Où il est question de vaisselle modeste et de trésor

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Écouter le culte :

L’apôtre Paul qui est un grand théologien et dont on a pu dire qu’il était « le véritable fondateur du christianisme » sait aussi être poète à ses heures. Pour tenter de rendre compte de notre vocation de disciples, de témoins du Christ, il n’hésite pas – parfois au beau milieu d’un raisonnement théologique qui peut paraître à certains savant ou complexe – il n’hésite pas à utiliser des images simples et fortes à la fois.

A la question, à quoi peut-on comparer le disciple du Christ, il évoque les images suivantes. Vous êtes comme le parfum du Christ. Vous êtes comme une lettre. Vous êtes comme une tente dressée. Etre une bonne odeur. Etre une lettre d’encouragement. Etre un abri. Voilà des suggestions on ne peut plus valorisantes et gratifiantes.

Ce matin, il est question de vases d’argile. Que penser de l’image du vase de terre cuite ? Littéralement « des morceaux, des restes » de vase d’argile (ostrakinos en grec). Autrement dit tout le contraire d’une vaisselle de luxe.

Cette comparaison modeste dit quelque chose d’essentiel sur notre condition d’humains, de disciples, de serviteurs de Dieu. Celui qui la développe, le fait dans un contexte très particulier. Les liens entre Paul et l’Eglise de Corinthe sont forts et tumultueux. Cette Eglise qu’il a fondée est tiraillée entre ses partisans et ses détracteurs. Au moment même où la pertinence de son ministère est mise en cause par des prédicateurs qui polémiquent à son sujet, Paul entend réaffirmer avec force le fondement et la perspective de son ministère. « Ce n’est pas sur nous-mêmes que porte notre proclamation : nous proclamons que Jésus Christ est le Seigneur, et que nous-mêmes sommes vos serviteurs à cause de Jésus. Nous portons ce trésor dans des vases d’argile, pour que cette puissance supérieure soit celle de Dieu et non la nôtre. »

D’un côté il est question de puissance supérieure, de l’autre, de fragilité. De trésor et de vases d’argile. De contenu et de contenant. Voilà que nous apprenons de la bouche de Paul qu’un témoin, un disciple, un serviteur c’est un vase d’argile. Non pas une vaisselle d’ornement mais un ustensile pratique.

Pourquoi Paul, l’ancien juif pharisien, qui connaissait les vases et ustensiles précieux utilisés au temple évoque-t-il ces récipients de peu de valeur ? Cette image de soi, du ministère, on ne peut plus dévalorisée lui est-elle inspirée par l’amertume ? On peut ajouter que cette modestie forcée s’accorde peu au caractère de l’apôtre capable d’avoir le verbe haut avec les apôtres de l’Eglise-mère de Jérusalem. Pourtant, nous voulons bien croire que cette image inspirée par le contexte polémique du moment va nous permettre de creuser quelques questions clefs.

Qu’est-ce qu’être témoin, disciple, serviteur ? De quel message le témoin est-il porteur ? Première association qui nous vient à l’esprit. L’argile dit bien notre origine, nous les humains tirés de la terre. Nous l’apprenons dès les premières pages de la Bible par l’homonymie du mot Adam et du mot terre. Tels des vases d’argile, nous sommes fragiles, épais, parfois ébréchés ou carrément fêlés. Comme témoins, il nous arrive de connaître des heures de faiblesse, de tourment, de panne, de mise à l’épreuve. Des heures où nous avons conscience de bien mal représenter le Christ auprès des autres.

Face à ses paroissiens de Corinthe, Paul a donc choisi de se montrer tel qu’il est avec ses limites, ses défauts. Il croit même que Dieu peut s’en servir. Mais on sous-estimerait la portée de ses propos si l’on pensait que l’apôtre se contente simplement de poser un regard lucide sur lui, sur la nature humaine.

Chez le théologien de la centralité de la croix, il ne saurait être question seulement de psychologie. Cette fragilité, cette vulnérabilité n’est absolument pas perçue comme une disqualification mais plutôt comme une force. Pourquoi cela ? Eh bien tout simplement parce qu’elle fait écho au visage et au nom de Dieu qui se donne à reconnaître et s’épèle en trois mots : Jésus Christ crucifié.

