Papa, maman et moi

image

Écouter le culte :

Ce que nous enseignent nos vies, comme ce que nous enseigne la bible, c'est qu'il y a un commencement à toute chose, Dans la Bible, ce commencement prend le nom de création et pour nos vies ce commencement prend le nom de naissance. Je peux faire toutes les hypothèses possibles et imaginables que je souhaite sur la réincarnation, sur le rien ne se crée, tout se transforme, il n’en reste pas moins scientifiquement incontestable qu’un beau jour de 1954, dans les 10 premiers jours du mois de juillet, mon père Jean Seiler et ma mère Elisabeth Schmezer m’ont permis en un instant de commencer ma vie. Avant cette date je n’existais pas, depuis cette date je vis. Depuis le 10 février 1955, je vis animé de mon propre souffle et me libérant peu à peu de ce qui n’était pas moi-même, je vis maintenant de plus en plus de ce que je suis moi-même en vérité. Voilà la véritable et à la fois redoutable réalité de ma vie.
Jésus s'est particulièrement intéressé à tous les commencements. Bien souvent dans nombre de débats avec ses contradicteurs qui animent son ministère, il remonte au récit des origines : au commencement il n'y en était pas ainsi. Ou à ses disciples qui l'exaspèrent avec leurs préoccupations par trop adultes, il leur place un petit enfant, un très jeune enfant au milieu d'eux en leur disant : si vous ne ressemblez pas à l'un de ces enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. Donc si vous n'êtes pas en état de commencement vous ne saurez pas vivre la fin. Dans tout son intérêt pour le commencement Jésus semble nous indiquer que vivre c'est savoir, non pas essentiellement se charger d' expériences qui nous construiraient en toute une vie, mais bien plutôt se débarrasser de ce que nous avons appris de faux, pour renaître à la vérité.

C’est l'enseignement principal de notre récit pour aujourd'hui. Écoutez ces pharisiens : « Dis donc, tes disciples ils ont bien appris ce que c'est que d’être de vrais fidèles : il faut se purifier avant de manger, il faut manger ceci mais pas cela, il faut nettoyer les coupes les cruches et les vases. Et surtout manger après s’être purifié les mains en les lavant. Jésus n'hésite pas une minute à remettre en cause tout cet acquis en affirmant qu'être fidèle à la volonté de dieu, c'est d'abord de se démarquer de la tradition des hommes, c'est essayer de retrouver la vérité du commencement comme une redécouverte d'une vérité de l'origine qui serait pervertie par l'expérience humaine.
Ces accents nous rappellent fortement les idées de celui dont nous fêtons les 300 ans de la naissance cette année et dont les genevois revendiquent de manière assez incohérente la « suissitude » d'ailleurs, Jean Jacques Rousseau. L'occasion de l'anniversaire de cet homme serait plutôt l'occasion pour nous de remarquer tout le tissu d'intolérance que Genève, Berne puis Neuchâtel plus tard ont su tisser autour des idées novatrices de cet homme au 18eme siècle.
Et permettez-moi cette petite digression en écoutant le résumé de l’histoire des relations de J.-Jacques Rousseau avec la Suisse : ayant quitté Genève à 16 ans suite à la brutalité de son maître d’apprentissage, M. Ducommun, il revient chercher refuge en Suisse en 1762. 34 ans plus tard ! Et il est alors condamné à l’exil par Berne et Genève, qui n’apprécient pas du tout, ni le Contrat Social, ni l’Émile. il se réfugie alors à Môtiers, Neuchâtel. Les pasteurs genevois mènent une lutte contre ses idées et le pasteur Montmollin de Môtiers cherche lui aussi à l’excommunier avec le soutien de la soi-disant vénérable classe des pasteurs de Neuchâtel. Après s’être brièvement réfugié sur l’ile Saint Pierre, chassé une fois de plus par Berne, il ira mourir en France à Ermenonville au nord de Paris. Alors franchement cette année Rousseau devrait vraiment être l’occasion − surtout pour nos églises − de demander pardon pour les actes d’intolérance de nos pères vis-à-vis de Jean-Jacques Rousseau.

