Et si nous retrouvions le sens de la rencontre véritable?

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Écouter le culte :

"Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru" c’est ce que nous dit Jésus ce matin.
Bienheureux, en effet ! D’abord, parce qu’avoir la foi c’est une grande source de réconfort et de joie mais aussi parce que c’est difficile de croire sans avoir vu. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Mais pour croire, qu’auriez-vous besoin de voir ? Seriez-vous heureux de toucher un homme couvert de blessures ? N’auriez-vous pas plutôt besoin de miracles, de guérison, de paix ? Dans notre monde où il faut être fort, en bonne santé, performant, je ne suis pas certaine que la vue du sang amène à plus de foi.

Mon collègue et moi avons accompagné une équipe de jeunes au cours des derniers mois, des jeunes qui terminaient leur catéchisme et qui se préparaient à vivre le culte des Rameaux. Et pendant nos rencontres, nous avons bien sûr partagé avec eux des récits de la vie de Jésus dans les Évangiles mais ces jeunes nous ont dit à quel point ils avaient de la peine à croire, à Jésus, aux miracles, à la résurrection. À quel point aussi, en même temps ils auraient besoin de croire, ils aimeraient croire parce que le monde est difficile pour eux.

Mais comme Thomas, ils ont besoin de signes concrets, tangibles. Ils demandent à voir avant de croire en Dieu, avant de croire tout court. Et oui, même eux, qui vivent à longueur de temps dans le virtuel, dans les jeux vidéo, sur les réseaux sociaux. Eux qui parfois cherchent l’amour via des sites de rencontre et bien, eux aussi, ils nous disent que rien ne remplace une vraie rencontre. Alors si c’est valable pour eux, je crois que ça l’est aussi pour nous. Et que ça l’est encore plus pour la plus importante des rencontres, celle avec Dieu.

Cette rencontre en direct avec Dieu ou avec ses messagers, certains l’ont vécu. La Bible nous en parle : Abraham aux chênes de Mamré, Moïse sur l’Horeb et puis Salomon, près de la tente de la rencontre, dans le récit du livre des Chroniques, que nous venons d’entendre. Autant de lieux, de circonstances, de raisons différentes dans lesquelles Dieu se révèle à un être humain.

Plus près de nous, au début du siècle dernier, André Frossard, a lui aussi vécu une rencontre forte dans une chapelle, une rencontre à laquelle rien ne le préparait, lui qui venait d’une famille athée. Il en a même tiré un livre « Dieu existe, je l’ai rencontré ». Et cela m’arrive parfois d’entendre des histoires surprenantes de personnes qui, aujourd’hui encore, vivent à un moment de leur vie, une expérience forte, une expérience de rencontre avec Dieu qui les bouleverse et qu’elles ont de la peine à décrire. Parce que les mots ne suffisent pas pour dire l’indescriptible.

Mais il y a tous les autres, les jeunes du catéchisme. Vous peut-être qui n’avez pas vécu de rencontre en direct et qui pourtant auriez besoin de traverser le doute, besoin d’ancrer votre foi. Pour nous tous, comment faire pour que notre foi s’appuie sur du concret ? Dieu en qui je crois n’est pas absent ni indifférent à nos questions. Il les entend. Il les habite et le récit de la rencontre de Jésus avec Thomas dans l’Evangile selon Jean nous guide pour avancer ensemble.

Dans ce texte que nous avons entendu, Jésus apparaît à ses disciples après sa résurrection pour la troisième fois. Il y a d’abord Marie-Madeleine qui le voit près du tombeau, sans le reconnaître tout de suite, et puis, Jésus apparaît le soir même à ses disciples rassemblés. Dans une maison dont toutes les portes sont fermées. Seul Thomas est absent.

Thomas écoute le récit de ses amis mais ça ne lui suffit pas parce que pour lui, comme pour les jeunes du catéchisme, comme pour nous, on n’apprend pas la foi comme on apprend une langue étrangère. Par professeur interposé. La foi c’est une expérience à vivre. Alors c’est ce que propose Jésus à Thomas qui doute, une expérience, un vécu, une rencontre gratuite.

Et Jésus est de retour quand bien même les portes de la maison sont toujours fermées. Jésus redonne la paix à ses disciples mais cette fois, il s’adresse directement à Thomas. Il lui dit : «Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi.» Jésus sait que, comme nous, Thomas se pose des questions. Alors il lui dit : « Regarde mes blessures. Approche-toi d’elles parce que c’est par elles que je te rejoins en humanité, gratuitement». Pour faire de Thomas un homme qui croit, Jésus ressuscité s’offre pleinement à lui, dans toute sa fragilité humaine blessée. Thomas reçoit sans avoir eu le temps de le demander à Jésus. Et ce don gratuit que lui fait Jésus est si fort que Thomas du fond de son doute peut désormais s’écrier « Mon Seigneur et mon Dieu ».

