La multiplication des pains et des poissons: un texte de confiance et d'envoi des disciples

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Écouter le culte :

L’arbre qui cache la forêt : nous connaissons tous l’expression. Or celle-ci s’applique à merveille à ce récit bien connu de la multiplication des pains et poissons. Quel est cet arbre ? Ni plus, ni moins que le miracle de la multiplication. Il a l’effet d’une loupe sur notre perception des choses et nous fait passer à côté de l’essentiel. Comme un magicien qui attire notre attention sur un geste particulier alors, qu’en parallèle, il accomplit d’autres opérations, ce récit a l’effet d’un aimant en ce que le mystère de cette multiplication nous fascine, nous interroge, aiguise notre curiosité et met à l’épreuve notre esprit rationnel. Mais ce faisant, le risque est de passer sous silence tout ce qui se passe avant et après le constat de la multiplication.

Ce matin je vous invite à nous promener dans la forêt de ce récit, à revisiter cet épisode du ministère de Jésus pour y découvrir, je l’espère, des facettes davantage méconnues mais tout autant stimulantes pour notre vie de foi.

Le récit suit un épisode des plus tragiques : la mort violente et arbitraire de Jean dit le Baptiste. En apprenant la nouvelle, Jésus est bouleversé et, plutôt que de répondre à la violence par la violence, il décide de se mettre à l’écart et de pleurer la mort de son ami dans un lieu désert. Il faut dire que la relation d’amitié entre Jean et Jésus est très forte et très ancienne. Si ancienne qu’elle remonte au temps où Jean était dans le ventre de sa mère Élisabeth et Jésus dans celui de Marie. Souvenez-vous : lorsque les deux mères enceintes se rendent visite, Luc rapporte que Jean, à l’écoute de la salutation de Marie, « bondit dans son sein. » (Luc 1, 41)

Oui, Jésus est durement affecté par la mort de Jean et il a besoin de prendre du recul. Mais comme souvent, Jésus, dans ces instants de retraite, le voici rattrapé par une foule qui le cherche et qui attend beaucoup de lui. Même s’il n’a pas eu le temps souhaité pour méditer l’assassinat de Jean, face à cette foule, Jésus ne la fuit pas. Bien au contraire, nous dit le texte, « il est ému aux entrailles. » Alors, à la violence aveugle du monde il répond par la compassion.
Toute la journée il la passera à soigner les malades. Toute la journée, il canalisera son chagrin et son ressenti par des actes de bienveillance et de guérison. Toute la journée…

Et voici que le soir tombe, on assiste aux derniers rayons du soleil. Se pose alors la question du souper. Les disciples sont tout inquiets et proposent à Jésus une solution pratique et rationnelle : que chacun se débrouille en allant chercher sa pitance dans les villages avoisinants. Ils ont raison ces disciples : en fin de compte ce n’est pas Jésus et encore moins eux-mêmes qui les ont fait venir ici. Et Jésus va avoir une de ces réponses qui va prendre les disciples complètement par surprise : « Les foules n’ont pas besoin d’y aller dans les villages : donnez-leur vous-même à manger ! »

J’imagine alors bien les disciples partir dans un rire nerveux tellement l’ordre de Jésus n’a pas de sens ; qu’il est hors-sol et en dehors de toute considération raisonnable. Jésus leur donne pourtant à ce moment précis une mission qui d’un point de vue humain, est tout simplement impossible, irréalisable même dans nos rêves les plus fous : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! »

En d’autres termes, vous n’allez pas vous défiler si facilement en invoquant je ne sais quel prétexte. Oui, je vous envoie en mission : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » Vous-mêmes !

Et comme souvent, quand Dieu appelle un disciple et lui donne une mission – quand Dieu nous appelle – le premier mouvement est la résistance, l’opposition, la recherche de mille prétextes pour ne pas y répondre. C’est pour cela que les disciples disent finalement de façon tout à fait sensée : « Mais nous n’avons pour tout et en tout que cinq pains et deux poissons. Comment veux-tu que nous nourrissions des milliers de personnes affamées ? »

La mission est humainement impossible ; le fossé entre les possibilités humaines et la mission de Dieu est abyssal, mais Dieu, malgré tout, fait confiance aux disciples pour la mener à bien et leur dit : « Ce peu que vous avez, aussi insignifiant soit-il, apportez-le moi, remettez-le moi, ensemble nous allons en faire quelque chose ! »

Les disciples s’exécutèrent et firent confiance à la parole de Jésus. Tout est là. Voilà le vrai miracle de ce récit. Ils firent confiance à l’ordre de mission de Jésus aussi invraisemblable soit-il. Aussi irréaliste soit-il. Le peu qu’ils avaient, cinq pains et deux poissons, ils acceptent de le déposer dans les mains de Jésus.

Jésus envoie les disciples en mission avec trois fois rien : la seule condition est de lui faire confiance.

