Le Bon Berger donne sa vie pour ses brebis. Et nous, qu'en faisons-nous?

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Vous connaissez l’histoire de la chèvre de Monsieur Seguin, d’Alphonse Daudet ? Lorsque j’étais enfant, j’avais un disque, que j’écoutais pendant des heures. C’est Fernandel qui racontait l’histoire, avec son accent inimitable et cette histoire me fascinait parce que je comprenais la chèvre. Pourquoi rester enfermée? Et en même temps j’étais terrifiée, je savais que le loup allait arriver et que Blanchette allait se faire dévorer. Et j’en voulais terriblement au berger qui n’avait pas su protéger sa jolie chèvre. A chaque fois que je lis le texte du Bon Berger, je pense à Monsieur Seguin.

« Le Bon Berger est prêt à donner sa vie pour ses brebis ». « Je donne ma vie pour mes brebis ». « Je donne ma vie, pour ensuite la reprendre ». « Personne ne me prend la vie, mais je la donne… volontairement. J'ai le pouvoir de la donner et j'ai le pouvoir de la reprendre ».

Ce matin, Jésus nous le dit à plusieurs reprises. C’est pour nous qu’il donne sa vie sur la croix, comme il nous donne sa vie toute entière, pour nous. Mais, vous, comment comprenez-vous ce don – le sacrifice de l’agneau pour nous laver de nos péchés ? Pour autant que laver avec du sang rende plus propre.

Dans ce passage de l’Evangile selon Jean, Jésus se présente comme le Bon Berger, le Bon Berger que Dieu promet dans le livre d’Ezechiel, le Bon Berger qui s’investit tellement dans son troupeau qu’il est prêt à donner sa vie pour chacune de ses brebis, parce qu’il les connaît, chacune. Il y a dans le verbe « donner » une grande richesse. Il y a de l’intention, de la volonté, de la liberté. On peut le comprendre ce verbe donner commme « se dessaisir » mais aussi, si on tient compte du verbe original, comme « placer, installer au bon endroit », « déposer », « consacrer », et même « investir ».

Et pour une fois, je vous propose de réfléchir ensemble en termes économiques parce que c’est un vocabulaire qui m’est familier. Et aussi, parce qu’on parle parfois d’économie du salut, pour décrire le projet que Dieu a pour chacun d’entre nous : un projet de vie en plénitude, de vie éternelle qui commence dans notre vie, dès maintenant.

Alors, en termes économiques, imaginons que le don de la vie du Christ est avant tout un investissement, celui que Dieu fait en tant qu’homme parfaitement libre, un investissement en notre faveur sans que nous ayons rien versé, un investissement qui produit du fruit, des intérêts, un dividende – c’est-à-dire que nous retirons un bénéfice de l’investissement du Christ. Un investissement que Jésus fait librement et souverainement parce que librement et souverainement il peut retrouver sa vie donnée, comme nous l’avons fêté au matin de Pâques. Un investissement dans lequel nous avons-nous aussi un rôle à jouer, une vocation à retrouver.

Christ a donné sa vie pour nous, mais nous ne sommes pas des débiteurs qui devons rembourser une dette. Je ne crois pas que le Dieu d’amour souhaite nous enfermer dans une relation de dépendance. Il nous donne tout, c’est vrai, le premier, mais pour qu’à notre tour, nous devenions heureux, libres et actifs, comme de bons actionnaires qui touchent des intérêts de leur patrimoine et qui les investissent à leur tour pour qu’il continuent à porter du fruit.

Nous ne sommes pas des mercenaires comme ceux qui poussent les entreprises à des décisions anti-sociales, restructurations, licenciements, pour favoriser le plus grand rendement possible à court terme quelles que soient les conséquences. Nous ne sommes pas des loups qui utilisent les faiblesses des autres pour se renforcer. Ce que le Christ espère de nous, c’est que nous devenions de vrais partenaires de son investissement. D’abord parce que c’est le meilleur moyen de montrer notre reconnaissance mais surtout, parce que c’est nettement plus digne et gratifiant.

