Les surprises d'un saint vendredi

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Écouter le culte :

C’est toujours un défi de préparer le culte de Vendredi Saint. C’est pourquoi, cette année, j’ai saisi l’occasion de relire ces textes avec de nombreux paroissiens : des catéchumènes des écoles primaires et secondaires, des groupes de maison et lors de visite. Je me ferai le porte-voix de nos découvertes. J’aimerais les résumer en cinq mots :

1) Tout d’abord décalage. Il y a un décalage entre Jésus d’une part, supportant avec dignité la méchanceté et la douleur, et d’autre part les responsables politiques et religieux, les soldats et la foule qui sont tous tellement lamentables par leur violence. A l’exception de deux ou trois personnes, ce n’est que moqueries et lâcheté, violence gratuite et magouilles pour condamner un innocent. Par effet de groupe et par esprit de vengeance, tous s’acharnent sur Jésus qui, lui, choisit de ne pas riposter. 2’000 ans plus tard, le monde n’a pas beaucoup changé : les rapports de force sont bien souvent prépondérants au détriment des rapports de droit.
Comme chrétien, nous devons à aller à contre-sens : chaque fois que nous acceptons, ne serait-ce que par notre indifférence, que l’injustice règne, c’est Jésus que nous recrucifions. Car Jésus ne se met jamais du côté des oppresseurs. Il nous appartient, comme personnes et comme églises, de lutter contre l’injustice et la violence sous toutes ses formes, car elles sont tout simplement inacceptables. Comme héritier spirituel du crucifié, la seule guerre sainte que nous acceptons de faire, c’est celle que nous menons contre la part de mal qui se trouve en nous-mêmes. Nous avons reçu la mission de dénoncer et décourager tout ce qui va dans le sens de l’oppression des humains, les uns par les autres.
Par nos paroles et par nos actes, soulageons donc activement, chacun dans la mesure de ses moyens. Par exemple par des signatures (celles de l’ACAT), par la prière, par notre vote lors d’élection, par le soutien à des voisins, par des dons, par la conscientisation de nos proches. Si la mort de Jésus ne changeait rien que cela dans notre vie, ce serait déjà beaucoup !

2) Après décalage, un 2ème mot : Jésus donne l’impression d’une étonnante passivité. Divers éléments du récit nous montrent qu’il aurait pu, d’un claquement de doigt, confondre ses adversaires et en être délivré. Si Jésus avait pris la parole plutôt que de choisir le silence ou s’il avait dénoncé son pseudo-procès plutôt que de le subir ou encore s’il avait frappé d’aveuglement ses bourreaux plutôt que de recevoir les coups, il aurait pu en réchapper facilement. Mais il ne l’a pas fait. De la part de Jésus, il s’agit vraiment d’un don de soi libre et souverain.
Cela me fait penser à la passivité du patient qui accepte qu’on lui plante une aiguille dans le bras. N’est-ce pas surprenant ? Une piqûre, ça nous fait mal dans l’immédiat, mais nous l’acceptons, car nous croyons que le médicament nous aidera à aller mieux par la suite. De même, si Jésus accepte d’être l’acteur consentant de ce moment atroce, c’est qu’il a perçu ce que l’humanité avait à y gagner.
La passivité de Jésus vient de ce qu’il connaît sa mission et qu’il veut l’accomplir jusqu’au bout. Jésus me fait penser à ces pompiers qui, au risque de leur vie, acceptent d’entrer dans une maison prête à s’effondrer pour en sauver les habitants. Pensons encore à ces techniciens de Fukushima au Japon qui travaillent dans la centrale atomique pour désamorcer le réacteur et protéger la population : à nouveau quelques-uns se sacrifient pour le salut de tous les autres.
Dans notre monde égoïste, cet esprit de sacrifice a de quoi nous interpeller : plutôt que de tenir à notre vie confortable, donnons-la généreusement nous dit l’évangile « car celui qui donne recevra ». Si la mort de Jésus ne changeait rien que cela dans notre vie, ce serait déjà beaucoup !

