«Lazare, sors!» Trois forces nous sont données pour vivre.

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Écouter le culte :

L’Évangile proposé pour ce jour présente Jésus ressuscitant son ami Lazare.

Particulièrement en ce temps où des milliers de personnes et de familles sont frappées par la maladie, il serait criminel de lire ce texte comme parlant d’un Dieu qui guérirait ses protégés, et donc laisserait les autres dans la maladie et la mort, un Dieu qui pourrait réanimer nos proches frappés si on le priait assez fort ! Ce serait cruel, injuste, et pervers.
L’Évangile, c’est que Dieu n’est jamais du côté de la maladie, qu’il n’abandonne personne ni aucune vie. Dieu est toujours source de vie, de toutes ses forces, de tout son possible, et il nous embauche dans son équipe.

Hors de question, donc, de lire cette page d’Évangile comme un encouragement à croire en une guérison magique déclenchée par l’appel de Marthe. Ça ne marche pas comme cela, nous dit Jésus ailleurs : Dieu sait très bien de quoi nous avons besoin pour vivre en ce monde et il fait déjà tout ce qui est possible à ce propos (Matthieu 6, 8).

Ce texte parle de la vie, de ce qui en est la source, de ce qui rend la vie vivante et belle, si profonde et si vraie qu’elle a une dimension d’éternité. Une vie qui nous dépasse, qui déborde de vie. Cela, par contre, oui, est un miracle venant de Dieu. C’est à mon avis le sujet de cette page et de l’Évangile.

Dans la chaîne d’évolution, il y a eu un passage progressif d’une sorte de singe à l’humain. Les scientifiques commencent à parler d’humain quand cet animal manifeste des préoccupations spirituelles. Elles ont commencé il y a environ cent mil ans avec des rites autour de la vie : de la naissance et de la mort. La religion est ainsi née, je pense, quand l’humain s’est interrogé sur ce fait : nous n’avons pas toujours été là et nous ne sommes pas ici pour toujours. D’où vient donc cette vie qui est apparue à notre naissance ? Quelle en est la source ? Cette source s’épuise-t-elle pour que nous soyons malades, que nous vieillissions et que nous mourrions ? Que devient cette merveille qu’est une personnalité vivante ?

La religion est une interrogation sur cette source, elle est une ouverture à cette source de la vie. La philosophie est une intéressante dimension de cette même recherche de la source de l’être : pourquoi y a-t-il de la vie plutôt que rien, ou plutôt que de la matière et de l’énergie en vrac, en chaos ?

Chercher la source de la vie pour s’ouvrir à elle, se connecter à elle, et que cela déborde même sur ceux que nous aimons. Cette recherche n’est pas seulement abstraite ou intellectuelle. C’est une démarche appelée à déboucher sur une façon d’être et sur des actes. C’est un exercice que l’on fait par soi-même dans le quotidien de notre existence, dans la réflexion et dans la prière, par exemple au soir de sa journée : qu’est-ce qui, pour moi, a aujourd’hui augmenté ma vie, l’a embellie ? Quel geste fait par moi ou par un autre a été source de vie, source d’émancipation, source d’épanouissement, source de plus belles relations ? Et quelle triste chose a pu être source de régression, d’oppression, tirant ainsi vers la mort ?

Ce chapitre de l’Évangile selon Jean que nous avons entendu est centré sur cette question de la source de la vie. Dans le chapitre précédent, Jésus a expliqué son but en ces termes : « Moi, je suis venu afin que les personnes aient la vie, et qu’elles l’aient en abondance ! » (Jean 10,10). À l’inverse, dit-il, de tout ce qui va contre la vie, en dérobe la source, la sacrifie sur je ne sais quel autel, ou la détruit.

J’aime cette expression de Jésus parlant de « la vie en abondance », pour dire à la fois ce qui nous est donné à être, et la source de cette vie. Une vie plus qu’il ne peut en tenir dans notre seule vie, une vie qui déborde de toute part. C’est cette vie qui est le sujet du texte que nous lisons, affirmant que Christ est « la résurrection et la vie » (Jean 11, 25) de sorte que celui qui est branché sur cette source « vivra même s’il meurt ». C’est l’objet même de la philosophie et de la religion.