Toujours est-il que lui, aussi, avait acquis cette conviction que découvrir le bonheur de la vie était de retrouver son état de nature, que l'expérience de la vie pervertissait cet état idyllique d'une bonté qui remontait à la naissance. Mais là s'arrête la complicité d'idée avec celle que Jésus veut partager avec nous et avec une différence de taille, celle de la bonté naturelle de l'homme ou pas. Pour Rousseau la bonté de l'homme est originelle, pour Jésus pas et l'évangile de la nature humaine réside dans cette formidable affirmation présente dans notre texte : « Écoutez-moi tous et comprenez. Il n'est hors de l'homme rien qui, entrant en lui, puisse le souiller, mais ce qui sort de l'homme, c'est ce qui le souille. Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende. »
Le texte de l’évangile nous précise d’ailleurs que Jésus en fait un enseignement de portée générale en introduisant cette puissante vérité par le détail suivant : « Ensuite, ayant de nouveau appelé la foule à lui, il lui dit.. » Après avoir réglé leur sort aux traditions en ne s’adressant qu’aux pharisiens, il énonce alors un évangile pour tous : «Il n'est hors de l'homme rien qui, entrant en lui, puisse le souiller, mais ce qui sort de l'homme, c'est ce qui le souille. Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende !» Ce qui sort de l'homme, c'est ce qui souille l'homme..., désolé Jean-Jacques ! Mais c’est bien Jésus qui a raison sur ce point. Je dois échapper pour vraiment avancer dans la béatitude à ce qui vient de moi, pas à ce qui vient des autres. Ce ne sont pas les autres qui me rendent malheureux, c’est moi-même. Si je ne me débarrasse pas de ce qui m’encombre − allez pour le dire avec les mots qu’a dû employer Farel ici-même en 1530 ! − si je ne me débarrasse pas de mon péché, je ne peux découvrir la vraie vie en Christ.

Qui a su comprendre cela depuis le jour où Jésus a prononcé ces paroles ? Eh bien pas grand monde : nos églises sont vite devenues et pas que dans le passé, des dispensatrices de codes et de traditions, des mines de lois morales qui vont toutes dans le sens inverse de ces paroles révolutionnaires de Jésus. C’est-à-dire qui sournoisement tentent de nous protéger de ce qui vient de l’extérieur pour ne pas avoir à s’attacher au combat évangélique primordial qui est de lutter contre nos intérieurs. Il aura fallu attendre dans nos églises le mariage tout récent entre la psychologie des profondeurs et la théologie pour voir naître une pensée en accord avec ces paroles du Christ.
Et cette vérité « Ce qui sort de l’homme, c’est ce qui souille l’homme… » est pourtant pleine de conséquences tellement bénéfiques pour comprendre toutes les autres vérités évangéliques :
La première de ces vérités c’est l’amour : non ce ne sont pas les autres qui me rendent malheureux, c’est bien moi-même ! C’est une idée nécessaire pour pratiquer l’amour évangélique : non ce ne sont pas les autres qui sont responsables de ce qui ne va pas en moi. Si moi-même je parviens enfin à m’aimer, alors je peux aimer les autres et il y a tellement de conséquences pratiques à cette idée pour notre vie d’église. Par exemple pour moi ici, je dois dire non ce n’est pas parce que mes paroissiens sont bêtes et méchants que je ne les vois pas accourir à l’église. C’est sans aucun doute que c’est moi qui ne sait pas leur donner le goût de venir, mais exactement tout comme un paroissien adulte doit penser d’ailleurs : ce n’est pas parce que le pasteur ne fait pas ci ou ça, ne dit pas ci ou ça que l’église ne m’intéresse pas. C’est sans aucun doute que j’ai d’abord à régler quelques comptes avec moi-même.

