Imiter Jésus-Christ

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Écouter le culte :

Chères paroissiennes, chers paroissiens, chères auditrices, chers auditeurs,

« Que votre attitude soit identique à celle de Jésus-Christ » (Phil. 2:5) – Paul invite les Chrétiens à Philippes à être motivés par l’exemple de Jésus-Christ en évoquant un hymne que la paroisse avait déjà souvent chanté pendant les cultes. Nous trouvons cet hymne dans les versets 6 à 11 du chapitre 2 de la lettre de Paul aux Philippiens que nous venons d’entendre comme lecture biblique.

En fait, nous, les membres de la paroisse francophone du canton de Zurich, nous avons déjà souvent utilisé l’hymne des Philippiens comme confession de foi. Et nous avons toute raison d’utiliser ainsi ce passage biblique. Il est en effet un des premiers grands textes de la christologie de la première Eglise ayant des racines dans les années quarante, c’est-à-dire, très peu de temps après la mort et la résurrection de Jésus. Pour la première fois, les trois idées que (1) le Christ a existé déjà depuis toujours (ce qu’on nomme dans le jargon théologique la « préexistence » du Christ), que (2) il a vécu parmi nous et qu’il est mort sur la croix, et (3) qu’il est ressuscité des morts pour être élevé à la plus haute place comme Seigneur de l’univers – ces trois idées confluent dans cet hymne pour former un ensemble qui est la première confession christologique par écrit que nous connaissons.

Ayant compris la signification et l’importance de cet hymne, il faut constater que la demande de Paul est quand même un très grand défi. Est-ce que c’est possible d’imiter le Christ de la manière qu'il décrit?

Aux Philippines (en Asie), pour prendre l’exemple le plus extrême dont j’ai été témoin dans ma vie : j’ai vu des gens qui se sont faits clouer sur une croix lors d’une procession de Vendredi saint. Ils voulaient vraiment et radicalement imiter Jésus-Christ. J’ai cité l’exemple le plus extrême, mais il y a encore beaucoup de variations un peu moins extrêmes mais qui vont dans le même sens, celui d’imiter radicalement Jésus-Christ. Il y a beaucoup de Chrétiens qui choisissent un aspect de la vie spirituelle, une conclusion individuelle parmi leurs réflexions théologiques ou un seul verset biblique en particulier et les déclarent comme des aspects de la foi absolument non négociables. Il y a ceux et celles qui veulent prendre au sérieux « toute la vérité de la bible » et l’interprètent de manière strictement littérale. Il y a ceux qui se sont convertis à l’Islam parce qu’ils pensent que c’est la religion la plus cohérente et que sa pratique religieuse est la plus stricte que possible. Il y a aussi, cette fois parmi certains croyants juifs, l’idée que si nous satisfaisions pendant une journée toutes les lois de la bible, le Messie, par voie de conséquence, reviendrait pour établir son Royaume éternel. Et il y a beaucoup d’autres exemples d’une foi radicalisée.

Notre époque souffre de trop d’adeptes d’une religiosité radicalisée, sinon fondamentaliste. Paul, en nous invitant à être motivés par l’exemple de Jésus-Christ, ne nous exhorte pas à adopter une vie spirituellement rigide. Il ne nous invite pas à une théologie exclusive mais à une relation unique avec le Christ vivant. Et il ne veut pas nous en demander trop. Christ est Christ, et nous sommes nous. Nous ne devons pas devenir Dieu. Tout au contraire, l’Evangile consiste en Dieu devenu être humain. L’Evangile exprimé par l’hymne des Philippiens est l’Evangile de notre libération et ne nous soumet pas à de nouvelles contraintes. Dans ce sens, Paul ne nous demande pas d'imiter Jésus-Christ mais d'atteindre une « attitude identique à celle de Jésus-Christ ». C’est bien clair aussi, qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle sorte de vie religieuse. Cette vie est en relation unique avec le Christ, mais libre de tout moralisme et d’une opinion toute faite sur la nature des choses.

Pendant les premiers siècles de notre ère, les Eglises ont débattu intensivement du problème de la « nature » ou de « l’essence », c’est-à-dire, de l’identité de Jésus-Christ. Qui est ce Jésus-Christ que nous devrions imiter ? Est-ce qu’il est Dieu … ou un homme ? … Et qui sommes-nous, si nous devons l’imiter ? C’était une discussion tout à fait nécessaire en dialogue avec la pensée helléniste.

