Nous pouvons aussi être transfigurés

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Il est bon que nous soyons ici... Cette parole de l'apôtre Pierre sur la montagne de la Transfiguration, je me l'approprie ce matin. Bien sûr c'est moins glorieux, moins lumineux que pour Pierre, Jacques et Jean et cependant, il est bon d'être ici, accueilli, aimé, en paix. Et ce n'est pas seulement l'expression d'un sentiment, c'est aussi une réalité objective: Il convient que nous soyons ici, que nous mettions à part ce temps pour Dieu; que nous nous mettions à l'écart de l'agitation du monde et des soucis quotidiens, pour nous réfugier dans l'amour du Père et nous mettre à l'écoute de sa Parole.
C'est ainsi que Jésus entraîne ses disciples à l'écart, sur une haute montagne : un sommet, là où finit la terre et où commence le ciel. Sans doute y a-t-il plus de correspondance qu'on ne le croit entre le monde terrestre et le monde céleste. Un autre monde, caché dans celui-ci. Mais nos yeux sont empêchés de le reconnaître.
Jésus est, aux yeux des disciples, un homme, rien qu'un homme. Étrange, certes, aux gestes d'amour aussi puissants que déconcertants ! Mais un homme. Jusqu'à ce que soudain, Pierre, Jacques et Jean, voient la réalité cachée derrière les apparences. Soudain tout est clair et lumineux : Jésus leur dévoile sa vraie identité de Fils de Dieu. Il dévoile la source jaillissante de vie divine qui est en lui. Son visage resplendit comme le soleil et ses vêtements deviennent blancs comme la lumière ! Il n'y a plus de doute possible : la gloire de Dieu le remplit tout entier.
A ses côtés apparaissent Moïse et Elie. Ils représentent la loi et les prophètes, toute l'Ancienne Alliance. Ils attestent que Jésus est bien le Messie promis, attendu et enfin révélé.

Si tu le veux, Seigneur, nous dresserons ici trois tentes… dit Pierre. Il voudrait éterniser cet instant, rester dans ce ravissement, loin des soucis, des peurs, des douleurs. Loin des exigences de chaque jour. Dressons trois tentes dans la paix et la lumière du Royaume, mais ce seront bientôt trois Croix qui seront dressées au cœur du désordre et l'obscurité du monde ! Trois Croix pour conserver à jamais le souvenir de l'hostilité des hommes et rappeler que Jésus a choisi ce chemin là - d'humilité et d'obéissance - pour sauver le monde.
Car, du Mont de la Transfiguration, Jésus aperçoit déjà une autre montagne, le Mont des Oliviers, qu'il lui faudra gravir avec une peine infinie, pour aller chercher l'humanité dans ce qu'elle a de pire et la conduire, par la résurrection, à sa vraie destinée : retrouver la communion perdue avec le Père, retrouver la dignité d'enfant de Dieu. Pour cela, Jésus ira jusqu'au bout de l'amour : il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime.

"Monter sur la montagne est une grâce, en descendre est un devoir." (A. Westphal) Tout alpiniste sait cependant que la descente est plus difficile que la montée. Pour fortifier ses disciples en vue des épreuves à venir ; pour que le choc soit moins rude et l'espérance plus solide, Jésus leur a donné de contempler par avance sa gloire qui éclatera au matin de Pâques
Jésus sait que dans la plaine les disciples devront plus que jamais vivre par la foi. Ils n'auront plus devant les yeux que son visage ordinaire. Un visage fatigué souvent. Un visage souffrant de l'incompréhension et du rejet des hommes. Et bientôt, un visage suant d'angoisse et de douleur. Un visage figé dans la mort. Et au-delà de ce visage, ils devront reconnaître le visage du Fils de Dieu. Croire, que cet homme, qui porte toute la haine des hommes, est habité par tout l'amour de Dieu.

C'est ici que nous sommes interpellés. Car ce que vivent là les disciples n'est pas éloigné de ce que nous sommes appelés à vivre aujourd'hui. Poser un regard de foi sur ceux qui nous entourent n'est-ce pas révéler leur vrai visage au delà des masques, choisis ou imposés, au delà des souffrances, au delà des aprioris, au delà de tout ce qui défigure ou avili. Reconnaître, derrière les apparences, le vrai visage de chacun : celui que Dieu connaît et aime, celui que Dieu voit, unique et précieux.

