Jésus? Je croyais le connaître...

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Écouter le culte :

Un catéchumène m’a dit un jour : « Pour moi, Jésus, c'est… quelqu'un que je crois connaître, mais que je ne reconnaîtrais pas. » C’est un bon résumé de l'Évangile de ce matin.

Je vous rappelle la situation : Jésus a grandi en Galilée, à Nazareth. Dans cette petite localité, tout le monde le connaît. Il est le fils de Joseph le charpentier et de Marie. On connaît sa parenté. On l'a vu régulièrement à la Synagogue. Il est parti depuis quelques mois, peut-être un an, du côté de la Judée. On a appris qu'il avait eu des contacts avec une sorte de prophète qui baptisait les gens dans le Jourdain. Puis la nouvelle est venue que Jésus se déplaçait avec un petit groupe d'hommes et qu'il enseignait dans les villes et les villages qu'il traversait. Certains prétendaient même qu'il faisait des miracles…

Que fallait-il en penser ? Allez savoir ! Il suffisait d'attendre. Il parcourait la Galilée – il finirait bien par venir à Nazareth et alors on serait fixé ! Et voici que Jésus revient effectivement à Nazareth, dans cette ville où tout le monde l'a vu grandir. Le jour du sabbat, il entre dans la Synagogue. C'était son habitude. On le reconnaît bien là ! C'est bien le même. Il est revenu. Tout rentre dans l'ordre. Vient le moment de la lecture de l’Écriture. Jésus se lève comme il l'a souvent fait depuis l'âge de douze ou treize ans. On lui déroule livre d'Ésaïe, et il pointe le passage qui dit :

« L'Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers la libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. »

Tous, dans la Synagogue, ont les yeux fixés sur Jésus, attendant de lui un commentaire. Et voici que sa prédication tient en une phrase:

« Cette parole de l’Écriture se réalise AUJOURD'HUI pour vous qui l'entendez. »

Justement ! Comment allons-nous l’entendre, cette petite phrase : il vous arrive aujourd'hui ce qu'Ésaïe a annoncé. Donc, l'année des bienfaits promis par Dieu, c’est maintenant ! Le temps de grâce, les délivrances, la lumière dans la nuit, la libération des prisonniers, la bonne nouvelle pour les plus pauvres… C'est maintenant, et c'est pour vous ! Magnifique ! On comprend que dans un premier élan tous boivent ces paroles, tous accueillent la bouffée de libération qui arrive.

Ça confirme les témoignages qui ont précédé Jésus à Nazareth : « Il paraît que des malades sont guéris, et qu’il donne un enseignement qui éclaire et nourrit. » Magnifique ! Mais d’un autre côté, le malaise, la stupeur même, car Jésus affirme : « Il vous arrive aujourd’hui ce qu'Ésaïe a annoncé. »

Et donc aussi : il vous arrive aujourd’hui la personne qu'Ésaïe a annoncée, la personne autorisée à dire, « L'Esprit du Seigneur est sur moi, le Seigneur m’a consacré, il m’a envoyé. » C’est aujourd’hui !

En clair, Jésus suggère : « JE SUIS la personne qui ouvre le temps de grâce. JE SUIS l'envoyé de Dieu. JE SUIS le fi... » Mais non, c’est trop énorme ! N’est-il pas le fils de Joseph ?

C'est là, voyez-vous, que tout se joue. C’est là que tout bascule d'un côté ou d'un autre : tout s'ouvre et c'est la découverte, ou tout se bloque et c'est la colère.

« Jésus… quelqu'un que je crois connaître, mais que je ne reconnaîtrais pas » remarquait avec un certain courage mon catéchumène.

Les habitants de Nazareth en étaient exactement là, en train de réaliser : « Je croyais connaître Jésus, le fils du charpentier et de Marie, mais maintenant, je ne le reconnais plus. Sa sagesse m'étonne. Bien sûr, je l'admire. Mais aussi : pour qui se prend-il ? Un enfant du village qui se prétend l’envoyé de Dieu… »

Voyez-vous, toute relation humaine est une aventure qui nous met en question :
- La personne que je connais de longue date a-t-elle de l’espace pour me surprendre encore par sa différence ?
- La relation que j’ai avec un proche me permet-elle d’accueillir ce que je ne sais pas encore de lui ?
- Somme toute, les autres peuvent-ils évoluer à mes yeux ? Ou peut-être que je les ai figés par habitude dans une sorte de photographie de ce qu’a été notre relation jusqu’à présent ?

