La gloire de Dieu, c'est l'homme debout

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Écouter le culte :

Notre communauté paroissiale est en train de vivre de nombreux deuils et nous ne sommes pas les seuls. À chaque fois, c’est l’occasion de constater que nous, les humains, sommes des êtres de relation. Quand nous perdons un proche, nous avons besoin de nous retrouver entre nous, de reconstituer la famille, la communauté, de refaire corps.

Quand un lien a été coupé, nous avons besoin de ressentir les autres liens, ceux qui nous rattachent aux personnes encore vivantes. Nous sommes comme l’araignée qui a besoin de vérifier tous les fils de sa toile quand l’un d’eux a été coupé.

Ces relations nous tiennent debout et nous donnent notre identité et le sens de notre vie. Avez-vous remarqué comment nous nous présentons ? Prenons l’exemple des collations qui suivent les services funèbres. Comment allez-vous vous présenter ? En disant votre lien avec le défunt.

« Je suis le petit-fils de, le collègue de, le voisin ». Je me situe dans le réseau de relations. En disant cela, je raconte non seulement qui je suis mais aussi ce que je fais :
• Je suis son fils, j’allais le voir tous les dimanches à l’EMS.
• Je suis sa voisine, c’est moi qui faisais ses courses quand il ne pouvait plus marcher.
• Je suis son copain, on se racontait les bons souvenirs du temps passé.
• Je suis son médecin, c’est moi qui le soignais.

Chacune de nos relations raconte un bout de notre identité et de notre activité, de ce qui est important pour nous. Chacune de nos relations est comme une danse de couple où chacun a son rôle et sa mission. Le rôle de l’homme est de faire tournoyer sa partenaire et le rôle de la femme est de réussir les pirouettes. Nous dansons ainsi notre vie avec de nombreux partenaires. Les rythmes, les pas, les figures sont à chaque fois différents, bien sûr. Mais toutes ces danses racontent qui je suis, ce que je fais, ou je vais.

Quand la mort frappe un de nos partenaires, la danse s’arrête et nous laisse inertes, désorientés. Que va devenir l’épouse qui allait voir son mari tous les après-midi à l’EMS ? Elle ne perd pas seulement l’homme de sa vie, mais aussi un bout de sa vie, un bout de son identité, un bout de sa mission.

Quand ma partenaire de danse s’effondre et tombe par terre, je ne vais pas en chercher une autre. Je m’arrête, je me penche sur elle, j’essaie de l’aider, de la relever. Quand la danse s’arrête, je reste lié, je reste partenaire.
Il en est exactement de même dans la vie : quand un des partenaires de ma vie s’effondre, je m’arrête aussi. Son immobilité devient la mienne. Je ne vais pas ailleurs, je tourne autour, je reste en lien, même si la danse n’est plus possible.
Contrairement à ce que j’ai souvent pensé et dit, la mort ne coupe pas le lien. Elle terrasse un partenaire et immobilise l’autre, le garde enchaîné.

Regardez les amies de Jésus, Marie de Magdala et l’autre Marie : où vont-elles ? Au cimetière, au tombeau de leur maître. Un des partenaires est tombé, l’autre s’affaire autour. En une phrase simple, l’évangéliste exprime le drame de la mort : Marie de Magdala et l’autre Marie vont voir le tombeau. Normalement, ce sont les amis que nous allons voir. Là, il n’y a plus qu’une tombe à voir. Alors, Matthieu utilise un autre verbe : observer.
Ceux qui ont traversé un deuil connaissent bien cela : on va voir le lieu où notre proche a été déposé. Nous ne pouvons plus voir au sens de rencontrer, alors nous allons voir, au sens d’observer. Nous restons attachés sans pouvoir rencontrer : quel drame ! Le lien n’est plus une relation, il est un enchaînement, il n’est plus porteur de vie et de joie, mais de mort et de tristesse.
Le regard de celui qui a perdu un partenaire de vie est dirigé vers le sol, vers la terre où l’autre s’est effondré. C’est un regard abattu, un regard fixe. Il faut quelque chose de fort, un véritable séisme pour que le regard lâche la terre et change de direction.

Matthieu nous raconte ce séisme avec les mots typiques des manifestations de Dieu dans l’Ancien Testament : tremblement de terre, éclair. Dieu intervient, fortement, pour attirer le regard des femmes ailleurs. Le Messager du Seigneur veut les orienter ailleurs : « Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n’est pas ici ». Vous cherchez au mauvais endroit. Autrement dit, vous êtes reliées à la mauvaise personne. Jésus, le crucifié, n’est pas un cadavre. Jésus, le crucifié, est un vivant. Ne restez pas liées à cette tombe, attachées à ce cimetière, car c’est une coquille vide. Jésus, le crucifié, n’est pas ici.
Et pour les aider à intégrer cette énormité, le Messager du Seigneur les invite à voir dans la tombe : elle est bien vide ! Il gisait là mais c’est du passé.