3) Après décalage et passivité, le 3ème mot est admiration. Dans chaque groupe de personnes entourant l’histoire de la crucifixion, il y en a au moins une qui se désolidarise du groupe pour dire son admiration pour Jésus-Christ :
- au niveau du pouvoir politique, il s’agit de la femme de Ponce Pilate (Mt 27, 19) ;
- au niveau du pouvoir militaire, c’est le capitaine romain (Mc 15, 39) ;
- pour le pouvoir religieux, c’est Joseph d’Arimathée qui, courageusement, choisit d’ensevelir dignement Jésus (Mc 15, 43).
L’admiration, c’est déjà le début de la louange. Et il y a de quoi avoir du respect et de la reconnaissance pour Jésus : pour son courage, sa dignité, sa persévérance et pour le don de sa personne. De même nous, face à l’adversité, prenons exemple sur Jésus : il ne s’agit pas de supporter en serrant les dents, mais plutôt de recevoir une force venue d’en haut. A notre tour osons dire, avec nos propres mots, notre admiration pour Jésus, notre Seigneur. Vous ferez vite l’expérience que si nous abordons la journée avec des paroles de louanges plutôt qu’en maugréant, cela change fondamentalement notre perspective sur la vie. Si la mort de Jésus ne changeait rien que cela dans notre vie, ce serait déjà beaucoup !

4) Chez Marc, les dernières paroles de Jésus sont « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Parlons de cet abandon, 4ème mot : c’est un cri de détresse, mais non de désespoir puisqu’il s’adresse à Dieu en citant les Ecritures. Ici j’aimerais vous proposer plusieurs interprétations qui ne s’excluent pas mutuellement entre elles et je vous laisserai choisir celle qui vous parle le plus aujourd’hui :
1) l’interprétation traditionnelle : Jésus cite le Ps 22, 1 - 12 + 20 - 27. Ce Psaume commence par la plainte d’un homme accablé et se termine par une prière confiante : Dieu est intervenu et il a donné délivrance et salut, il est souverain sur notre monde et nous n’avons rien à craindre. En citant ce Psaume, contrairement aux apparences, Jésus affirme donc sa confiance en ce Dieu Père qui ne l’abandonnera pas.
2) l’interprétation sacrificielle : Jésus lui qui était sans péché, est chargé des péchés des humains. S’il se sent abandonné, c’est qu’il est devenu porteur du péché de toute l’humanité. A ce moment-là, il joue le rôle de bouc émissaire : cet abandon de Dieu n’est donc que provisoire. Par sa mort, Jésus dissout / anéantit le péché, et par sa résurrection il nous insuffle une vie nouvelle que nous pouvons expérimenter dès aujourd’hui.
3) l’interprétation existentielle : même au plus profond de la détresse, alors que Dieu semble absent, c’est encore à lui que Jésus s’adresse, car c’est notre dernier rempart avant l’absurdité. Ce sentiment d’abandon nous montre à quel point nous avons en nous un vide qui a la forme de Dieu. Or si nous pouvons donner un sens à notre mort, alors nous saurons aussi donner / recevoir un sens pour notre vie.
4) l’interprétation hindouisante : Jésus est en train de vivre l’expérience spirituelle suprême qui est de voir s’estomper sa perception de sa propre corporéité. Désormais il n’y a plus cette distinction entre lui et Dieu, ni entre lui et les autres. Ce sentiment d’abandon sera peut-être sa dernière illusion avant de se fondre dans le grand tout universel. Voilà une interprétation tout à fait inhabituelle, j’en conviens.
Quelle que soit l’interprétation qui vous parle ce matin, reconnaissons qu’il y a des moments où le courage de vivre et de mener à bien nos projets, nous abandonne. Et bien Jésus n’est pas là pour nous demander des comptes ou pour nous dicter ses exigences, au contraire. Le sentiment de ne plus en pouvoir, il sait ce que c’est, et il saura nous accompagner vers le bout du tunnel. Si la mort de Jésus ne changeait rien que cela dans notre vie, ce serait déjà beaucoup !

5) Le rôle des femmes. Elles suivent Jésus, regardent à distance, soulagent sa soif, compatissent, patientent, accompagnent, veillent sur son corps et se préparent à l’embaumer. Ces femmes sont très maternelles, elles sont les seuls personnages rassurants dans ce récit dramatique. La religion chrétienne est très particulière concernant la place qu’elles accordent aux femmes. Bien sûr ces événements se sont passés dans une société dominée par les hommes, mais les récits des évangiles ne perdent pas une occasion de valoriser les femmes : Marie, mère de Jésus, Marthe et Marie, les sœurs de Lazare, Marie du village de Magdala, Marie mère de Jaques, Salomé, et beaucoup d’autres. Les femmes sont présentes, aidantes et promptes à assumer leurs responsabilités. Elles seront les premières à constater la résurrection et à l’annoncer. Elles sont justes exemplaires et dignes de recevoir aussi bien que les hommes l’honneur de servir Dieu. Toute discrimination contre elles au nom de la religion me semble tout compte fait bien peu évangélique. Si la mort de Jésus ne changeait rien que cela dans notre vie, ce serait déjà beaucoup !