Ce qui va se passer ensuite n’est autre que l’annonce de l’institution de la Sainte-Cène. Les mots utilisés sont exactement ceux de la cène que nous vivrons tout à l’heure : Jésus prend les cinq pains et les deux poissons des mains tendues des disciples, il lève son regard vers le Ciel, il prononce la bénédiction pour tous ces biens, il rompt le pain, le redonne à ses disciples qui à leur tour le distribuent à la foule.

Et les foules sont rassasiées, sont comblées.

En ayant fait confiance aux paroles de Jésus, les disciples peuvent accomplir leur mission, au final, par un chemin dont ils n’avaient pas conscience et qui ne relève pas de leur seul pouvoir : ils sont en mesure de nourrir les foules.

Hier comme aujourd’hui, Jésus nous envoie en mission. Les obstacles peuvent paraître impossibles à franchir mais il nous envoie, il nous fait confiance. « Va avec la force que tu as, » dit Dieu à Gédéon. « Allez avec ces cinq pains et ces deux poissons dont vous disposez, » dit Jésus à ses disciples.

Et nous ? En va-t-il autrement ?

Certes l’Église passe par des temps difficiles et de profonde remise en question. Alors que les statistiques montrent des chiffres en décroissance constante, nos communautés se posent des questions sur leur futur et sur leur mission : nous devrons certainement dans le futur compter avec toujours moins – cinq pains et deux poissons…

Comme les disciples, nous sommes invités à remettre à Dieu le peu que nous avons. La foi, qui, je le rappelle, est un cadeau de Dieu, nous invite à lui faire confiance. Alors, dans cette même dynamique de la multiplication, la réponse nous viendra peut-être, sans doute, de là où nous ne l’attendions pas. Pour accomplir la mission de l’Église, l’aide, le soutien fraternel se révèlera peut-être à nous de façon surprenante, étonnante.

Question que je vous pose ce matin : Et s’il venait de nos frères et sœurs de nos Églises partenaires du Sud ? Et si nous réalisions tout d’un coup que nous n’étions pas seuls ? A cet égard, ce dimanche donne une bonne illustration de cette évolution où les échanges et la solidarité fraternels se vivent à l’échelle du globe : à l’heure où je vous parle, notre sœur Elisabete Sidumo, de l’Église presbytérienne du Mozambique, apporte son témoignage au temple de Chêne-Pâquier dans le cadre de cette campagne d’automne DM/EPER. Elle sera suivie dans les semaines suivantes par le pasteur Abilio Mahumana et Noé Langa.

Et alors que nous accueillons ces frères et sœurs mozambicains nous avons une pensée pour Pascal et Christine Wulliamoz, nos envoyés du village voisin de Bercher. Cela fera bientôt deux ans que le couple Wulliamoz appuie l’Église presbytérienne du Mozambique dans sa volonté de donner aux communautés les moyens de se développer localement par la mise en route de projets.

Ce matin encore, le pasteur togolais Espoir Adadzi prêche au temple d’Estavayer-le-Lac. Le pasteur Espoir est ici pour deux ans accueilli par l’Église protestante de Genève avec le soutien de DM-échange et mission.

De la même manière que nos Églises réformées se réjouissent d’être interpelées et renouvelées par des témoins de Christ venus du Sud, de la même façon ce matin encore le temple de St-Laurent à Lausanne vit le culte d’envoi d’un jeune civiliste, Damien Romascano, lequel sera accueilli durant un peu moins d’une année par notre partenaire au Chiapas, Mexique.

Oui, et si c’était aussi cela l’Église de demain, et le vrai miracle de ce récit, la multiplication des envoyés de Jésus-Christ dont certains venant de nos Églises sœurs de par le monde… venant, en définitive, de toutes les extrémités de la terre.

Amen.

Le récit dit de la multiplication des pains et des poissons intervient dans un contexte de rejet de Jésus et de violence aveugle par le pouvoir en place (mort brutale de Jean Baptiste). Or, ce récit de la multiplication des cinq pains et deux poissons comporte un piège: celui de tomber dans le panneau de la fascination face au miracle de la multiplication. Ce faisant on passe à côté de l’essentiel en faisant l’impasse sur tout le reste. Ainsi, lorsqu’on y regarde de plus près, ce texte est avant tout un « texte missionnaire », un envoi, où la confiance des disciples est radicalement mise à l’épreuve; où notre confiance est mise à l’épreuve.

Peut-être pensons-nous que face aux défis de nos Églises, la tâche semble impossible à relever. Ne sommes-nous dès lors pas dans la même situation des disciples de Jésus avec leurs 5 pains et 2 poissons? A notre tour, nous devons rester confiants. Et si dans les tâches qui nous incombent nous réalisions que loin d’être une Église sur le déclin, nous étions plus nombreux qu’imaginés? Que dans notre tâche missionnaire nous pouvions être rejoints par nos frères et sœurs en Christ originaires des Églises partenaires de DM-échange et mission ?

Détails

Avec la participation de
Marc Lennert et Heidi Métraux
Orgue
Edith Dubler
Musique
Le choeur de la paroisse sous la direction d'Etienne Roulet, Marianne Amrein à la flûte