Les deux Marie sont délivrées du tombeau. Le lien avec Jésus était devenu un lien avec la mort, un lien avec la tristesse, avec le désespoir : que faire sans Jésus ? Pourquoi continuer à vivre sans lui ? Quel sens cela a-t-il ? Toutes ces questions que vous connaissez aussi. Ce lien avec la mort a été coupé et les femmes libérées.
Pour cela, il a fallu que le Messager du Seigneur arrive avec tremblement de terre et vêtements éclatants. Ce n’était pas pour libérer Jésus de la tombe, il n’y était déjà plus. C’était pour que les femmes puissent ouvrir les yeux : la mort est une coquille vide.

Aujourd’hui, j’arrive beaucoup plus modestement que le messager de cette époque. Il n’y a pas eu de tremblements de terre et ma robe pastorale n’est pas aussi éclatante. Mais mon message est le même : la tombe de votre partenaire de vie est une coquille vide, ne restez pas attachés à la mort.
Mais alors quoi ? Où faut-il aller ? Que faut-il faire ? J’ai l’impression que la réponse ne va pas être simple. Si l’on retourne au Messager du Seigneur, nous constatons qu’il ne se borne pas à faire visiter la coquille vide du tombeau. Il renvoie les femmes vers les disciples avec un message.

La première chose que j’aimerais relever, c’est que les femmes sont renvoyées vers les vivants, vers la communauté des disciples. Libérées du lien au tombeau, elles peuvent retourner dans les liens qui portent la vie. C’est pour cela que les collations sont si importantes après les services funèbres : parce qu’il faut retourner à la vie, à la communauté.
La deuxième chose que j’aimerais relever réside dans le contenu du message : « Allez dire aux disciples : il est ressuscité des morts, il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez ». Les deux Marie deviennent des messagères de vie. C’est à elles désormais de transmettre le message de l’ange. Délivrées de la mort, c’est à elles qu’il revient de délivrer les autres.

Elles n’annoncent pas seulement que Jésus est vivant, elles annoncent aussi que la relation avec lui est encore possible : vous le verrez. Le verbe reprend son sens de rencontrer. Il ne s’agit plus d’aller observer une tombe mais de rencontrer un ami, comme au bon vieux temps. Vous n’êtes pas les disciples d’un mort mais d’un vivant.
Je me suis longtemps demandé pourquoi les disciples de Jésus devaient retourner en Galilée. Et j’ai réalisé que Jésus renvoyait les disciples chez eux, dans leur contrée, dans le lieu qu’ils avaient quitté pour suivre Jésus. Maintenant, ils peuvent y retourner, rester chez eux… et en même temps voir Jésus, le rencontrer « spirituellement ».

Jésus n’est plus un corps qui peut être localisé à un endroit, il est un ami que je peux rencontrer chez moi, dans mon lieu de vie. La preuve ? Quand Jésus rencontre les deux Marie à la sortie du cimetière, il ne reste pas avec elles. Au contraire, il les renvoie vers les disciples. Sa présence physique ne semble plus avoir de valeur.
Désormais, ce qui est important, ce n’est pas d’être avec le corps de Jésus mais d’être rempli de joie parce qu’il n’est plus dans la tombe. Il est avec moi, où que je sois.
Ce qui est vrai pour les Marie et pour les disciples l’est aussi pour nous qui avons perdu un proche. Nous pouvons retourner dans notre Galilée, dans notre lieu de vie, vers nos vivants à nous. Nous n’avons plus à être attachés à la tombe, à un mort. Car cette tombe est aussi une coquille vide.

Dieu l’a vidée aussi discrètement que celle de son fils Jésus. Il n’a pas pris le corps, mais la personne qui y était enfermée. Nous pouvons quitter la tombe, nous pouvons couper ce lien, sans pour autant abandonner notre proche à la mort. Car désormais, c’est Dieu qui le prend en charge, c’est Dieu qui le fait vivre.

Amen.

La peur est omniprésente dans le récit de Matthieu : la résurrection serait-elle une nouvelle si effrayante ? Avons-nous bien pris la mesure de ce qui s’est passé ce matin de Pâques ?Le calme du cimetière de Jérusalem est brusquement troublé par une manifestation céleste et tonitruante. Comme une pierre tombée dans l’eau, l’ange du Seigneur fait des vagues et des remous qui suscitent la peur.
Le tombeau vide qu’il dévoile est encore plus déstabilisant : l’ordre immuable de la vie qui s’achève dans la mort est tout d’un coup remis en cause. Si les morts ne sont plus ce qu’ils étaient, les vivants pourront-ils rester ce qu’ils ont toujours été ?

Détails

Avec la participation de
Laurent Jordan, Claire Ray et Catherine Wüthrich
Orgue
Suzanne Gentizon
Musique
Pascal Braillard, trompette