquet au violoncelle et un quatuor choral avec Margrit Pitton, Bettina Monnier, Frédéric Monnier et Michel Jaunin