Cette dimension de faiblesse extrême, d’échec quasi programmé de la prédication du Christ dont témoigne la croix, incarne une puissance paradoxale que l’apôtre, se l’appliquant à lui-même, résumera en ces termes : « quand je suis faible c’est alors que je suis fort ». Il est donc bien question de théologie.

L’abaissement et l’échec de Jésus sont un récit de Dieu, du Dieu vivant qui accepte d’être renié et tué. Un récit dont le dernier mot est celui du relèvement. Difficile de saisir intellectuellement cette logique contradictoire de la vie qui voit une force dans la faiblesse. Qui voit l’accomplissement de soi non dans la suffisance mais dans la pleine conscience de ses limites. Difficile de saisir cette logique contradictoire qui est pourtant le noyau dur de l’Evangile ou pour reprendre l’image de Paul, le trésor que le témoin a vocation de porter. Ce trésor tient en une Parole non négociable : Jésus Christ, mort, enseveli, réveillé d’entre les morts est le Seigneur.

Nous sommes des vases d’argile cabossés qui portons un dépôt plus vaste que notre capacité de contenance ou d’administration d’une vérité. Car voyez-vous, cette Parole appartient à Dieu et à lui seul. L’annoncer ce n’est pas en faire l’objet de notre prédication ou de nos confessions, mais c’est d’abord et avant tout la laisser se dire en nous. C’est à cette condition et à cette condition seulement qu’elle peut véritablement devenir une expérience vitale et revitalisante. Si nous laissons la Parole se dire en nous, alors c’est elle qui, à travers nous, se prêche et non pas nous, nos idées ou notre vision du monde.

Voyez-vous, cette Parole qui, selon les mots de Paul, témoigne de la gloire de Dieu sur le visage de Jésus Christ, est un trésor qui ne vient pas de nous mais qui est pour nous et à partager avec tous. C’est en même temps le seul trésor qui, lorsque je le partage, ne m’appauvrit pas mais au contraire m’enrichit.

Récipients de peu de valeur, nous abritons un trésor. C’est une bonne nouvelle et en même temps une promesse. La bonne nouvelle est qu’il ne faut pas attendre d’être parfaits et sans défaut pour être témoin au sein de la communauté car alors on risque de ne jamais s’engager. La promesse : je peux m’offrir à Dieu, aux autres, tel que je suis. Dieu me déclare « apte pour le service. » Etre témoin ce n’est pas s’annoncer soi-même. Je vois là une promesse vitale : nous voilà définitivement libérés de l’obsession de l’effet de nos annonces.

A l’échelle communautaire, c’est-à-dire de nos Eglises, le vase est parfois épais, encombrant, ou en mauvais état. Mais la promesse et la bonne nouvelle c’est que le trésor que certains s’efforcent de mettre en valeur nous permet malgré tout de vivre de vrais moments de fraternité, d’accueil et de services mutuels. Ce trésor qui n’est autre que la puissance de la vie du Christ en nous, parmi nous, peut ouvrir des chemins là où à vues humaines on ne pressent que des impasses. « Pressés mais non écrasés, désemparés mais non pas désespérés, abattus mais non pas perdus… »

Alors soyons paisiblement, courageusement, joyeusement et sans complexe ce que nous sommes : des vases d’argile, fragiles, ébréchés, cassés, recollés… C’est seulement parce que nous sommes des vases imparfaits, que nous pouvons donner à penser aux autres que le trésor que nous portons, ils peuvent eux aussi en devenir porteurs à leur tour.

Il est question de trésor porté dans des vases d’argile, de contenu et de contenant. Que dit d’essentiel cette comparaison sur notre condition d’humains, de disciples? Quel trésor le témoin-vase a-t-il vocation de porter?

Détails

Avec la participation de
Silvia Ehrensperger
Orgue
Sylvie Pagano
Musique
Haïda Hosseini, soprano