Le pays de la promesse

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Écouter le culte :

[Today God ] ”(He) allowed me to go up to the moutain
I looked over
And I‘ve seen… the promised land !”

Aujourd’hui, Dieu m'a permis d’aller au sommet de la montagne.
J'ai regardé autour de moi. Et j'ai vu… la Terre Promise.
Il se peut que je n'y pénètre pas avec vous. Mais je veux vous faire savoir, aujourd’hui, que nous sommes le peuple qui atteindra la Terre Promise !

Nous sommes le 3 avril 1968 à Memphis aux Etat-Unis. Ces paroles sont tirées du dernier discours prononcé par le Révérend Martin Luther King, un jour avant son assassinat. Il n’a que 39 ans. « Dieu m’a fait voir la Terre Promise » s’exclame King. Nous sommes le peuple qui atteindra la Terre promise !
Cette Terre Promise c’est celle d’une Amérique libérée de la ségrégation, une Amérique où tous les citoyens seraient libres et égaux en droits. Le rêve pour ses quatre enfants et pour les générations futures, d’une humanité plus belle et plus fraternelle. Et voilà qu’après dix années de combat, au seuil de sa vie, il ose dire : « Dieu m’a donné de voir la terre promise. »
Et nous aujourd’hui ! Rassemblés sur la montagne comme Moïse. A quelques jours seulement de notre Fête Nationale, nous portons nous aussi nos regards sur notre pays, la Suisse ! Pays de la promesse, peut-être, pas sûr, nous allons y réfléchir !

Pour nous accompagner dans notre méditation, ces paroles du livre du Deutéronome que nous avons entendues : « Vois, c’est le pays que je te donne, le pays de la promesse ! » Des paroles qui ont bien sûr inspiré le discours de King. Des paroles, il faut bien l’avouer aussi, qui nous résistent aujourd’hui ! Parce qu’à côté de la promesse du pays et les quelques descriptions bucoliques qui nous en sont faites, le livre du Deutéronome n’est que lois, règlements, commandements, prescriptions, recommandations, vous l’avez entendu !
Entre nous : qui a déjà lu le Deutéronome de bout en bout, sans se décourager? Qui de nous s’est senti rejoint dans sa vie de foi à la lecture de ces pages ?Qui de nous a su trouver un lien entre cette histoire passée dans les steppes orientales de la Mer Morte il y a quelques milliers d’années et notre histoire à nous aujourd’hui ?
Si le fossé nous paraît bien infranchissable, il faut se souvenir qu’à l’époque du christianisme naissant, au premier siècle, la situation était différente. En témoignent les nombreuses citations du livre du Deutéronome dans le Nouveau Testament. 55, juste après les Psaumes et le prophète Esaïe. Quel intérêt pouvait-on donc porter à ce livre ?
Peut-être que pour comprendre, il faut se souvenir que symboliquement, ce grand discours de Moïse représente la fin de l’Exil, l’entrée en Terre Promise, l’accomplissement de la promesse faite aux Pères : pays , prospérité, et descendance. Très bien me direz-vous, mais pourquoi tout de suite la Loi, les règlements ? Bénédictions pour ceux qui les respectent, malédictions nombreuses pour les autres. On a un peu de peine avec cette conception de Dieu où la foi est synonyme de respect de la Loi, même divine ! Où est passé la liberté, le don, l’amour ?

Pour essayer de comprendre, je crois qu’il faut quitter une lecture linéaire du texte qui irait de la captivité égyptienne jusqu’à l’entrée en Terre Promise pour porter nos regards plus loin, bien des siècles après les événements que le livre du Deutéronome raconte.
Cette fois nous sommes au temps de l’Exil. 598 avant J-C. Jérusalem et son Temple, véritable cœur de la foi juive, ont été détruit par les Perses et le peuple est en exil à Babylone. Dans cette période de crise, le judaïsme réfléchit aux raisons de la catastrophe. On cherche à comprendre ! Comment se peut-il que Dieu ait abandonné son peuple ? N’était-il pas le Dieu de l’Alliance éternelle scellée pour toujours avec les Pères ? La Promesse n’est-elle plus valable ?
Alors, on se souvient de l’avertissement des prophètes à pratiquer le droit et la justice. On redécouvre les rouleaux de la loi, on comprend que si on en est arrivé là, c’est peut-être parce qu’on n’a pas respecté les termes de l’Alliance, les Commandements. C’est à cette période qu’on rédige ces pages du Deutéronome qui insistent tellement sur la Loi. Vous avez entendu ces paroles qui reviennent comme un refrain :
« Ecoute, Israël les lois et les coutumes que je vous apprends moi-même à mettre en pratique: ainsi vous vivrez et vous prendrez possession du pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères. » (Dt 4, 1)
Le peuple est placé devant un choix à faire, choix de vie ou de mort, de bénédiction ou de malédiction : « Choisis la vie afin que tu vives, toi et ta descendance dans le pays que je te donne. » dit le Deutéronome. (Dt 30, 19)