Elles sont rares dans notre vie ces rencontres où nous recevons sans avoir demandé. Ces rencontres gratuites qui nous révèlent les uns aux autres. Et pourtant, les rencontres ne manquent pas. Il y a dans notre monde une grande mode des séances de toutes sortes, avec des buts précis, un objectif à atteindre, un projet à construire. Dans chaque entreprise, chaque organisation, et même dans nos églises, les séances doivent être utiles et performantes parce que les enjeux sont élevés. Alors toutes ces occasions de rencontres se multiplient. Elles sont pour la plupart nécessaires bien sûr mais elles laissent de moins en moins de disponibilité en nous pour la rencontre gratuite, celle qui s’ouvre simplement à la découverte de l’autre. Ces rencontres gratuites où face à nous quelqu’un se livre dans sa fragilité et dans ses joies. Ces rencontres où en nous ouvrant à l’autre, nous le comprenons mieux. Et nous comprenons mieux qui nous sommes.

Il y quelques semaines, nous vivions un conseil de paroisse. Nous sommes une bonne équipe qui s’apprécie et travaille en toute confiance mais, il faut le dire, nos séances sont bien souvent consacrées à résoudre les aspects financiers et administratifs. Alors, à la fin de la séance, au moment du tour de table, un des conseillers a pris la parole. Il nous a dit « On devrait passer du temps ensemble, sans séance ». Et il a raison. Dans le milieu économique d’où je viens, on le sait bien. Si les séances productives améliorent le rendement à court terme, elles ne cimentent pas les équipes. Et si je repense aux jeunes, bien sûr qu’il est important que leur temps soit consacré à recevoir des enseignements, à se former, pour qu’ils puissent trouver leur place dans ce monde mais à force de remplir leur temps avec des activités jugées utiles, on passe à côté de leurs réels besoins. Ce n’est pas étonnant qu’ils soient si souvent sur leur natel, peut-être le seul endroit où ils peuvent se livrer et se découvrir gratuitement les uns les autres, même si les conditions ne sont pas idéales.

Ce dont les jeunes ont besoin avant tout, c’est d’avoir face à eux des adultes bienveillants, prêts à les écouter, à les écouter attentivement, sans jugement, sans évaluation. Des adultes prêts à les rejoindre dans leurs doutes et leurs questions, dans leurs espoirs et dans leurs blessures.

Vous le savez mieux que d’autres, vous aussi, qui nous écoutez depuis votre lit d’hôpital, votre cellule, ou simplement depuis chez vous. Vous savez que la relation, la confiance ne se construit pas par des gestes utiles, et minutés. Une relation véritable se construit dans la simplicité du don de soi, lorsque l’un et l’autre, nous osons nous livrer, dans ce que nous avons de plus fragile, de plus lumineux, de plus humain. Dans l’Evangile de ce matin, les blessures de Jésus ne sont pas contagieuses, Thomas ne les attrape pas. Ce qu’il attrape, c’est la foi !

« Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru” nous dit Jésus. Pour passer du doute à la foi, il n’est pas nécessaire de vivre une apparition. Ce que nous dit le Christ ressuscité ce matin, c’est que si nous souhaitons le rencontrer, il se révèle, présent et accessible dans la gratuité que nous vivons au coeur de nos rencontres, quelles que soient les marques et les blessures de notre âme et de notre corps. Et lorsque nous osons être nous-mêmes et nous dire en vérité et lorsque nous osons recevoir l’autre tel qu’il est, nous sommes ici-bas, bienheureux, parce que notre vie entière devient le site gratuit de la rencontre. Amen

Nous courons d’une rencontre utile à l’autre en adoptant des masques qui cachent notre vraie nature. Et si nous retrouvions le sens de la rencontre véritable?
A Thomas qui a besoin de voir pour croire, Jésus montre ses blessures. Et nous? Quelle énergie nous mettons à présenter au monde un visage lisse! Jésus nous guide pour montrer tout ce qui en nous donne tout son sens à une relation gratuite et sincère

Détails

Avec la participation de
Patrick David, Dominique Turmel
Orgue
Nouchka Favez
Musique
Yseult Schmetz, soliste