Dans le monde économique, aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ont choisi d’associer aux décisions ceux qu’on appelle en anglais les stakeholders, c’est-à-dire les « parties prenantes » ou les partenaires. Non seulement les actionnaires, propriétaires de l’entreprise mais aussi les collaborateurs, les consommateurs, les groupes d’intérêt sociaux et écologiques. Les entreprises, qui connaissent une bonne croissance sont celles qui tiennent compte de l’ensemble de leurs partenaires ; celles qui les mettent en dialogue pour assurer non seulement la rentabilité de l’entreprise à court terme mais aussi sa pérennité et son adéquation aux valeurs humaines et sociales sur le long terme.

Imaginez que vous souhaitez lancer un nouveau produit ou un nouveau service sur le marché. Dans le passé, vous imaginiez tout un plan financier, une campagne publicitaire. Aujourd’hui, les grandes entreprises font appel au grand public, à leurs partenaires au sens large. Certains projets naissent sur la base d’un appel financier ouvert à tous : cela s’appelle le financement participatif. D’autres, par exemple, les concepteurs de jeux videos font appel aux personnes qui aiment les jeux pour corriger leur projet. Ils leur montrent les maquettes et ce sont les futurs clients qui donnent leur avis, qui mettent le doigt sur les imperfections et qui proposent des suggestions pertinentes. C’est de cette collaboration active entre partenaires que naissent les projets les plus rentables, les plus durables, les plus socialement adaptés. Parce que les entreprises connaissent leurs partenaires et qu’elles tiennent compte de leurs remarques.

La différence entre le monde économique et le projet de Dieu, c’est que pour lui, le but ultime, ce n’est pas la rentabilité d’une entreprise, son succès. Le but de l’investissement de Jésus, il nous le donne. Il dit : « J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas dans cet enclos, et celles-là Je dois aussi les conduire; elles écouteront ma voix, et il y aura un seul troupeau et un seul berger ».

C’est nous, chacun des êtres humains qui peuplons cette terre. C’est nous qui sommes invités à collaborer pour devenir, à notre tour, capables de connaître l’unité parfaite, cette relation entre le Père et le Fils, modèle de la relation que Jésus établit avec nous et entre nous. Le projet c’est de faire fructifier cet amour à long terme, un long terme qui a les allures de l’éternité.

Et y participer est possible, quelles que soient nos forces, notre temps disponible, notre mobilité. On peut bien sûr donner de soi – s’engager en faveur des autres, rester ou devenir actif dans nos églises qui en ont bien besoin. Mais c’est peut-être aussi de donner notre avis sur ce qui se vit dans nos églises ; partager ce qui nous dérange et nous blesse, ce qui nous nourrit et ce que nous aimerions y trouver. En un mot, comme nous le souhaitons, comme nous le pouvons, devenir partenaires du Christ.

Parce que nos églises sont des outils par lesquels ce projet peut se réaliser ; des outils imparfaits qui doivent s’adapter comme ils l’ont fait au cours des siècles pour demeurer fidèles. Des églises qui, comme nous, avancent vers leur accomplissement pour devenir l’Eglise universelle, seul troupeau dont le Christ est le seul berger.

Nos amis catholiques fêtent aujourd’hui le dimanche des Vocations. Nous aussi nous en avons une : devenir partie prenante de l’investissement du Christ. Quelle que soit la manière dont nous exerçons cette vocation, nous ne sommes pas la chèvre de Monsieur Seguin qui part se faire manger, nous ne serons jamais le Bon Berger puisque seul le Christ l’est. Qui que nous soyons, nous sommes des brebis protégées et aimées appelées à devenir les compagnes et les compagnons du vrai Berger.

Amen

Jésus a donné sa vie pour nous mais comment la recevons-nous ? Comme un sacrifice nécessaire ? Un don à conserver précieusement ? Ou un investissement à faire fructifier ?

Détails

Avec la participation de
Carole Daucourt et Michael Mattart
Orgue
Sébastien Hangartner
Musique
Gérald Rochat à la trompette