Le culte radio, entre la Suisse et le Mozambique (3/3)

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Etonnante situation où, face à vous, chers membres de la communauté presbytérienne de Ricatla, nous allons évoquer une question qui se pose dans les Eglises de Suisse et, plus généralement, dans toute l’Europe. Etonnante situation où, chers auditeurs de la RSR, nous allons partager avec nos frères et sœurs du Mozambique cette même interrogation que vous vous êtes très certainement posée une fois ou l’autre.
Est-ce que cela a encore un sens que nos Eglises – via le DM-Echange et Mission – envoient dans les pays du Sud celles et ceux que nous appelons aujourd’hui non plus des missionnaires mais des envoyés ? En des termes plus directs, cela sert à quoi, au jour d’aujourd’hui, un envoyé ? Question certes provocatrice mais qui, avouons-le, est d’actualité.

Et il est vrai que les arguments en faveur d’un arrêt définitif sont légions et ont leur part de pertinence. Quatre sont souvent présentés :

§ les Eglises du Sud sont maintenant indépendantes et doivent pouvoir s’administrer et se développer sans l’apport du Nord ;
§ les missionnaires ont suffisamment oeuvré par le passé et il faut maintenant tourner la page ; et, diront certains, ont non seulement oeuvré dans le passé, mais ont aussi commis des erreurs !
§ avoir un envoyé durant quelques années dans un pays éloigné représente indéniablement un coût financier à l’heure où toutes les institutions se serrent la ceinture ;
§ avec les progrès technologiques auxquels nous assistons aussi bien dans la communication et que dans les transports, des liens directs peuvent être développés entre les communautés en Suisse et d’autres de part le monde. Cette facilité du lien direct rendrait caduque une présence sur la longue durée

En d’autres termes, faut-il malgré ces constats et ces critiques poursuivre cette activité d’envoi ? Lorsque nous sommes face à des questions aussi fondamentales et sensibles, il est bon de retourner à la source de notre foi et de notre engagement et nous laisser interpeller par cette Parole qui, mystérieusement, accompagne nos vies.
Dans le passage que nous venons d’écouter de l’Evangile de Marc la tendance serait de nous centrer sur l’incrédulité des disciples, sur le fait que ces derniers, encore tout abattus après la crucifixion de leur maître soient incapables de croire et d’adhérer à ce message de résurrection que leur proclame Marie de Magdala ainsi que les deux disciples d’Emmaüs.
Même Jésus, le Ressuscité, les prend rudement à partie sur cette apparente résistance : « Jésus se montra aux onze disciples pendant qu’ils mangeaient ; il leur reprocha de manquer de foi et de s’être obstinés à ne pas croire ceux qui l’avaient vu vivant. » (Mc 16, 14)
Or, ce matin, je vous propose de porter notre attention non pas sur les disciples mais précisément sur ces premiers missionnaires, sur ces premiers envoyés, que furent Marie de Magdala et les disciples d’Emmaüs. A lire ce passage de Marc, on pourrait sans autres admettre que leur mission fut un échec et ce, malgré leur très grande proximité avec l’événement de la résurrection. Que faut-il en conclure ? Les blâmer ? Dire qu’ils étaient incompétents et que très certainement cet échec serait dû, par exemple, à la méthode d’évangélisation utilisée ? Plus radical encore : faut-il en conclure, sur la base de cet échec, qu’il ne sert à rien de continuer sur cette voie ?
En regardant le texte de très près qu’est-ce qu’on découvre ? Comme déjà mentionné, Jésus ne prend pas à partie les messagers de la bonne nouvelle, mais celles et ceux qui restèrent sourds à leur annonce. Mais, chose encore plus troublante, immédiatement après le reproche adressé à ceux-là même qui doutent, il les envoie en mission. Jésus, dans le même souffle, leur adresse un reproche et les envoie en mission. Bonne nouvelle ! Malgré l’apparent échec des messagers, le Christ nous transforme ! Au cœur du doute, le Christ nous envoie !
Paul a été très clair sur cette question et remet chacun à sa place : 1 Co 3,5b – 8a. Comme dans le passage de Marc, c’est Dieu qui en fin de course et tout en faisant de nous ses collaborateurs, c’est Dieu qui rend possible toute chose : la croissance et donc la vie ; l’envoi malgré nos limites et donc sa confiance inébranlable en l’être humain.

Oui , le passage de Marc est à bien des égards libérateur. Pourquoi ? Car il n’exige pas de la part des envoyés des résultats immédiatement chiffrables – je rappelle l’apparent échec de Marie de Magdala et l’apparent échec des deux disciples d’Emmaüs – et n’exige pas d’avoir à faire d’abord à des héros de la foi. On rappellera qu’il envoie en mission des hommes et des femmes encore pétris de doute sur cette question cruciale de la résurrection.
A l’heure où Ricatla inaugure le Centre Junod en mémoire du travail de plusieurs centaines d’envoyés suisses qui ont oeuvré en Afrique Australe depuis la fin du 19ème siècle et ce, en intime collaboration avec les populations et communautés locales et qui ont exercé un impact durable au sein de ces sociétés, il est bon de méditer, à l’heure du bilan, sur le regard que porte le Christ quant au travail de la mission. Son souci ne semble pas a priori d’avoir dans son staff les éléments les plus performants sur le plan de la communication, de la stature morale ou de la connaissance, mais d’avoir des hommes et des femmes qui acceptent de se mettre à son service et, si tel doit être le cas, qui acceptent aussi d’être envoyés jusqu’aux extrémités du monde connu et inconnu.

Dès lors, si nous revenons à notre question initiale, au nom de qui ou de quoi pourrions-nous conclure que les Eglises n’ont plus besoin d’envoyés au-delà de ses frontières ? A l’heure où justement les chocs culturels, sociaux, économiques et religieux se jouent et parfois s’exacerbent à l’échelle mondiale, au nom de quoi et de qui devrions-nous rester cantonnés entre nos quatre murs et assister de loin, par écran interposés, à la grande scène du monde ? Au nom de qui et de quoi, nos Eglises ne pourraient-elles pas avoir des témoins au cœur de ce monde en pleine mutation ?
Le Christ, il est vrai, réprimande sévèrement les disciples incrédules, mais chose étonnante c’est à eux qu’il confie, dans le même souffle, la tâche d’ aller dans le monde entier proclamer la bonne nouvelle à toute la création.
Si nous sommes là aujourd’hui à pouvoir communier entre communautés distantes de milliers de kilomètres, c’est grâce à l’apparent échec de Marie de Magdala et des disciples d’Emmaüs, c’est grâce à l’initiale incrédulité des onze disciples, c’est grâce aux grandeurs et petitesses des missionnaires de tous les temps et tous les lieux et au cœur de cette fragilité, c’est grâce au souffle de Vie qui nous redresse et nous envoie sur les routes du monde. Amen !