Le terme utilisé ici pour parler de « la vie » est le mot grec zoè (ζωή), qui est distinct du mot bios (βίος) qui est la vie biologique. Heureusement qu’il y a des miracles de réanimations qui ont lieu tous les jours dans les hôpitaux grâce à des personnes compétentes et courageuses. L’Évangile encourage cette solidarité. Seulement, la vie dont parle Jésus ici est d’un autre ordre, d’une autre dimension, c’est la zoè, une vie qui vivra quand même nous serons morts sur le plan biologique. Jésus est venu pour que nous ayons de cette zoè en abondance, animant notre vie biologique et notre vie psychique, nourrissant alors nos élans de créativité et de solidarité.

C’est cette vie-là, la zoè, que Christ « ressuscite », mais là encore, la traduction est trompeuse car cette résurrection dont parle ici Jésus n’est pas un retour à la vie d’avant la mort, ni un passage dans la vie d’après : cette résurrection est une connexion à la source de la vie de sorte que notre vie s’éveille, se déploie en abondance, se dresse pour avancer, une vie qui déborde sur ceux que nous aimons. Jésus ajoute que cette vie restera quand même nous serions morts. Je me réjouis d’y penser, même si c’est pour le plus tard possible (merci bien).

Cette identification de la source de « la vie en abondance » est développée au cours de ce récit en trois parties, apportant chacune une réponse. Ces réponses complémentaires ne ferment pas notre recherche, comme trop souvent. Au contraire, elles sont comme trois forces, trois élans, trois dimensions ouvertes :

1 Dedans : cette vie est comme une lumière
2 Avec : cette vie est une foi, une confiance
3 Dehors : cette vie est une vocation en liberté

En dedans, la vie comme une lumière

La première image que nous propose ce récit pour parler de la « vie en abondance » est une lumière en nous. Jésus parle de cela sur fond de ténèbres et de mort qui nous menacent, de maladie des corps, et de cette maladie humaine qui consiste à vouloir écraser son prochain.
Jésus ne parle pas d’« une » lumière en nous, mais de « la » lumière en nous. Il s’agit bien entendu d’une image car, au sens matériel, ce serait absurde : nous ne pouvons avaler une lampe allumée (en remarquant cela, je nous prépare à interpréter également au sens figuré la 3e partie de ce passage et sa réanimation d’un cadavre décomposé).

Cette image de « la lumière » à recevoir en nous a dû frapper Jean puisqu’il en fait le cœur d’un poème sublime qu’il a composé en prologue de son livre. La lumière y est la Parole divine, cette lumière est la dynamique de création de Dieu pacifiant le chaos et y faisant jaillir la vie. Cette lumière est ce souffle que Dieu met en l’humain, lui donnant le pouvoir de devenir « enfant de Dieu » (Jean 1, 1-18).

Pourquoi prendre la lumière comme image pour dire la vie qui nous est donnée en abondance ? Parce que la lumière est ce qui nous permet de voir la réalité par nos propres yeux. Dans la mesure où nous voyons la vie telle qu’elle est dans sa profondeur, où nous voyons le monde, ses habitants et nous-même en vérité, en profondeur et pas seulement en surface – dans cette mesure nous exploserions de joie, nous serions enflammés du désir de faire grandir cette vie et de calmer le chaos, de vaincre ce qui abime la vie pour nous unir en un corps.

Comme le dit Saint-Augustin, finissant par trouver Dieu en lui après l’avoir cherché en vain à l’extérieur, « la lumière est en nous », elle est une liberté pour inventer notre propre cheminement, malgré les ténèbres qui nous environnent, et elles sont parfois bien sombres.

Comme le dit Jésus dans le chapitre précédent, cette lumière fait que dans une certaine mesure « nous sommes des dieux » et « enfant de Dieu » (Jean 10, 34-36). Cela fait effectivement énormément de petits dieux, ce qui pourrait être un problème si ce n’était cette 2e force qui nous est donnée dans la suite du récit.

La vie en relation : c’est une foi, une confiance

Là encore, la traduction est trompeuse quand on lit Jésus disant : « quiconque croit en moi vivra ». Ce verbe croire n’est pas celui de la connaissance mais celui de la foi, de la confiance, du mouvement vers l’autre. Et fait, il s’agit ici plus que d’un mouvement « vers Christ », il est question avec cette confiance de mouvement « en Christ », pour entrer dans sa communion avec Dieu, pour entrer dans sa façon d’être au monde et nous comprendre alors comme faisant partie d’un corps où nous avons une place utile. Cela aussi vient de Dieu. Cela aussi déborde de vie, déborde du cadre de notre petite vie. Nous mourrons, certes, nous dit Jésus, mais la mort n’a pas le dernier mot face à cette vie en abondance, face à cette lumière en nous qui perce les ténèbres, avec ces liens par lesquels nous nous tenons et sommes tenus par Dieu.