La seconde vérité : qu’est-ce que pratiquer la foi ? Pratiquer la foi ce n’est pas se conformer à des règles soi-disant protectrices pour ma « pureté » et qui me préserveraient de ce qui vient de l’extérieur : oui je peux manger du porc, oui je peux être du peuple de dieu sans être circoncis, oui je ne crains rien d’être en relation avec des gens peu recommandables, oui je peux écouter du rock dit satanique sans tomber dans le satanisme, oui je n’ai pas l’ombre d’une crainte pour ma foi en Christ en me confrontant à un monde sans dieu ou en dialoguant avec d’autres religions, oui mes enfants ne sont pas menacés s’ils fréquentent une école laïque ou la religion n’a aucune place. Mon vrai combat c’est l’intérieur de moi-même. C’est là que se cache ce qui me souille.

Alors finissons-en, en appliquant cette parole du Christ sur ce commencement d’une nouvelle manière de vivre l’église ici dans la prévôté : une nouvelle manière que nous avons baptisé par8 Et nous nous rendons bien compte qu’il ne s’agit pas de mettre ensemble les huit réalités des huit paroisses pour faire un par8, mais qu’il faut adopter une nouvelle vision d’église. Cette mutation rejoint ce que vivent pratiquement toutes nos communautés en Suisse et part de ce constat : la soi-disant force et vie extraordinaire de nos paroisses d’antan est tout de même la forme d’église qui a généré ce que nous connaissons aujourd’hui, elle a fini par devenir une tradition qui a épuisé toute la vie communautaire, parce que l’on se s’interrogeait plus sur soi, sur son intérieur, mais beaucoup plus sur les formes que pouvait prendre notre appartenance à l’église et surtout bien entendu sur le comment les autres devaient être pour vivre dans notre église.
Le « Ça…, ça c’est toujours fait comme ça ! » est devenu clairement synonyme pour moi de « Eh bien ça ne peut plus du tout se faire comme ça !» parce qu’en fait plus personne n’a de plaisir à faire comme ça, même ceux qui le revendiquent souvent par réaction. La tradition, si elle ne se pratique plus, ne produit plus rien, elle est mortifère. Elle est forcément devenue un ensemble de pratiques qui honorent des lèvres, mais dont le cœur reste totalement éloigné de dieu. Alors il est temps de vivre des pratiques où la foi n’est pas sur les lèvres, mais bien une pratique qui touche au cœur. Et bibliquement le cœur ce n’est pas le siège des sentiments, mais bien de tout l’intérieur.
Nous devons apprendre à cultiver ces espaces qui sont le lieu même de la foi, là-dedans quelque part en nous entre le cœur, les poumons, le cerveau, la rate et le foie et c’est un travail pour lequel l’église ne peut fournir que des outils : des lieux de prière accessibles en toute liberté et bien préparés sans avoir de suite quelqu’un qui veut se charger de cultiver votre jardin à votre place, des rencontres qui fassent plaisir, qui créent la confiance et qui permettent à chacun d’avancer à sa mesure dans le débroussaillage de son être, des cultes à peu importe quel moment, mais des cultes tels que les moines et les moniales nous les font découvrir depuis toujours et qui privilégient à la fois le silence dans lequel seul Dieu sait parler et donc la profonde liberté intérieure nécessaire pour que la foi de chacun se développe. Si le Christ nous invite à remettre en cause les traditions mortes − que pleins de bonne volonté nous essayons de maintenir à tout prix − c’est sans aucun doute pour nous faire goûter à la puissance des commencements qu’il veut nous communiquer.

Amen

Détails

Avec la participation de
Patric Reusser, Jean-Louis Jabas, julien Gobas et Cécile Kummer
Orgue
Musique
Fanfare "la Persévérance " de Grandval sous la direction de Jean-Daniel Wisard