Je pense à cette belle histoire d'un enfant qui avait une poupée déjà bien abîmée, sale, difforme. Que ta poupée est laide ! lui lance un autre enfant. Alors la petite prend la poupée dans ses bras, la serre très fort contre son cœur, la couvre de baisers et de caresses, puis la montre fièrement : Voilà, maintenant elle est belle ! Que l'être humain est beau et qu'il est grand quand on sait combien il est aimé de Dieu ! Et à quel prix Dieu lui a témoigné son amour !
Oui, l'être humain est bien plus grand que ce que nous en voyons de lui ; car sa vie a une destination par-delà la mort, en Dieu, où l'étoffe misérable de notre vie sera changée en habit de lumière. Christ transformera - transfigurera - notre corps humilié, en le rendant semblable à son corps glorieux, dit l'apôtre Paul. Car c'est avec notre histoire de chair et de sang que Jésus est allé jusqu'à la Croix. Il nous a rejoints dans l'abîme de la souffrance pour que rien de ce qui nous concerne ne soit étranger à Dieu ; pour que nous puissions croire de toutes nos forces que Dieu veut habiter, avec sa lumière, toutes nos nuits, toutes nos faiblesses, toutes nos peurs.
Et que jamais nous ne désespérions, même dans les situations les plus extrêmes. Refuser la fatalité transfigurera notre épreuve, ce sera pour l'esprit une source de lumière et pour le cœur une source d'amour.

A la fin de notre récit, Moïse et Elie ont disparu. Tout l'amour de Dieu, toute sa volonté aussi, désormais se concentrent dans la vie de Jésus. Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! C'est un impératif : Ecoutez-le ! En Christ nous est donné tout ce qui nous est nécessaire à notre salut. Il n'y a pas à chercher plus loin ou mieux, de nouveaux messages, des révélations particulières. Le chrétien n'a pas besoin d'autre chose que de Jésus, son Esprit et ses paroles. Ecoutez-le !
Le texte nous dit qu'à ce moment là les disciples ne voient plus que Jésus seul. C'est une précision importante. Pierre, Jacques et Jean, que la lumière de Dieu a éblouis, verront dorénavant cette même lumière sur tous ceux qu'ils rencontreront. Ils ne verront plus que Jésus seul ! En tout être humain, désormais, ils reconnaitront la présence du Christ vivant ! Présence souvent enfouie, salie, défigurée, ignorée et cependant bien réelle et vivante !
Et c'est extraordinaire cela ! Leur regard est désormais en mesure de transfigurer les êtres qu'ils rencontrent. Le mot n'est pas trop fort ! Voir, aimer, servir Jésus sous les traits des plus humbles et des plus souffrants. Car dans sa Passion et sur la Croix le Christ a confondu son visage avec ces visages là ! Ce que vous avez fait à l'un des plus petits, dira Jésus, c'est à moi que vous l'avez fait. Quelle grâce, quel honneur et quelle joie !

Mais peut-être, d'abord, avons-nous nous-mêmes à vivre quelque chose de cette transfiguration. C'est-à-dire, être si bien unis au Christ, que les autres pourront voir en nous quelque chose de la gloire du Seigneur réfléchie comme en un miroir ! Nous tous qui reflétons la gloire du Seigneur nous sommes transfigurés, dira encore l'apôtre Paul, et cela est l’œuvre de l'Esprit dans nos vies.
C'est dire que, dès maintenant, nous pouvons pénétrer dans le mystère de la Transfiguration, le faire nôtre, y prendre part, découvrir cette magnifique vocation de l'homme à la beauté, à la bonté, à la vérité, qu'il peut rayonner depuis l'intérieur dans toute sa vie. On connaît la provocation du philosophe Nietsche : «Je croirai à leur Dieu quand les chrétiens auront un visage de ressuscité.» Il n'a pas tout à fait tort. S'il est vrai que Dieu nous habite, qu'avons-nous fait, chrétiens de cette gloire du Christ ?
Vivre l'Évangile de la Transfiguration, c'est faire resplendir la présence du Christ vivant de visage en visage, dans l'autre et dans le mien ! Dans le texte, il n'est pas anodin de lire que c'est pendant qu'il priait que Jésus est apparu aux disciples avec un visage tout autre et des vêtements d'une blancheur éclatante. C'est dans la prière que le Christ puisait la force de lutter et d'aimer. C'est dans cette intimité de la prière qu'il désire introduire ses disciples, et nous avec eux.
La prière libère, elle nous sort de nous-mêmes, elle nous élève et nous tient droit. Mais dans nos vies chahutées de tant de manières, savons-nous encore ouvrir des espaces pour la prière ? Prier, aimer et servir le prochain, voilà qui contribue à transfigurer nos vies. Devenons des mendiants de lumière ! Avides d'amour et de prière ! Alors notre présence - véritable fenêtre sur l'au-delà - procurera autour de nous réconfort et la joie !
Vous êtes la lumière du monde, dira Jésus, que votre lumière brille devant les hommes. Dans l'Ancien Testament, au livre de l'Exode (34, 29) il est écrit que lorsque Moïse descendit du Sinaï, il ne savait pas que son visage était devenu rayonnant parce qu'il avait parlé avec Dieu.
Lorsque, dans peu de temps nous reprendrons nos occupations ou notre travail quotidien, espérons que notre visage dispense, lui aussi à notre insu, un peu de la paix et de la sérénité reçues de ce que nous avons contemplé sur la sainte montagne de la Transfiguration. Amen !

Détails

Avec la participation de
Anne-Marie Forestier
Simone Borloz
Orgue
Pierre Goy
Musique
Chorale des Roseaux