Dans cette perspective, c’est le respect de la Loi qui est au cœur de la foi et c’est précisément ce que nous avons de la peine à accepter aujourd’hui ! Et bien, rassurez-vous, nous ne sommes pas les seuls. Au retour d’Exil, le judaïsme lui-même trouva cette conception de la justice rétributive de Dieu inacceptable : En respectant la Loi, l’homme serait-il lui-même capable de réaliser son salut, comme l’entend le livre du Deutéronome ?
Certainement pas ! Alors, comme un élève consciencieux, on reprend les rouleaux des textes fondateurs et on revoit la copie ! Cette fois, on fait commencer l’histoire du peuple avec les patriarches, mieux encore, avec le récit de la création. Dès l’origine Dieu est à l’œuvre et désormais, ce n’est plus la loi qui est au centre de la foi, mais la promesse inconditionnelle de Dieu faite dès le commencement.
C’est aussi à ce moment qu’on ajoute le thème de l’infidélité du peuple au désert, le refus des commandements, le veau d’or pour souligner que désormais, l’histoire du peuple hébreu avec son Dieu, ne dépend plus du comportement des hommes, mais de la promesse inconditionnelle faite par Dieu. C’est une vision fondamentalement positive de la foi.
Elle ouvre un avenir possible entre Israël et son Dieu, puisque désormais, envers et contre tout, c’est la promesse de Dieu qui prend le dessus, qui se renouvelle de générations en générations jusqu’à nous !

Ainsi, au gré des circonstances un peuple écrit, ou réécrit son histoire, l’infléchissant dans un sens ou l’autre pour fonder son identité, défendre ses valeurs, donner du sens à ce qu’il vit. Et en cela, l’histoire de notre pays n’est pas très différente. Nous aussi nous nous sommes donné une histoire bien orientée, en choisissant de retenir tel événement ou personnage du passé : Guillaume Tell, Nicolas de Flue, Henri Dunant, Le Major Davel, le Général Guisan, tous des gens bien et laissant soigneusement de côté d’autres pages moins glorieuses de notre passé.
Quelle histoire s’est donnée la Suisse par le passé ? Et qu’elle histoire sommes-nous en train d’écrire aujourd’hui ? Est-ce toujours celle d’une patrie de liberté, d’égalité, de justice pour tous, une terre d’asile, fière de sa diversité, de sa multiculturalité, de telle sorte qu’avec Moïse nous puissions dire : « Vois, c’est le pays de la promesse ! »
De manière tout à fait étonnante dans notre société occidentale déchristianisée, l’un des textes fondateurs de notre pays, notre Torah, la dernière révision de notre constitution helvétique, a choisi de maintenir en son préambule ces paroles incroyablement audacieuses. Je cite :

Préambule :
Au nom de Dieu Tout-Puissant!
Le peuple et les cantons suisses,
Conscients de leur responsabilité envers la Création,
Résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde,
Déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l’autre et l’équité,
Conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures,
Sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres,
Arrêtent la Constitution que voici.

Retour aux Etats-Unis !
Il y plus de 40 ans, le Révérend Martin Luther King prophétisait en ces mots : « Nous sommes le peuple qui atteindra la Terre promise ! » Il y croyait, dur comme fer ! Il croyait qu’un avenir différent était possible et c’est incontestable que depuis, l’humanité entière a fait un immense pas en avant dans le sens des droits humains. Ce dont il rêvait hier est devenu réalité, si bien qu’aujourd’hui, nous pourrions dire – et en particulier nous qui habitons l’un des pays les plus riches et le plus libres du monde – « Nous vivons en Terre promise ! » Nous jouissons de conditions de vie, d’une sécurité matérielle et sociale que le monde n’a jamais connu avant nous. Et pourtant, nous sommes un peuple en exil !
Nous sommes un peuple en exil parce que nous avons oublié les valeurs fondatrices de notre pays, celles-là même qui sont rappelées en préambule de notre constitution. Nous sommes un peuple en exil parce notre prospérité actuelle nous a fait oublier que notre pays n’est pas un dû, mais un don à partager, fruit de la promesse de Dieu. Nous sommes un peuple en exil parce que nous avons oublié cette réalité que nous rappelle les évangiles et plus particulièrement cette parole de l’apôtre Paul : « Notre cité se trouve dans les cieux. » (Ph 3, 21).
Même si nous vivons dans ce monde, avec ses joies et ses peines, ses découvertes extraordinaires et ses pages les plus sombres, notre pays, à nous les croyants, est résolument dans le cœur de Dieu et nulle part ailleurs. Nous sommes des exilés de ce pays-là ! C’est Dieu qui est pour nous le pays de la promesse, notre source et notre souffle, le lieu où je reviens et d’où je repars. Si bien qu’aujourd’hui, ici à Taveyanne, avec Moïse, Martin Luther King et tous ceux qui ont vu leur vie illuminée par ce Dieu, nous osons dire : « Dieu m’a fait voir le pays de sa promesse. » Le pays qu’il me donne, ici à Gryon comme cadre de vie, mais aussi cette patrie céleste manifestée à tous en Jésus Christ, lieu de son Amour, terre de sa promesse, pays de tous ceux et de toutes celles qui avec Dieu, sont debout, vivants et résolument en marche.
Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Pas d'organiste, pas de chantre
Musique
Chorale de la Mi-été;
Fanfare de Gryon
Cor des alpes (quatuor)