Dieu nous offre liberté et responsabilité

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Alors que l’économie mondiale est en crise, que les États volent au secours des établissements bancaires, qu’il y a de la récession dans l’air, voici que ce matin l’Évangile de Matthieu semble, à première écoute du moins, nous entraîner à son tour dans les questions de gestion et de rendement des capitaux.
Voyez ce riche propriétaire. Au moment de partir en voyage, il fait venir ses serviteurs et les charge de gérer sa fortune en son absence. Le premier fait travailler la somme qui lui est confiée et la double; le deuxième agit de même. Quant au troisième, il ne prend aucun risque ! Il enfouit ce qu'il a reçu dans la terre, là où personne ne risque d'y toucher.
Selon le droit juif de l'époque, sa responsabilité est totalement dégagée. Quoi qu'il arrive, personne ne pourra lui reprocher d'avoir été imprévoyant. Son état d'esprit apparaît clairement dans ce qu'il dit à son maître, lorsque le temps est venu de rendre les comptes : Voici ton bien ! Ce qui revient à dire : ton argent m'est toujours resté étranger. J'ai eu peur de l'utiliser et de le perdre. J'ai eu peur de prendre des risques et de me perdre.
L'attitude de ce troisième serviteur et le jugement qui la sanctionne nous placent devant une question essentielle. Où notre vie se décide-t-elle ? De quel courage, de quelle lâcheté sommes-nous capables ? Ou encore : Vous est-il déjà arrivé de penser à la vie chrétienne, à la foi en termes de risques ? La parole de Dieu fait-elle de vous, de nous, des hommes et des femmes prêts à prendre des risques et si oui, lesquels ?

Ce qui frappe dans ce récit, c'est tout d'abord la confiance du maître. Il confie ses biens à ses serviteurs. Et il le fait en tenant compte des capacités de chacun, en remettant cinq talents au premier, deux au deuxième, un seul au troisième. Mais même un seul talent, ce n'est pas rien, ce n'est pas une petite somme. Un talent, à l’époque de Jésus, représente l'équivalent de 6’000 journées de travail ou de 17 ans de salaire. Ce maître est un homme qui sait faire confiance. Qu'il s’agisse de cinq, de trois ou d’un talent, la somme remise représente une véritable fortune.
Et puis, vous l’avez entendu, la suite de la parabole nous confronte à deux modèles de gestion ; l’un qui débouche sur la louange et la récompense, l’autre sur le blâme, le rejet.
A tout homme qui a il sera donné et il sera dans la surabondance; mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré. Cette parabole est connue et son message continue à déranger, à choquer même. Ce n'est pas ainsi que nous aimons à nous représenter la justice de Dieu ! Il y a là l'idée d'un jugement sans appel possible qui est tout sauf agréable à entendre.
Vous l'avez compris, l'important dans ce récit, ce n'est pas tant l'action des deux premiers serviteurs que le manque total d'initiative du troisième ! Et nous ? Quelle sorte de serviteurs sommes-nous ? Le choix n'est pas bien difficile, puisque seuls deux modèles, deux attitudes nous sont proposés. Les deux premiers serviteurs ont pris à cœur la responsabilité que le maître leur a confiée. Ils ont osé, ils ont pris des risques qui se sont révélés payants. Le troisième, lui, a fait comme si tout cela ne le concernait pas vraiment. Il n'a même pas mal agi, il n’a pas dilapidé l'argent qui lui avait été remis, mais il a fait comme si celui-ci n'existait pas. Il s'est empressé de s'en débarrasser pour ne plus y penser. Il l'a oublié ou il ne s'est pas rendu compte que le don engendrait une exigence, celle de la fidélité active, de l'obéissance.