Toute relation humaine pose ces questions et nous oblige à l’aventure. La relation à Dieu n’y échappe pas. Qui n’a pas éprouvé ce choc devant un ami, ou avec son propre conjoint : soudainement la personne proche révèle un côté d’elle-même que nous ne connaissions pas. Cela met brusquement en cause l’expérience que nous avions de l’autre. D’instinct nous sentons que cela va nous déplacer, nous risquer hors de nos habitudes. « Je ne te savais pas comme ça ! » disons-nous. Selon les situations, nous le disons avec stupeur, avec admiration, comme un reproche, une déception…

À Nazareth, Jésus sait parfaitement quelle brèche il vient d’ouvrir ! Il ne va pas combler cette brèche, mais la situer. Vous croyez me connaître ? Alors, précisément : comment un prophète est-il traité par son milieu d’origine ? Comment sa prophétie est-elle accueillie par ceux qui le connaissent depuis son enfance ? Un prophète n’est-il pas rejeté à cause de sa soudaine différence ?

Mon catéchumène allait dans ce sens : « Je connais Jésus : depuis l’enfance on m’en a parlé. J’ai écouté les histoires à son sujet. Je connais les habitudes des gens qui vont à l’église, mais si Jésus était là, devant moi, s’il se manifestait à moi aujourd’hui, est-ce que je le reconnaîtrais ? Serais-je prêt à accueillir sa personne de Seigneur, différente de l’enfant de la crèche dont on m’a parlé ? »

Mes amis, la résistance est forte, aujourd’hui, comme à Nazareth. Que Jésus apporte des guérisons, oui ! Que Jésus soit maître de sagesse, d’accord ! Que Jésus inspire des valeurs, à la bonne heure ! Mais qu’il soit le visage de Dieu ?

Que Jésus contribue à mon développement personnel, qu’il favorise de meilleures relations entre les humains, certainement, pourquoi pas… Mais si Jésus est la présence même de Dieu, alors c’est que Dieu existe plus que je ne le pensais !

Si Jésus est vraiment le Fils de Dieu, et qu’il est en même temps si humain, si proche, c’est drôlement plus impliquant ! Cela veut dire que je ne peux pas seulement prendre quelques unes de ses paroles et poursuivre mon chemin comme on s’en va un livre sous le bras.

Si Jésus est vraiment le Fils de Dieu, cela veut dire que Dieu est une Personne, et que la relation avec lui prend la tournure d’une aventure.

Si Jésus est le Fils de Dieu, je vais découvrir à son contact ce que cela fait pour un être humain de vivre en relation avec Dieu.

Si l’homme Jésus est vraiment Dieu, c’est à lui que je dois regarder pour devenir vraiment humain. Là se joue mon regard sur la vie. C’est là, voyez-vous, que tout bascule d'un côté ou d'un autre : j’écoute et je pars en découverte ou cette prétention me bloque, et peut-être même qu’elle m’irrite.

Où en est donc notre relation avec Jésus ? Ce qu’il prétend être véritablement et aujourd’hui devient vite insupportable là où nous pensions l’avoir cerné, là où nous n’avons pas envie de bouger.

Ce matin-là, à Nazareth, la violence s’est exprimée, qui a poussé les concitoyens de Jésus à vouloir l’éliminer.

« Furieux, ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin. »

Est-ce qu’ils ont su, à Nazareth, quelle chance représentait l’impossibilité « d’en finir » avec Jésus ? Et nous-mêmes, pouvons-nous mesurer quelle chance cela nous ouvre, le fait que Jésus, quoi qu’on en pense, reste une Personne, quelqu’un de vivant, qui continue son chemin ? Pouvons-nous entrevoir ce matin quel cadeau représente le fait que lui, Jésus, ne déclare jamais « en avoir fini » avec nous ?

Amen.

Ceux qui me sont proches peuvent-ils évoluer à mes yeux? Cet ami que je connais si bien, a-t-il de l’espace pour me surprendre encore par sa différence?
Ce sont des questions que nous pose l’épisode de la venue de Jésus à Nazareth. Dans le village qui l’a vu grandir, on le reconnaît bien à certaines de ses habitudes. Mais ce qu’il prétend être aujourd’hui devient vite insupportable à ceux qui croyaient le connaître. Ils veulent en finir avec Jésus... Sans y parvenir.
Notre chance, c'est qu'il est impossible d'en finir avec le Christ, et qu'il ne voudra jamais en finir avec nous.

Détails

Avec la participation de
France Calame
Orgue
Johan Girardin et Marika Girardin
Musique
Le Groupe liturgique, sous la direction de Yves Girardin, Christine Salzmann et Claire-Lise Kummer, sopranos, Boris Salzmann à la guitare, Johan Girardin à l'orgue et la flûte, Marika Girardin à l'orgue et au piano