Marthe, appelant Jésus quand cela va mal, puis allant à sa rencontre alors que la mort, déjà, l’a frappée, où puise-t-elle cet élan ? Ce courage s’enracine dans une confiance, dans sa foi. Il nous permet, comme à Marthe, d’ouvrir les yeux et de voir quand des ténèbres nous environnent, qu’elles nous rendent malades. Puis, Marthe lance un appel vers le Christ. C’est une prière, c’est un soupir, un cri vers la source de la vie. Pas besoin de beaucoup de foi, pas besoin d’être un expert en prière pour amorcer cette source ! Juste un soupir, un début de « Dieu, si tu existes, viens à mon aide ». La source tarde à venir ? Avec Marthe, nous patientons un peu, et déjà la source est là et de la vie commence à abonder. L’appel devient dialogue, devient cheminement, devient commencement de résurrection. Marthe se lève et va vers sa sœur pour partager cette vie. C’est cela, la vie en abondance, la vie débordante, la vie qui relève la vie.

Vient alors, dans ce récit l’évocation d’un troisième don, comme une libération. C’est un appel : « Lazare, sors ! Et le mort sortit ».

Dehors, la vie est une vocation en liberté.

De quoi est-il question dans cette histoire? Le récit nous donne une clef de lecture en indiquant à deux reprises (Jean 11, 15 et 42) qu'il est à lire comme un signe qui nous est donné pour que nous ayons confiance que Dieu est source de vie en Christ (voir aussi Jean 20, 30-31).

Comme Marthe, cette confiance s’approfondit au cours de ce cheminement. C’est une résurrection pas à pas. Elle commence avec ce début de confiance pour appeler le Christ à visiter ce qui se porte mal en nous et dans notre monde. Cette confiance s’approfondit pour entendre cette question de Jésus nous invitant à visiter avec lui le cœur de notre problème : « Où l’avez-vous mis ? ». Excellente question : qu’avons-nous fait de notre prochain souffrant ? Qu’avons-nous fait de ce qui n’est pas en forme en nous ? Oser accompagner Jésus jusqu’à la porte de cette mémoire (c’est le sens du mot «tombeau»).

Marthe a un sursaut de honte avant d’ouvrir ce tréfonds « Seigneur, il sent déjà ». Jésus réagit, pas avec dégoût ou colère, mais avec tendresse et compassion, car c’est précisément pour cela que Christ est venu : pour visiter en nous ce qui ne sent pas bon, ce que nous avions enfoui dans notre mémoire pour ne plus le voir, ce qui était mort en nous, ou dans notre famille, notre église, notre monde. Ce qui nous pourrit la vie.

À ce point, Christ assure la jonction à la source même de la vie en abondance. Il prie pour que nous comprenions que c’est de Dieu que vient notre secours. Puis il dit : « Lazare, sors ! Et le mort sortit ». « Lazare » en hébreu, c’est El-Azar (אֶלְעָזָר) « le secours de Dieu » reprenant en fait la prière qu’il vient de faire, mais comme un ordre dirigé vers cette lumière divine qui existe, enfouie au tréfonds de notre être. Afin que Dieu éveille sa puissance de vie en nous, qu’il en débouche la source vive, et que se montre son secours. Cela se fait pas à pas, comme par miracle, et c’en est un.

« Détachez-le et laissez-le aller ! » (Jean 11, 44) : un appel à libérer de dynamisme en nous, selon notre vocation.

Cette vie en abondance peut alors avancer librement en ce monde. Dans un sens c’est nous qui devenons, à notre mesure et selon notre libre inspiration, Lazare vivant, le secours de l’Éternel pour quelques-uns qui nous sont confiés.

Et ce sera bien.

Amen.

Qu’est-ce que la vie plus forte que tout? Ce passage propose une réponse bien riche, en trois forces qui nous sont données. Dedans, c’est une lumière. Avec, c’est une foi, une confiance. Dehors, c’est un appel à la liberté.

Détails

Avec la participation de
Emmanuel Fuchs
Orgue
Vincent Thévenaz
Musique
Un quatuor vocal issu de l'ensemble Vox Peregrina, accompagné et sous la direction de Serge Ilg