Cette parabole aujourd’hui, nous pouvons l’entendre et la recevoir comme l'histoire de la confiance de Dieu. Songez un instant à ce riche propriétaire : ses serviteurs ne sont pas ses égaux, mais il les considère et il les traite comme des êtres adultes et responsables, capables de gérer ce qu’il leur remet. Cette attitude, cette authentique confiance, c’est celle de Dieu pour nous. En faisant de nous des êtres humains et non des marionnettes, Dieu nous donne la liberté et la responsabilité. C'est à nous qu'il revient de savoir mettre en valeur ce qui nous est donné.
Notre vie nous appartient. Elle est entre nos mains. Ce n'est pas Dieu qui en tire les fils pour que nous dansions ce qu'il veut, à son rythme. La foi nous laisse notre entière responsabilité. Ainsi, remettre notre existence à Dieu, cela ne signifie de loin pas choisir la voie de la passivité ou du fatalisme. Nous demeurons responsables de nos actes, de nos choix.
Que vais-je faire de la vie qui m'a été donnée ? Que puis-je en attendre, en espérer ? Et surtout : comment ma relation à Dieu peut-elle influer sur le cours de ma vie ? Prenons garde à toute résignation, à tout fatalisme un peu désabusé. Car la vie, notre vie n'est pas d'abord dans ce qui nous arrive, mais elle est en nous, dans ce qui fait que nous nous mettons en route pour accueillir ce qui vient à nous; dans le fait que nous prenons le risque de vivre.
Il nous vient des chocs, des moments de bonheur, des échecs, des envies de rire ou de pleurer. Notre vie est là, dans ce que nous faisons avec ce qui nous arrive. Notre vie devant Dieu se décide ainsi, dans ce mouvement secret, intime, qui fait qu'un malheur ne nous détruit pas, qu'une rencontre peut être vécue comme une promesse, et que la paix se fraie un chemin jusque dans nos relations parfois bien embrouillées.

Le troisième serviteur de la parabole n'a pas su saisir la mesure de la confiance que son maître lui fait. Il a gardé de lui l'image d'un homme dur, moissonnant où il n'a pas semé, ramassant où il n'a pas répandu. Et cette image de son maître l'a enfermé dans une condition d'esclave, alors qu'il était appelé à devenir un partenaire adulte. La figure de ce serviteur a valeur d'avertissement pour nous. Elle nous rappelle que la grâce que Dieu nous offre, son amour pour nous, n'abolissent pas notre responsabilité, mais qu'au contraire, ils la suscitent et la rendent possible.
Dieu n'a rien d'un tyran, mais parce qu'il nous donne la liberté, il attend aussi de nous que nous sachions en faire usage et en tirer profit. Prenons garde à nos images de Dieu, à l'idée que nous avons de lui pour ne pas tomber dans le travers illustré par le serviteur rejeté.
Paralysé par la peur, celui-ci n'a rien fait de ce qui lui a été confié. Les deux autres n'ont pas eu les mêmes scrupules. Ils ont pris sur eux d'agir, ils en ont été récompensés. Nous n'avons pas à avoir peur de Dieu, à nous laisser paralyser par l'idée du jugement. Dieu fait de nous ses partenaires. Il a besoin de nous, de notre voix pour annoncer sa parole, de nos mains pour dresser des signes du Royaume à venir. C'est là notre responsabilité de croyants.
Nous ne pouvons pas vivre en ignorant tout ce que Dieu nous donne, en laissant de côté son amour, en nous hâtant de l'oublier. Notre relation à Dieu est aussi un échange, un dialogue. Elle demande que nous nous engagions, que nous devenions des serviteurs dignes de la confiance placée en eux. Nous ne gagnons pas notre vie devant Dieu sans la risquer. Si nous confondons notre vocation chrétienne avec la jouissance paisible d'une vérité spirituelle, nous allons au-devant d'un réveil dramatique, au-devant de pleurs et de grincements de dents.

La parabole des talents nous met en garde contre la tentation de penser que le salut nous est acquis de toute manière. Même si nous sommes assurés de la présence du Christ au milieu de nous, n’oublions que le don du salut renferme une mission. Si nous négligeons cette vocation, cet appel à sortir de nous-mêmes, pour nous replier sur la grâce reçue, nous ne pouvons que nous attendre à la colère du Dieu du jugement. Le don sera retiré à celui qui n'en aura pas tiré profit. L'attente angoissée du jugement entraîne le mauvais serviteur à se dérober à sa vocation; sa fin s'annonce catastrophique.
Mais la parabole est aussi porteuse d'une invitation et d'une promesse. Invitation à quitter la peur pour se saisir de la liberté offerte, à jouir de la confiance du maître et se mettre à son service. Car l'avenir est l'objet d'une promesse sans limites : celle d'entrer dans la joie de Dieu, de partager avec lui la vie qu'il nous offre.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Sara Gerber
Musique
Jazztalavista, groupe de jazz