Mais c’est ma conviction que l’hymne ne se focalise justement pas sur la discussion intéressante et importante des « natures » différentes du Christ, humaine ou divine. Paul, en général, ne s’intéresse pas au dieu des philosophes qui est infini, immuable, omniscient, omnipotent, etc. etc., à toutes ces caractéristiques que le monde helléniste attribue à ses divinités. Et c’est dans ce sens que Paul utilise l’hymne qui ne décrit pas le Christ au moyen d’une série d’adjectifs (infini, immuable etc.) mais en parlant de son comportement et de sa grande capacité de former des relations d’amour avec tout son environnement, en particulier, bien sûr, avec nous les êtres humains. Jésus-Christ s’est manifesté comme le grand communicateur qui établit une bonne relation entre Dieu et l’homme, entre l’homme et le monde. Jésus-Christ est celui qui sait guérir les relations !


L’hymne loue le Christ parce qu’il « s'est dépouillé lui-même » – autrement dit, «s'est vidé» de tout ce qui pouvait être divin «en devenant semblable aux êtres humains». La question de l’identité semble donc être la mauvaise question, si le Christ divin ne « regarde » pas « son égalité avec Dieu comme un butin à préserver » mais abandonne son identité pour devenir un homme. Le Christ se vide de lui-même pour devenir disponible à ceux et celles qu’il aime. Il est devenu libre de lui-même pour devenir nous – telle est sa solidarité avec nous. Ce changement d’identité salvatrice est beaucoup plus radical que l’accomplissement de toutes les lois religieuses. (Ce changement d’identité pose un défi énorme pour une pensée, en fait n’est pas possible dans le cadre d’une pensée, qui insiste rigidement sur l’importance de l’essence, de la substance ou de l’identité précise des choses.)

Le vide – ou le dépouillement – ne crée pas seulement dans notre cœur un espace pour le prochain, mais aussi un espace de relation entre celui qui aime et celui qui est aimé. Le vide ne représente donc pas un «rien», mais l’espace de l’amour du prochain. Paul veut attirer notre attention sur ce qui se passe dans cet espace relationnel. Il décrit cet espace dans les versets 2b à 4 (Phil. 2) : « Ayez un même amour, un même cœur, une unité de pensée. Ne faites rien par esprit de rivalité ou par désir d'une gloire sans valeur, mais avec humilité considérez les autres comme supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous, au lieu de regarder à ses propres intérêts, regarde aussi à ceux des autres. » Ici, Paul ne prêche pas un principe religieux général. Non, il applique ces mots, sans l’expliquer en détail, à une situation paroissiale à Philippe, qui est marquée, par de grands problèmes de gestion et de direction. Il dit aux Philippiens qu’en atteignant l’attitude du Christ nous ne devons pas être préoccupés par « ce qui est à nous », par nos caractéristiques ou par ce qui nous est propre.

L’hymne des Philippiens rejette donc tout culte de la personnalité et de l’individualisme poussé à l’extrême. Il renverse la logique selon laquelle nous devons tout d’abord connaître notre identité pour connaître notre destinée ou notre vocation. Selon la logique implicite de l’hymne, l’essence de notre identité n’est pas un certain «noyau» indestructible et inchangeable quelque part dans notre âme ou dans notre cœur. L’essence de notre identité est notre relation avec Dieu – et découlant de cette relation de base notre relation avec le prochain.

Pour trouver notre identité nous devons donc suivre la vocation ou l’appel de Dieu touchant notre cœur, afin de servir et d’aimer le prochain. En réagissant aux besoins de ceux et celles qui souffrent dans ce monde et en devenant complètement disponibles au service du prochain, nous découvrirons notre identité. Mais, encore une fois, seulement un récipient vide est capable de devenir utile.

Le dépouillement en question ne consiste d’ailleurs que provisoirement en une certaine souffrance. C’est vrai pour le Christ qui a finalement « été élevé à la plus haute place » et qui a reçu « le nom qui est au-dessus de tout nom ». Nous aussi trouverons notre destinée, parce que la vie de ceux et celles prêts à « considérer les autres comme supérieurs à eux-mêmes » et à « regarder aussi aux intérêts des autres » (Phil. 2:3-4) sera accomplie ; nous pouvons nous y fier.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Véréna Wenger
Orgue
Philipp Reinhard
Musique
Choraler "Les Messagers d’Afrique"