Mais alors qu’est-ce que la mort de Jésus peut bien changer dans notre vie ? Les cinq mots retenus pour parler de nos découvertes ont été décalage, passivité, admiration, abandon, femmes. Des livres entiers ont été écrits pour explorer d’autres facettes de ce récit et exprimer ce qu’est le cœur de la foi chrétienne à partir de la croix. Alors que la mort de Jésus sur la croix pourrait être vu par certains comme le signe de la défaite de Dieu, nous autres chrétiens, y voyons au contraire la manifestation suprême de son amour pour nous. Mais toute cette compréhension théologique ne saurait remplacer l’expérience personnelle de la rencontre du crucifié.
Concrètement, au terme de cette prédication, j’aimerais vous proposer une image et une démarche. L’image concerne les boulets, les traumatismes, les misères et les fardeaux qui nous empêchent d’avancer dans notre vie. C’est ce qu’on pourrait appeler le péché. On peut les voir comme des poubelles qui nous encombrent et nous suffoquent par leur puanteur. Au pied de la croix se trouve ce que j’aime appeler la déchetterie : nous pouvons venir y déposer tout ce qui ns alourdit pour en être délivré. Il suffit d’aller, de déposer, de recevoir un souffle nouveau et de repartir libre. Et je peux vous rassurer, il n’y a pas de taxe au sac dans le Royaume de Dieu. Tout comme vous allez régulièrement à la déchetterie, n’attendez pas trop longtemps avant de déposer ce qui vous alourdit au pied de la croix. Enfin, ne reprenez pas vos poubelles en repartant. Laissez là vos soucis. Jésus va vous aider à mettre de l’ordre dans votre vie et à remplacer ce qui vous encombre par une vie nouvelle.
Certains se diront : “c’est la 1ère fois que j’entends parler de la croix comme cela, mais je sens que cela me concerne”. Ou encore « moi aussi, j’aimerais bien déposer mes poubelles et recevoir cette vie nouvelle donnée par Jésus-Christ ». La bonne nouvelle, c’est que ça peut se faire, où vous êtes et maintenant, en utilisant par exemple des mots d’enfants comme « pardon », « merci » et « s’il te plaît ».
• « Pardon » Seigneur pour toutes les fois où j’ai manqué d’amour, pour moi-même, pour mon prochain et pour toi. Pardon lorsque je t’ai rejeté par ignorance ou mépris. Pardon pour ces poubelles accumulées pendant si longtemps.
• « Merci » pour la vie, merci d’être mort sur la croix pour me débarrasser de mes fardeaux.
• « S’il te plaît » offre-moi ta présence car j’ai besoin de me sortir de la solitude, de mes cercles vicieux ou du sentiment de vide dans mon existence. S’il te plaît, viens me remplir de ta présence.
Jésus, qui est ressuscité des morts est là parmi nous, nous ne le voyons pas, mais nous pouvons croire en sa présence, et peut-être même la ressentir. Je vous invite à prier :
• Seigneur Jésus, je te demande pardon pour toutes les fois où, dans ma vie, j’ai été à côté de la plaque et pour toutes ces occasions manquées de vivre des relations d’amour vraies avec mon prochain. Ce matin, je viens déposer mes poubelles pour en être débarrassé : je te donne ma vie.
• Merci d’être mort sur la croix afin de me pardonner, de me délivrer et de m’assainir. Je crois que tu peux me rendre vraiment libre.
• Et maintenant s’il te plaît, je te demande de venir me rejoindre là où j’en suis dans ma vie. Que ta présence illumine même les recoins les plus sombres. Purifie tout ce qui ne va pas dans le sens de l’amour. Ouvre les yeux de mon cœur et apprends-moi à te reconnaître sur mon chemin. Amen.
Seigneur, je te remercie pour tous ceux qui se sont joints à cette prière et je te demande de tous nous remplir de ta présence par ton Esprit Saint. Enseigne-nous à te reconnaître comme le chemin, la vérité et la vie. Que Jésus vous accompagne dans votre découverte de lui et vous bénisse. Amen.

Détails

Avec la participation de
Gérald Lugrin, Liliane et Innocent Himbaza
Orgue
Véronique Thélin
Musique
Choeur de paroisse, sous la direction de Marylène Maillard